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La crise
financière a rappelé à nombre de commentateurs
économiques, à commencer par moi, que l'analyse des
performances économiques d'une nation ne peut se faire qu'en en
analysant les deux piliers: l'actif et le passif. Ce que sait tout chef
d'entreprise, l'analyste économique tend à l'oublier dès
qu'il raisonne au niveau des états.Grave erreur.
Trop
d'économistes jugent les performances d'une nation uniquement aux indicateurs
liés à l'actif accumulé par le pays et la façon
dont il s'en sert: PIB, fiscalité, degré de liberté
économique, etc... Mais ils négligent par là le passif
du pays, c'est à dire la façon dont sont financés les
points de croissance obtenus.
La crise
récente nous ré-apprend cette vérité
première, que les économistes autrichiens avaient pourtant mis
en avant dès la fin du XIXème siècle: qu'il n'y a pas de
progrès économique durable s'il est assis sur une montagne de
dettes financée à des taux ne correspondant pas à la
réalité du risque couru par les prêteurs. Les USA vont
connaître une récession forte, que très peu
d'économistes, même parmi les plus chevronnés, ont vu
venir. Pourquoi ?
L'erreur commise
a consisté à ne considérer que les produits de l'économie,
et les conditions institutionnelles qui présidaient à la
formation de ces produits. En revanche, a été largement
sous-estimé le fait que bien des acteurs majeurs de la croissance que
nous connaissions, par excès d'endettement, ne pouvaient poursuivre
leur activité de façon durable.
Repensons
à la vidéo que
je soumettais à votre attention il y a quelques
semaines, où Peter Schiff, qui décrivait à l'avance (en
2006) les ravages que causerait l'éclatement de la bulle de
crédit qui lui paraissait plus que probable, se faisait malmener par
divers contradicteurs, dont Art Laffer, ancien conseiller de Reagan, et
célèbre pour ses fameuses courbes fiscales.
Laffer
évoque tous les atouts à l'actif de la nation américaine
pour affirmer que la situation ne peut pas devenir si mauvaise: une
fiscalité raisonnable, une liberté économique
indéniable, un commerce mondial plus libre que jamais...
Schiff
évoque le "passif" de la nation américaine: un ratio
d'endettement des agents économique trop élevé,
favorisé par une politique monétaire laxiste qui n'a pas pris
en compte la création de non-valeur constituée par la formation
de la bulle immobilière. Schiff en déduit que bien des actifs
en possession des américains sont surévalués. Et que le
nécessaire réajustement sera douloureux.
J'ai moi
même été plus d'une fois victime du syndrôme qui a
touché Art Laffer lors de cette émission, cette
cécité qui nous empêche de considérer que toutes
les croissances ne se valent pas, et que celles fondées sur un niveau
d'endettement général trop élevé ne sont pas
durables.
Ainsi, il y a 18
mois, j'évoquais
l'Islande en ces termes: "La renaissance de l'Islande,
encore une réussite libérale". De quoi avoir
l'air un peu stupide aujourd'hui, j'en conviens.
L'analyse dont je
m'inspirais à l'époque était typiquement
"lafferienne", basée sur l'analyse de l'évolution des
produits de la nation Islandaise (PIB) et de son cadre institutionnel:
fiscalité, liberté économique, insertion dans les
échanges mondiaux... Mais tant les rédacteurs de l'étude
citée (MM. Dan
Mitchell et Hannes Gissurarson, pourtant de fort respectables
économistes) que moi même avons
négligé de vérifier que la croissance ainsi obtenue
était issue de conditions de financement durables. Et a priori, la
quasi totalité des dirigeants islandais ont fait de même, ainsi
que 90% des économistes ayant pignon sur rue, au bas mot. Cette croissance
était fondée sur l'accumulation de montagnes de dettes, qui ont
emporté le système bancaire, et avec lui les économies
des familles islandaises. Comme pour une entreprise, peu importe la valeur de
votre actif, si votre passif est trop leveragé,
c'est à dire si vos capitaux propres sont trop faibles en comparaison
de vos dettes pour amortir le moindre choc conjoncturel, alors le moindre de
ces incidents prend des allures de catastrophe. C'est ce qui a
provoqué la chute de toutes les banques de l'île.
