Ce texte est un « article presslib’ » (*)
En
toile de fond du G20, la nouvelle phase de la crise américaine se
précise, les Etats-Unis s’apprêtant à rejoindre
l’Europe.
L’estimation
de croissance de l’année est en baisse, passant de 3% à
2,7%. Une croissance du PIB bien trop insuffisante pour faire baisser le
chômage. Le département du commerce a enregistré
« une révision à la hausse des importations et une
révision à la baisse des dépenses de
consommation », des éléments négatifs qui ne
sont que partiellement compensés par « une révision
à la hausse des exportations et des variations de stocks des
entreprises ». Qu’en sera-t-il dans les mois à venir
?
Alors
que s’est révélé en Europe le mélange
détonnant que représente la combinaison de la crise de la dette
publique et de la fragilité du système bancaire privé,
il se confirme qu’il n’y a plus de recours possible, les finances
publiques ne pouvant plus être mises à contribution comme elles
l’ont été. La balle est donc renvoyée aux marchés,
qui ne savent pas quoi en faire si ce n’est encore accentuer les
déséquilibres.
Barack Obama n’a pas tiré d’autre
constatation, en ouverture des G8 et G20 : « Ce week-end à
Toronto, j’espère que nous pourrons nous appuyer sur ces
progrès en coordonnant nos efforts pour favoriser la croissance
économique, continuer les réformes financières et
renforcer l’économie mondiale. Nous devons agir de concert pour
une raison simple : cette crise a prouvé – et les éléments
continuent de le démontrer – que nos économies nationales
sont inextricablement liées. Et la tourmente économique peut
facilement se propager. »
Dans un tel
contexte, que reste-t-il d’autre à faire qu’à
chercher à gagner du temps et à masquer autant que faire se
peut les divisions ? Tandis qu’au sein du FMI ou des banques
centrales, ou de la Banque des règlements internationaux qui les
chapeautent, des experts planchent sur des montages – que certains
qualifieront d’échappatoires – encore à
l’état d’ébauches.
On
réfléchit ici à une restructuration mondiale de la dette
publique, là à l’achat par le FMI de cette dette
grâce à l’émission d’une nouvelle monnaie, ou
bien encore ailleurs au rôle que pourraient jouer les banques centrales
afin de relancer la titrisation et par conséquent l’endettement.
Il faudra que la crise s’approfondisse davantage et connaisse à
nouveau une phase aiguë pour que ces constructions sur le papier
puissent mûrir et soient ouvertement envisagés.
Les
dirigeants occidentaux sont à la recherche de remèdes miracles
introuvables. Les Américains tentent sans succès de
préserver des marges de croissance en obtenant la valorisation du
yuan, tout en discutant avec les Européens dans l’espoir
qu’ils ne s’enfonceront pas dans la dépression. Car ils
savent que leur marché intérieur est structurellement
sinistré et qu’il ne pourra plus jouer le rôle moteur qui
était le sien auparavant.
Les
Européens étalent de leur côté leurs divisions,
chaque pays essayant avec les moyens du bord de tirer son épingle du
jeu, les marchés les attendant au tournant. Enfin, les Japonais
tentent de s’arrimer à la croissance asiatique mais doivent se
préparer à rencontrer des difficultés inédites
afin de financer leur dette. Selon le ministre des affaires
intérieures japonais, les prix à la consommation (hors produits
périssables) ont baissé en mai dernier de 1,2% sur un an,
enregistrant un quinzième mois de recul d’affilée :
pas de sortie en vue de la déflation.
Les
crises financière et économique ne font plus qu’une,
s’alimentant mutuellement. L’implosion du système financier
se poursuit tandis que la crise économique s’approfondit et se
généralise. Plus personne ne parle de sortie de crise, les
issues étant bouchées. Vers où que l’on se tourne,
les contradictions que l’on rencontre font obstacle à toute
solution des problèmes soulevés.
Le
pari qui a été tenté a échoué. Il
était attendu du système financier qu’il se
rétablisse et régénère, les banques centrales
finançant la poursuite de leurs activités spéculatives
sur des marchés laissés totalement
dérégulés (à l’exception de quelques
interdictions de vente à découvert), afin qu’il relance
ensuite la machine économique. Cela n’est pas intervenu.
