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Nous avons
déjà montré
que Bastiat défendait le primat de l'individu sur la
société, c’est-à-dire l’idée
qu’il n’y a pas d'autre agent moral que l’individu et que
tout bien et tout mal vient de lui, en tant qu’être pensant,
capable de choix libres et rationnels.
La
thèse de Frédéric Bastiat, dans Les Harmonies économiques, est que la responsabilité
individuelle permet seule – par un processus de découverte
– de réduire les maux sociaux. C'est
pourquoi on peut dire qu'elle est la grande éducatrice des peuples, la
source de tout progrès.
La responsabilité est la
clé du problème social
Il y a dans les Harmonies Économiques une tentative nouvelle et
ingénieuse, pour élargir les cadres de l'économie
politique. Dans une note trouvée dans ses
papiers, Bastiat explique :
« J'avais d'abord
pensé à commencer par l'exposition des Harmonies économiques et par conséquent à ne
traiter que des sujets purement économiques : valeur,
propriété, richesse, concurrence, salaire, population, monnaie,
crédit, etc. Plus tard, si j'en avais eu le temps et la force, j'aurais
appelé l'attention du lecteur sur un sujet plus vaste : les Harmonies
sociales. C'est là que j'aurais parlé de la constitution
humaine, du moteur social, de la responsabilité, de la
solidarité, etc.».
Dans la
seconde partie inachevée et posthume des Harmonies économiques, Bastiat procède ainsi à
l’analyse de l’action humaine en tant qu’elle peut conduire
au bien comme au mal. L’homme est
faillible, il est sujet à se tromper, à
méconnaître le jeu des lois économiques ou à les
détourner de leur fin. Mais s’il supporte les conséquences,
bonnes ou mauvaises, de ses décisions, l’homme tendra à
s’améliorer, à tirer les leçons de
l’expérience. « L'homme étant fait ainsi, dit
très bien Bastiat, il est impossible de ne pas reconnaître, dans
la responsabilité, un ressort auquel est confié
spécialement le progrès social. C'est le creuset où
s'élabore l'expérience ».
Le rôle de la souffrance
Car, en
supportant les conséquences, bonnes ou mauvaises, de ses
décisions, l'homme tend à s'améliorer et à tirer
les leçons de ses expériences. Le monde social n'est pas
parfait et ne le sera jamais, mais il est perfectible. La
responsabilité, par la sanction naturelle, est le ressort du
progrès social.
La souffrance
qu'engendre le mal fait comprendre ce qu'est le mal et remet celui qui le
commet dans le droit chemin. Connaître le mal fait progresser vers le
bien. Le libre arbitre est éclairé par la
responsabilité. L'initiative et la prise de risque développent
en chacun l'autodiscipline et la vertu de prévoyance.
En effet, par la souffrance qu'il s'impose
à lui-même ou qu'il impose aux autres, l’homme est
ramené à la vérité et au bien. L'erreur conduit
à la souffrance, et la souffrance à la vérité. C’est
parce que l’homme risque de se tromper ou de mal agir qu’il est
incité à être responsable. Il s’efforcera
d'anticiper les aléas qui pourront le frapper afin de s’en prémunir.
De cette observation, Bastiat
réaffirme la loi de la responsabilité. L'homme tire les
leçons des expériences qu'il vit lorsqu'il subit les
conséquences de ses actes : la responsabilité est mère
de la sagesse. À l’inverse, la suppression du risque dans une
société administrée, où toute la
responsabilité est transférée à ceux qui
décident pour nous, produit des individus irresponsables et passifs.
La solidarité et
ses abus au nom d’une fausse philanthropie
Il y a
néanmoins une seconde loi qui entre en jeu dans le mécanisme de
la perfectibilité, que Bastiat appelle la loi de Solidarité. Il
y a une solidarité incontestable entre les hommes, dit-il.
L’action d’un homme se répercute toujours d’une
façon ou d’une autre, en bien ou en mal, sur les autres.
Le
problème, c’est que chacun s’arrange pour que les
conséquences utiles de ses actes lui reviennent et que les
conséquences nuisibles retombent sur autrui.
La loi de
solidarité, selon Bastiat, c’est la force de résistance
de la masse contre les actes qui lui nuisent. Elle agit par la
répulsion, la réprobation sociale, l’aversion publique.
Prenons
l’exemple de la cigarette. Si un fumeur gène les autres, il
s’expose à la réprobation. Un professeur qui enseigne le
négationnisme et l’antisémitisme, confronté
à la critique des historiens, perdra son public. Même chose pour
la pollution. Celui qui rejette ses déchets dans la nature sera identifié
et boycotté par les consommateurs. Un exemple récent est
l’affaire Spanghero. Cette entreprise
française de conserverie a commercialisé des lasagnes à
base de viande de cheval sous l’étiquette viande de bœuf.
