Ce dimanche fut un jour de stupéfaction totale dans les rangs des libéraux, façon Shock And Awe, comme disent les Américains qui s’y connaissent bien en matière de gros spectacle qui tabasse : alors qu’on croyait notre ami Jean-Luc Mélenchon complètement perdu aux voix de la raison et imperméables à d’autres logiques que la démagogie politicienne, on apprend que ce dernier embrasse à présent les vues essentielles des gens de bon sens et qu’il s’engage à son tour dans la lutte contre la fiscalité galopante de ce pays.
À pareille nouvelle, il n’est pas difficile de comprendre qu’il aura fallu à toutes les rédactions des journaux ultra-libéraux du pays (comme Libération, le Monde, le Figaro, Marianne ou le Nouvel Observateur) un sang-froid d’airain pour ne pas partir en cacahuète, et relayer aussi sobrement que possible l’étonnant revirement du Lider Marxismo. Quelques articles ont donc fleuri leurs pages, éclairant leurs lecteurs embourgeoisés des vues mélenchonesques devenues enfin compatibles avec le marché et le capitalisme apatride cosmopolite qui fait rien qu’à broyer des ouvriers.
Le Monde, qu’on imagine sans mal un peu éberlué, titre l’information d’un frugal « Injustice fiscale : pour Mélenchon, la France est « en 1788 » » … Oui, vous avez bien lu : pour nos paléo-communistes restés coincés en 1788, et bien que nous nous trouvions actuellement en France dirigés par des socialistes, depuis le Sénat jusqu’aux principales villes de France en passant par l’Assemblée Nationale, les départements, les régions et bien évidemment, la présidence, nous subissons l’injustice fiscale ! Et alors qu’on aurait pu s’attendre à un indéfectible soutien de la part d’un ex-socialiste ayant rejoint opportunément les rangs des néo-fossiles de gauche, ou, au moins, à ce qu’il conserve le silence gêné qu’il avait prudemment gardé jusqu’à présent pour éviter de dire d’énormes bêtises électoralement coûteuses, le voilà qui décide, pouf, comme ça, de prendre la tête d’une manifestation pour réclamer une baisse de la fiscalité !
Oui, vous avez bien lu : le chancre chantre du Toujours Plus d’État s’improvise dans la réclamation quasi-poujadiste et demande rien moins qu’une annulation de la hausse de TVA prévue au premier janvier de l’année prochaine. Le bougre explique ainsi :
« L’augmentation de la TVA va coûter en moyenne 428 euros par an pour une famille de quatre personnes. Cela va porter sur les médicaments non remboursables, les maisons de retraite, la consommation d’électricité, les transports. »
Eh oui. Toute hausse de TVA fait mal. Et les taxes amputent le pouvoir d’achat, et ce sont bien les plus pauvres qui trinquent lorsque la fiscalité augmente ainsi : ce sont les plus nombreux, et ceux dont le pouvoir d’achat, justement, est le plus faible, par définition. Si, pour le libéral, tout ceci est d’une consternante banalité, il semblerait que Jean-Luc découvre le principe ; il pourra arguer qu’il a toujours été du côté des plus faibles, des opprimés, et tout le tralala, mais force est de constater qu’on ne l’a guère entendu sur le sujet des augmentations de taxes et d’impôts tous azimuts que le pays subit depuis plus de 10 ans, si ce n’est pour en réclamer plus (qu’il voulait toujours payées par les riches, ce naïf). Quant à la complexité de l’outil fiscal, là encore, c’est un thème nouveau dans la bouche du communiste ; jusqu’à présent, on trouvait pléthore d’Il Faut et de Y’a Qu’à, qui ajoutaient de la complexité à la complexité, du bordel au bordel et des taxes aux taxes.
Cette fois-ci, c’est différent : Jean-Luc, peut-être touché par la grâce fiscale, découvre que l’usine-à-gaz fiscale française fait trop de dégâts pour qu’on puisse la laisser continuer ainsi sans rien faire. Selon lui, …
« Il faut donc établir un impôt universel et juste. Et abolir les privilèges. Tous les efforts reposent sur la classe moyenne. »
Sacré classe moyenne qui n’occupait pas beaucoup le discours du baronnet jusqu’à présent mais qui semble maintenant mûre pour sa gouaille et ses emportements de tribun ! Et pour la rallier à sa belle cause anti-fiscalité délirante, quoi de mieux qu’un « impôt universel et juste » ?