Nous
sommes arrivés à l’heure du bilan : le
système financier n’est pas réparé et reste
d’une grande fragilité, l’économie occidentale est
toute entière aux portes de la récession
généralisée, les Etats n’ont plus les moyens de
suppléer à l’initiative privée pour – sinon
relancer – au moins tenir à bout de bras une économie
dont le moteur principal, l’endettement, est en panne. Alors que se
profile sur le marché des capitaux un très sérieux
embouteillage, tellement il va être sollicité. Il n’y a
pas de plan B.
Parallèlement,
une sinistre comédie nous est jouée. Non pas celle du G20,
à tout prendre plutôt un spectacle de Guignol, mais celle de la
régulation financière. A l’arraché, des derniers
compromis ont été passés au petit matin entre les 43
membres du Sénat et de la Chambre des représentants
réunis en conférence, en vue de permettre à Barack Obama de promulguer la
nouvelle loi pour le 4 juillet prochain (jour de
l’Indépendance).
Au
terme de marchandages peu glorieux et au finish, l’essentiel des
contraintes précédemment apportées au cours des
débats par les sénateurs ont été
desserrées, une taxe bancaire plus importante que prévue
étant en contre partie décidée (considérée
comme la part du feu par les banques), afin de permettre aux élus de
se présenter devant leurs électeurs avec quelque chose dans les
mains.
Si
on cherche confirmation de cette analyse, il ne faut pas s’en tenir au
communiqué de l’Association des banques américaines, qui
a exprimé l’inquiétude de banques régionales en
profonde crise en s’opposant « fortement » au
projet de loi finalisé, mais plutôt à la hausse
immédiate des principales valeurs financières à Wall
Street.
Comme
a l’accoutumée, à défaut d’avoir toujours
raison, les marchés savent discerner ce qui est dans leur
intérêt. Il ne faut pas davantage se fier à la
déclaration de Barack Obama,
selon qui « nous sommes sur le point d’adopter la
réforme financière la plus forte depuis celles que nous avons
adoptées après la Grande dépression ». La
question de savoir s’il a fait ce qu’il a pu ou voulu
étant finalement secondaire en regard de la faiblesse du
résultat.
Sans
entrer dans tous les détails des mesures finalement adoptées
(le projet de loi fait 1.600 pages), les reculs enregistrés sur les
deux plus chauds dossiers, qui avaient été gardés pour
la fin des négociations, donnent une idée de l’ensemble.
Les
mégabanques, menacées de devoir
totalement stopper leurs activités spéculatives sur fonds
propres, ont obtenu de pouvoir y consacrer une partie de ceux-ci (pouvant
à nouveau contrôler en propre des hedge
funds), ce qui va leur éviter
d’enregistrer l’importante baisse de leurs résultats
qu’elles redoutaient.
L’interdiction
d’intervenir sur le marché des produits dérivés
– qui les a encore plus mobilisées – a par ailleurs
été largement levée, leur laissant la possibilité
de continuer à pratiquer les swaps de change et
d’intérêt, deux marchés sur lesquels le principal
de leur activité OTC (over the counter,
de gré à gré) était concentrée.
A
noter que l’argument utilisé dans ce dernier cas ne manque pas
de sel : il valait mieux – a-t-il été doctement
expliqué – laisser aux grandes banques (les petites n’y
ayant pas de toute manière accès) la possibilité de trader
sur ces marchés, car cette spéculation irait sinon renforcer le
shadow banking,
la finance de l’ombre. Un royaume où il est donc strictement
impossible d’intervenir, si l’on en croit les plus hautes
autorités financières et gouvernementales américaines.
Au
final, le coeur du système spéculatif
a été préservé, c’est ce qui sera
ultérieurement retenu de cette loi, à propos de laquelle
beaucoup de désinformation va être effectuée.
A
remarquer également, pour la suite, que s’il est prévu
que les produits dérivés standards (dont la
définition laisse des blancs dans lesquels il sera toujours possible
de se faufiler) devront utiliser les services de chambres de compensation
– imposant de les enregistrer – ces chambres pourront avoir
accès au guichet de financement de la Fed, en cas de besoin.