L’entreprise a alors subi une baisse de 50% de son chiffre d'affaires
en raison des réductions ou des suspensions de commandes de ses
clients et distributeurs.
Ici la
société civile a un rôle à jouer selon Bastiat.
Elle est l’interface entre l’individu et l’État et
peut servir de contrepoids à la fois aux comportements nuisibles de
certains individus irresponsables et à l’emprise d’un
pouvoir centralisateur et bureaucratique, donc irresponsable lui aussi.
L’erreur
par contre, serait de multiplier les interdits législatifs, chaque
fois qu’il y a des victimes. De même, pour répondre
à la misère, au chômage, on multiplie les droits
économiques et sociaux : droit à la santé, droit au
logement, droit à l’éducation etc. C’est ainsi
qu’on en vient à imposer la charité et à
institutionnaliser la solidarité.
« Il
ne faut pas étendre artificiellement la Solidarité de
manière à détruire la Responsabilité. Or, c'est
précisément là la tendance non-seulement de la plupart
de nos institutions gouvernementales, mais encore et surtout de celles qu'on
cherche à faire prévaloir comme remèdes aux maux qui
nous affligent. Sous le philanthropique prétexte de développer
entre les hommes une Solidarité factice, on rend la
Responsabilité de plus en plus inerte et inefficace. On altère,
par une intervention abusive de la force publique, le rapport du travail
à sa récompense, on trouble les lois de l'industrie et de
l'échange, on violente le développement naturel de
l'instruction ». (Harmonies
Économiques, À la jeunesse française)
L’accroissement
de l’action collective, au nom d’une fausse philanthropie, se
traduit par le déplacement de la responsabilité et son
transfert de l’individu à l’État. Le
résultat c’est la perte d’indépendance et
d’initiative de la société civile et
l’anéantissement de la responsabilité comme de la
solidarité naturelle.
« La
charité gouvernementale indépendamment de ce qu'elle viole les
principes de la liberté et de la propriété intervertit
encore la loi de la responsabilité en ce qu'elle ôte à
l'aisance le caractère de récompense, à la misère
le caractère de châtiment que la nature des choses leur avait
imposé. La loi ne doit donc pas édicter une solidarité
obligatoire, car pour la réaliser, il faudra disposer d'une partie de
la fortune des uns en faveur des autres ». (Lettre à M. de Lamartine, 1845). Autrement dit, il
appartient à la société civile et non à l’État
d’organiser cette solidarité.
Conclusion
L’initiative
et la prise de risque développent ainsi en chacun
l’autodiscipline et la vertu de prévoyance. L’importance
de la responsabilité personnelle réside « dans son
caractère expérimental, correctif et par conséquent
progressif », nous dit Bastiat.
En
d’autres mots, l'individu est imparfait mais perfectible,
c’est-à-dire capable de commettre des erreurs mais doté
d'une raison qui lui permet, par un processus de découverte, d'en
tirer les leçons. L’erreur et l’échec découlent
de la liberté mais la perfectibilité aussi. « La
responsabilité, mais c'est tout pour l'homme : c'est son Moteur, son
professeur, son rémunérateur et son vengeur. Sans Elle, l'Homme
n'a plus de libre arbitre, il n'est plus perfectible, il n'est plus un
être moral, il n'apprend rien, il n'est rien. Il tombe dans l'inertie
et ne compte plus que comme une unité dans un troupeau ».
Texte
complémentaire
« Quand l'État se charge de
tout, il devient responsable de tout. Sous l'empire de ces arrangements
artificiels, un peuple qui souffre ne peut s'en prendre qu'à son gouvernement.
(...) Quel triste spectacle offre maintenant la France! Toutes les classes souffrent, et, au
lieu de demander l'anéantissement, à tout jamais, de toute
spoliation légale, chacun se tourne vers la loi, lui disant: «Vous qui pouvez tout, vous
qui disposez de la Force, vous qui convertissez le mal en bien, de
grâce, spoliez les autres classes à mon profit. Forcez-les
à s'adresser à moi pour leur achats, ou bien à me payer
des primes, ou bien à me donner une instruction gratuite, ou bien
à me prêter sans intérêt, etc.» C'est ainsi
que la loi devient une grande école de démoralisation.
(...) La spoliation (...) finit par devenir toute une savante théorie
qui a ses professeurs, ses journaux, ses docteurs, ses législateurs.
(...) Malheureuse, trois fois malheureuse la nation, où les questions
se posent ainsi; où nul ne songe à
faire de la loi la règle de la justice; où chacun n'y cherche
qu'un instrument de vol à son profit, et où toutes les forces
intellectuelles s'appliquent à trouver des excuses dans les effets
éloignés et compliqués de la spoliation! »
(Harmonies Économiques, Service privés, Services publics)
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