Il y a de nombreuses années,
la police est entrée dans le bureau d’un jeune professeur d’une université
réputée et l’a arrêté pour un crime qu’il aurait commis sur internet. Les
policiers l’ont emmené et lui ont proposé un marché : plaider coupable
et s’en tirer sans trop de déboires. Le professeur a clairement précisé aux
quelques personnes auxquelles il était autorisé à parler que cela n’avait pas
de sens parce qu’il était innocent. Son avocat l’a mis en garde :
cherchez à vous défendre et vous pourrez en tirer une peine à perpétuité,
admettez votre culpabilité et vous obtiendrez une sentence avec sursis. Il a
plaidé coupable. C’était un piège. Il est maintenant en prison, et sa vie est
complètement gâchée.
Une telle chose ne pourrait
pas se produire aux Etats-Unis, n’est-ce pas ? Et bien si. Pas seulement
ça, mais les cas de ce type sont de plus en plus courants. Ceux qui
grandissent dans un univers d’émissions télévisées pensent qu’elles sont
fidèles à la manière dont justice est faite. Et c’est plus que naïf. Dans les
affaires criminelles, les procès sont rares. Neuf cas sur dix sont réglés par
des plaidoyers comme celui mentionné plus haut. Seuls 3% des cas font l’objet
d’un procès. Et parmi ces 3%, les prévenus ne gagnent qu’une fois sur 212.
Cela signifie que l'accusé n’a
aucune échappatoire. Ce sont les procureurs qui ont tout le pouvoir. Pas même
le juge n’a d’importance parce que les législateurs l’ont privé de son
caractère libéral en le nom de leur combat contre le crime. Cela s’est
produit tout au long des années 1980 et 1990, et la justice accusatrice est
devenue la norme depuis 2001. Depuis ces dix dernières années, c’est
l’Etat-police qui tient les rênes.
Ce ne sont ni les libéraux ni
les conservateurs qui en sont à l’origine. Les deux partis en sont
responsables et ont reçu le soutien du public Américain alors que les tyrans
du secteur public leur léchaient les bottes. Cette nouvelle forme de justice
est la conséquence de l’obsession avec la sécurité, et personne ne s’en
préoccupe.
Aujourd’hui, chaque citoyen,
peu importe l’idée qu’il se fait de sa liberté, est pris au piège. Toute
personne est susceptible de disparaître. Il n’y a littéralement aucun moyen
de vous enfuir une fois que les fédéraux vous prennent dans leurs filets. Il
n’y a plus de justice. Les Etats totalitaires du passé avaient pour habitude
de prétendre avoir recours à des procès. Les Etats totalitaires d’aujourd’hui
ne s’en donnent même plus la peine. Ils vous mettent un sac sur la tête et
vous emmènent avec eux’.
Que se passe-t-il
ensuite ? Les personnes que vous aimez souffrent. Elles essaient de
déménager pour être plus proches du trou dans lequel on vous a jeté. Elles se
retrouvent ruinées. Et qu’en est-il de vos collègues de travail, de vos amis
et de votre cercle social ? Il se pourrait qu’ils veuillent vous aider,
qu’ils aient pitié de vous. Mais vous avez plaidé coupable, et vous n’avez
jamais eu la chance de leur expliquer votre version de l’histoire. Tout ce
qu’ils savent, c’est que vous avez eu ce que vous méritez. Alors ils vont ce
qu’ils ont à faire : ils vous oublient.
Et vous languissez dans votre
trou jusqu’à ce que le système décide que vous prenez trop de place.
Peut-être dix ans. Peut-être vingt. Un jour, les portes s’ouvrent à nouveau
et vous êtes libre. Mais vous êtes ruiné : amer, sans talent,
émotionnellement transformé, dans une santé physique lamentable, et – si vous
êtes jeune et mince – hanté par vos souvenirs de viol. Il n’est pas
nécessaire d’appeler les amis qui vous ont abandonné. Les membres de votre
famille ont avancé, ils ont fait leur vie. En matière d’emploi, vous n’êtes
qu’un ancien détenu.
Les Etats-Unis ont la plus
large population carcérale du monde – 2,3 millions. C’est plus d’une personne
sur cent. C’est même plus que la population de Lettonie ou de Slovénie. C’est
quasiment la population du Nevada. C’est le Wyoming, DC, Le Nord Dakota et le
Vermont mis ensemble. Si la population carcérale avait des représentants au
Congrès, ils auraient quatre sièges.
C’est gens sont politiquement,
socialement, culturellement et économiquement invisibles. Combien sont
réellement coupables ? Nous n’en savons rien. Combien pourraient être
libérés aujourd’hui et apporter leur contribution à la construction d’une
société productive ? Nous n’en savons rien. Combien ne sont pas
dangereux, pas même coupables au regard de la loi mais simplement sur
dénonciation de la dictature actuelle ? Probablement une majorité. Dans
le Nouveau Testament, visiter des détenus est perçu comme visiter des
malades. Et nous ne considérons pas les malades comme des coupables.
L'Etat-police Américain n'est
pourtant jamais remis en question. L’opinion publique s’en trouve
généralement satisfaite. Il ne peut jamais y avoir trop de pouvoir
d’accusation, trop de police, trop de prisons. Il ne peut jamais y avoir de
sentences trop longues. Personne ne dit ‘Nous ne devrions pas être si durs’.
On entend plus souvent le contraire. Les affaires rares telles que celle
rapportée récemment par le NYT ne réveillent personne.
Comment cela a-t-il pu arriver
aux Etats-Unis ? En regardant en arrière, il semble que ce problème ne
vienne principalement que de l’idée que l’institution la plus essentielle à
la société soit l’Etat, qui nous protège de la criminalité et qui doit
maintenir son monopole de la justice. Certains des plus grands défenseurs de
la liberté sont heureux d’accorder cette concession à l’Etat. Et cette
concession est désormais la source majeure de la destruction de nos libertés.
Nous pouvons mettre en place
des réformes. Abandonnons les plaidoyers dans les affaires fédérales.
Restaurons les droits de l’Homme. Donnons aux juges et aux jurés le droit
d’évaluer chaque cas et laissons-les les juger grâce à la loi, selon la
tradition de la justice commune. Revenir aux protections Constitutionnelles
serait déjà une première étape.
Mais au final, ce dont nous
avons réellement besoin est de repenser l’idée que l’Etat doit détenir le
monopole de la justice et de la sécurité à la place des marchés. C’est une
erreur fatale. Les pouvoirs accordés à l’Etat sont toujours abusés. Et celui
de la justice est peut-être le plus important des pouvoirs que nous devrions
lui reprendre.
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