C’est superbe : le député Mélenchon est ici en parfaite syntonisation avec le mouvement libéral qui réclame exactement ceci depuis des lustres sans jamais avoir eu la chance d’un tel orateur ! Eh oui, quoi de mieux, en substance, qu’une flat tax, simple à calculer, simple à collecter, simple à prévoir budgétairement et qui met fin à l’insécurité fiscale chronique qui règne dans ce pays ?
Et au fait, Jean-Luc, par abolition des privilèges, qu’entends-tu ? Parce que la liste est, véritablement, longue. Et les libéraux sont depuis longtemps favorables à cette égalité devant la loi qu’un type comme toi redouterait très vite : finis, par exemple, tous les avantages numéraires ou en nature, auxquels un élu peut prétendre. Finis les corporatismes ; en France, il y en a des paquets, tu sais, Jean-Luc. Finies les différences de traitement pour les syndicalistes, les hommes politiques, où qu’ils exercent, qui qu’ils soient… Serais-tu vraiment prêt à renoncer à tout ça, Jean-Luc ?
J’en doute. En tout cas, tout comme toi, le NPA, le parti des néo-fossiles communistes, a compris qu’il ne pouvait pas laisser monter la grogne sans tenter une petite récupération politicienne des familles :
« Il est grand temps que convergent les luttes contre l’austérité »
Oh, qu’il est mignon que le NPA et les partis extrêmement gauches réclament ainsi la « convergence des luttes » contre la fiscalité, qu’ils appellent de leurs vœux que les mouvements épars se rassemblent pour demander, enfin, une baisse drastique de cette fiscalité qui est devenue plus qu’étouffante, carrément mortelle !
Seulement voilà : à l’évidence, la récupération de la grogne antifiscale va se heurter à quelques problèmes pour nos étatistes débridés qui se lancent dans un combat qu’ils n’ont pas du tout l’habitude de mener.
Par exemple, comment concilier les revendications d’une baisse des taxes alors qu’on veut aussi, comme tout bon anticapitaliste, un bon gros État bien joufflu, bien dodu, bien présent un peu partout pour protéger la veuve, l’orphelin et le député européen qui aurait un peu de mal à trouver un job productif dans une vraie entreprise privée ? Où va-t-on trouver les fonds pour financer la belle Générosité Avec l’Argent Des Autres dont nos leaders communistes se barbouillent joyeusement les babines en se rassemblant ainsi devant Bercy ?
Par exemple, comment amalgamer cette grogne avec les chevaux de bataille habituels des éternels adolescents ? Comment ne pas pouffer lorsqu’on lit ce qui suit ?
« Il est grand temps que convergent les luttes contre l’austérité, pour une fiscalité anticapitaliste contre l’écotaxe et la hausse de la TVA, pour l’interdiction des licenciements et l’arrêt des expulsions des sans-papiers »
Notez qu’en ajoutant le Combat Contre Les Méchants et la Défense pour des Lolcats Plus Soyeux, le tableau était complet, mais indépendamment de ces hypothétiques ajouts, on se demande ce qui peut bien fédérer la lutte contre la fiscalité délirante, l’interdiction des licenciements et l’arrêt des expulsions d’immigrants illégaux.
Mais surtout, il va y avoir un gros gros souci technique : comment expliquer qu’il va falloir couper dans le lard de l’État, qu’il va falloir réduire enfin les ponctions, alors que plus de la moitié des Français en âge de travailler vivent d’une façon ou d’une autre de l’État ? Notre Lider Marxismo va avoir quelques petits ennuis pour expliquer d’un côté qu’il faut bel et bien réduire la fiscalité, et donc, conformément à tous les mantras répétés par les gauches extrêmes que le pays compte, qu’on va devoir de l’autre réduire la voilure étatique ; que voilà belle palinodie pour le gauchiste en mal de voix !
Mais voilà : lui, comme d’autres, a bien compris que cette grogne monte, doucement mais sûrement. Lui comme d’autres sent l’odeur d’une révolte qui se prépare. Et lui comme d’autres voudrait bien en tirer quelques bénéfices électoraux.
Attention, Jean-Luc : la manœuvre est délicate, la ficelle est grosse, et la déception du peuple qui arrivera, inévitable, au bout de la route de servitude socialiste emportera tout sur son passage, toi compris.
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