J'aurais
évidemment pu supprimer subrepticement la note ou j'encensais le
"miracle" Islandais, histoire d'effacer les traces de mon ineptie
de l'époque (Août 2007). Mais mieux vaut tirer les leçons
de ses erreurs: la politique monétaire et des règles institutionnelles
et fiscales inadaptées peuvent ruiner des années de
progrès économique, si elles incitent les agents
économiques à financer leur croissance par des structures de
financement excessivement fondées sur la dette.
Cela ne remet pas
en cause, selon moi, le volet positif des réformes menées en
Islande: la situation de ce pays dans les années 80 n'était
guère enviable, et malgré la crise actuelle, le pays devrait
malgré tout trouver les moyens de s'en sortir, en conservant un niveau
de vie plus élevé que ce qu'il était il y a 25 ans : on
se sort d'autant mieux des crises que l'on n'en est pas empêché
de le faire par une myriade de lois étatiques. Mais cela ne doit pas
nous en faire oublier le côté négatif: la
libéralisation de l'économie n'est pas une condition suffisante
pour bâtir une société prospère de façon
durable. Cette libéralisation doit se faire dans un cadre
législatif, monétaire et fiscal qui favorise la saine
accumulation de capital au détriment de la fuite dans l'endettement,
quitte à ce que les chiffres de croissance obtenus soient un peu moins
spectaculaires, mais sans risque d'éclatement de bulles de
crédit. Libéraliser ne signifie pas que l'on puisse
espérer s'enrichir par cavalerie financière.
J'ignore quelles
sont les réponses apportées par les pouvoirs publics islandais
à la crise actuelle, mais tant aux USA qu'en Europe, la leçon
n'a pas été comprise: abaissement des taux des banques
centrales à des niveaux très bas, sans rapport avec le risque
de dévaluation que cela fait courir aux monnaies, et montage de plans
de "relance" entièrement fondés sur l'aide au
crédit et l'endettement record des états: on prétend
soigner le mal par le mal, et il est hélas probable que les hypothétiques
résultats en terme de rémission économique ne retombent
comme un vulgaire soufflé islandais, lorsqu'un nouvel incident
conjoncturel fera à nouveau trembler le système financier
d'autres états. Lesquels tomberont les premiers, ça...
Vincent
Bénard
Objectif Liberte.fr
Egalement par Vincent Bénard
Vincent Bénard, ingénieur
et auteur, est Président de l’institut Hayek (Bruxelles, www.fahayek.org) et Senior Fellow de Turgot (Paris, www.turgot.org), deux thinks tanks francophones
dédiés à la diffusion de la pensée
libérale. Spécialiste d'aménagement du territoire, Il
est l'auteur d'une analyse iconoclaste des politiques du logement en France, "Logement,
crise publique, remèdes privés", ouvrage publié
fin 2007 et qui conserve toute son acuité (amazon), où il
montre que non seulement l'état déverse des milliards sur le
logement en pure perte, mais que de mauvais choix publics sont directement
à l'origine de la crise. Au pays de l'état tout puissant, il
ose proposer des remèdes fondés sur les mécanismes de
marché pour y remédier.
Il est l'auteur du blog "Objectif
Liberté" www.objectifliberte.fr
Publications :
"Logement: crise publique,
remèdes privés", dec 2007, Editions Romillat
Avec Pierre de la Coste : "Hyper-république,
bâtir l'administration en réseau autour du citoyen", 2003, La
doc française, avec Pierre de la Coste
Publié avec
l’aimable autorisation de Vincent Bénard – Tous droits
réservés par Vincent Bénard.
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