Puisqu’elles concentreront le risque de contrepartie d’une
manière inégalée… Une incontestable grande
avancée dans le domaine de la régulation, comme on le pressent.
On
apprenait également, dans le Financial Times, que d’autres
accommodements importants, en faveur des banques, venaient d’être
plus discrètement acceptés par le Comité de Bâle.
Celui-ci est chargé de mettre en place la clé de voûte de
l’édifice de la régulation : la
réglementation visant à accroître la résistance de
chacun de ses éléments. Dans la journée, il publiait un
démenti. Dont acte, mais peut-on être pour autant convaincu ?
En
discussion depuis décembre dernier, le projet du Comité
prévoyait notamment la création de deux indicateurs de
liquidité contraignants, l’un à court terme,
l’autre à long terme. Depuis, les banques bataillaient ferme, afin
d’obtenir un assouplissement de ces règles, au
prétexte qu’elles aboutiraient à accroître leurs
coûts et restreindre leurs capacités de prêt à
l’économie (la rentabilité du capital étant
préservée en priorité). En application des nouvelles
règles proposées, elles présentaient une faramineuse
addition – à régler par leurs soins – de 5.000
milliards d’euros, tandis que des analystes considéraient fort
à propos que leur taux de rentabilité du capital, nouvelles
règles et taxe gouvernementale confondues, chuterait de 20 à
5%.
Selon
le journal britannique, le ratio à long terme – le plus
pénalisant pour les banques – aurait donc été
supprimé par le Comité de Bâle, qui n’aurait
conservé que celui à court terme. Faudra-t-il attendre les 14
et 15 juillet prochains pour connaître le fin mot de l’histoire,
à l’occasion de la présentation des conclusions lors de
la prochaine réunion du Comité, ou bien encore le prochain G20
de Séoul, les 11 et 12 septembre prochains ?
On
sait, en tout cas, qu’un projet de texte sera présenté
sans attendre au G20 de cette semaine (ce qui explique la fuite dont le
Financial Times a bénéficié), mais il ne sera
certainement pas rendu public. Quoi qu’il en soit, les valeurs
financières britanniques étaient à la hausse à
Londres, suite aux informations publiées dans la presse. Tout comme
celles des banques américaines à Wall street,
la journée étant faste en bonnes nouvelles.
La
situation des banques britanniques mérite d’être
relevée, afin de mieux estimer celle du système bancaire
européen, au-delà de ses particularités nationales. Dans
son dernier rapport, la Banque d’Angleterre a souligné la
nécessité pour les banques de renforcer leurs fonds propres et
leurs réserves de liquidité. Non seulement en raison des
risques de contagion provenant des banques de la zone euro, elles-mêmes
fragilisées, mais aussi parce qu’elles « doivent
maintenir leur capacité de résistance au sein d’un
environnement difficile, tout en refinançant d’importantes
sommes ; elles ont un intérêt collectif à prêter
suffisamment pour soutenir la reprise économique ; et elles devront
augmenter progressivement leurs coussins de capitaux et de liquidités,
pour se mettre en conformité avec des futures règles plus
sévères ». C’est pourtant le contraire
qu’elles cherchent à toute force de faire.
Sur
l’un et l’autre de ces terrains, les lobbies bancaires ont
donné au maximum de leur puissance, afin que l’essentiel –
selon eux – soit préservé. Un second bilan peut donc
aujourd’hui être dressé :
les mégabanques ont globalement eu gain de
cause et sont parvenues à imposer des assouplissements au sort
déjà modéré qui leur était promis. Les
gouvernements, législateurs et autres régulateurs ont purement
et simplement plié, et dénaturé leurs propres projets.
Le reste n’est que mauvaise littérature.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
(*) Un « article presslib’
» est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que
le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’
» qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos
contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait
aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut
s’exprimer ici.
Paul Jorion,
sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières
années dans le milieu bancaire américain en tant que
spécialiste de la formation des prix. Il a publié
récemment L’implosion. La finance contre l’économie
(Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ?
(La Découverte : 2007).
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