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En ces temps
de crise économique, marqués par une percée toujours
plus profonde des idées progressistes, il pourrait paraître
désuet de lire des auteurs réactionnaires du XVIIIe
siècle, surtout lorsqu’ils s’attaquent à un dogme
aussi infaillible que celui de la Révolution française. Est-il
permis, en France, de considérer que cet événement de
l’histoire a eu des répercussions négatives sur notre
pays, voire, de par la circulation des principes véhiculés,
partout dans le monde ? Peut-on avoir l’audace de critiquer la
Révolution française dès ses origines en 1789 ?
En effet, la
distinction entre 1789 (« période libérale et
bienfaitrice ») et 1793 (« dévoiement des
idéaux révolutionnaires par les Jacobins »)
n’est pas satisfaisante. Dès 1789, un certain culte de la
violence fit son apparition, symbolisé rapidement par les propos du
comte de Mirabeau – qui répondit à une injonction royale
de dissoudre l’Assemblée constituante – de la façon
suivante : « Nous sommes ici par la volonté du peuple
et nous n’en sortirons que par la force des
baïonnettes ».
De même,
il ne faudrait pas oublier que la guillotine fut théorisée, en 1789,
par le docteur Guillotin, via une proposition d’article en des termes
sinistres : « Le criminel sera décapité ;
il le sera par l’effet d’un simple mécanisme. ».
Ensuite, en cette année où, soi-disant, la
propriété fut pleinement consacrée par la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, il ne faut pas
non plus oublier que les biens du clergé furent « mis
à la disposition de la Nation ».
L’intérêt national supplante alors les
intérêts privés. Et dire que cette idée fut
initiée par le « libéral » Talleyrand…
Certains
argueront que ces biens ont été mal acquis. Outre que celui qui
veut noyer son chien l’accuse de la rage, on pourrait
légitimement répondre que n’importe quel bien peut
être suspecté d’avoir été mal acquis. La
véritable raison de la nationalisation de ces biens était le besoin
de remplir les caisses vides de l’État.
Si on veut
lire avec profit un auteur antirévolutionnaire, ne succombant pas
à la segmentation de cette période historique, il conviendra de
se tourner vers un auteur mésestimé : Joseph de Maistre.
Cela tombe bien, la maison d’édition Robert Laffont a publié l’essentiel de ses
œuvres en 2007. Certes, il s’agit d’un philosophe
ultramontain (ce qui signifie qu’il souhaitait une extension de la
puissance papale), favorable, en outre, à la souveraineté
publique. Néanmoins, sa pensée n’en est pas moins
intéressante. En effet, Maistre montre comment
l’élimination de tous les contre-pouvoirs a laissé
l’individu seul face à la puissance publique. Il écrivait
ainsi que la Révolution, théoriquement conçue par les philosophes
des Lumières, avait entraîné le mépris de
l’autorité et l’esprit d’insurrection (p. 119 des Œuvres). Parmi lesdits
philosophes, Locke, pas le moins adepte de la Tabula Rasa, en prend pour son
grade puisqu’il est « accusé »
d’avoir encouragé la révolte de l’orgueil contre
toutes les vérités reçues (p. 120). Faut-il
s’étonner, dans ces conditions, de voir les
Révolutionnaires français combattre non seulement la
Royauté mais, plus généralement, l’ordre ancien
symbolisé, entre autres, par l’Église ? Ce
n’est ainsi pas un hasard si les dirigeants bolchéviques, si
hostiles à la religion, se sont profondément inspirés de
l’œuvre des Révolutionnaires français.
On pourrait
évidemment se demander quels enseignements tirer des écrits
d’un penseur « arriéré » sur une
période de l’histoire ancienne. Il ne faut pas oublier que
nombre de libéraux (La Rochefoucauld-Liancourt, Talleyrand…)
étaient favorables à cette Révolution et que, pourtant,
elle n’a pas freiné la croissance de la puissance publique. Au
contraire, Joseph de Maistre en souligna un travers très contemporain :
l’inflation législative. Ainsi, pas moins de 15479 lois furent
votées entre le 1er juillet 1789 et le 26 octobre 1795 (p.
236).
Les
Révolutions, loin d’amener la liberté promise, débouchent
souvent sur des bains de sang puis sur l’avènement de
régimes autoritaires. Ainsi, après la Révolution
française, l’Hexagone fut gouverné par Napoléon
Bonaparte. La Russie du XXe siècle et certains pays
d’Amérique latine subirent eux aussi le joug de gouvernements autoritaires
mis en place à la suite de révolutions sanglantes.
Autre point
commun à toutes les Révolutions : elles se nourrissent
généralement d’un ennemi commun et ce, dans le but
d’empocher un soutien populaire fort. Comme on l’a vu
précédemment, le clergé fut une des cibles
« favorites » des révolutionnaires
français. En Russie, les grands propriétaires fonciers, les
banques et les grandes industries furent montrés du doigt. Le problème
est que le régime révolutionnaire ou post-révolutionnaire
ne se contente plus de harceler cet adversaire singularisé. Toute
personne peut être, par la suite, arbitrairement qualifiée
d’« ennemi de la Révolution ».
Le risque ne
s’est pas dissipé de nos jours, y compris en Occident. Le mouvement
des Indignés stigmatise actuellement les banques et le grand
capital. Certes, le secteur financier porte une lourde part de
responsabilité dans la crise actuelle. Mais que dire des grands
médias qui ont soutenu
activement la politique des bas taux d’intérêt pendant des
années ? Et des politiciens qui subventionnent des
« poids lourds » comme General Motors qui s’adonne
à un lobbying intensif ?... Un mouvement révolutionnaire porte
toujours en lui le risque de déboucher sur une nouvelle page de
terreur, tant la liste des « coupables » peut
s’étendre. La tentation de la tabula rasa est grande. Elle est
cependant extrêmement dangereuse et doit être
écartée au profit de réformes profondes mais pacifiques.
Les leçons de l’histoire doivent nous servir
d’avertissement.
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