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Impôt
juste et juste prix
Pendant
des siècles, avant que la science économique ne soit
développée, les hommes ont cherché un critère
pour le "juste prix" [concernant cet aspect de l'Histoire économique,
voir notamment Economic Thought before Adam Smith
de Rothbard, NdT]. De
toutes les possibilités innombrables et presque infinies parmi les
myriades de prix quotidiennement déterminés, quel modèle
doit-il être considéré comme "juste" ? Peu
à peu on réalisa qu'il n'y avait aucun critère
quantitatif de justice qui puisse être déterminé
objectivement. Supposons que le prix des oeufs soit
de 50 cents la douzaine, quel est le "juste prix" ? Il est clair,
même pour ceux qui (comme l'auteur de ces lignes) croient à la
possibilité d'une éthique rationnelle, qu'aucune science ou
philosophie éthique possible ne peut fournir de mesure ou de
critère quantitatif de justice. Si le Professeur X dit que le
"juste" prix des oeufs est de 45 cents et
que le Professeur Y dit qu'il est de 85 cents, aucun principe philosophique
ne permet de trancher entre les deux. Même le plus fervent anti-utilitarien doit admettre ce point. Les diverses
affirmations ne sont que des caprices purement arbitraires.
L'économie,
en esquissant le modèle ordonné du processus d'échange
volontaire, a montré clairement que le seul critère objectif
pour dire qu'un prix est juste est qu'il soit le prix du marché.
Car le prix du marché est, à tout instant,
déterminé par les actions volontaires et mutuellement
consentantes de tous les acteurs du marché. C'est la résultante
objective de toutes les évaluations individuelles subjectives et de
toutes les actions volontaires, et donc le seul critère objectif
existant pour une "justice quantitative" du phénomène
d'établissement des prix.
Pratiquement
plus personne ne cherche explicitement le "juste prix" et on
reconnaît généralement que toute critique éthique
doit être adressée qualitativement à l'encontre des
valeurs des consommateurs, et non portée contre la structure
quantitative des prix que le marché établit sur la base de ces
valeurs [Rothbard est optimiste, on rencontre tout
de même régulièrement, notamment parmi les
analphabètes qui sont au gouvernement français, la
prétention totalitaire d'imposer le niveau des prix pour l'essence (M.
Fabius), pour les médicaments (Mme. Aubry), etc. NdT].
Le prix du marché est donc le juste prix, les
préférences du consommateur étant données. De
plus ce juste prix est le véritable prix concret du
marché, pas le prix d'équilibre, qui ne peut jamais être
établi dans le monde réel, ni le "prix
compétitif", qui n'est qu'une création de l'imagination.
Si
la recherche du juste prix a pratiquement cessé dans les publications
des travaux économiques, pourquoi la recherche d'un "impôt
juste" continue-t-elle avec une vigueur non diminuée ? Pourquoi
les économistes, particulièrement scientifiques dans leurs
volumes, deviennent-ils soudain des moralisateurs ad hoc quand se pose
la question de la taxation ? L'économiste ne prend dans aucun autre
domaine de sa spécialité une position plus grandiosement
éthique.
Il
n'y a absolument aucune objection à discuter des concepts
éthiques quand ils sont nécessaires, pourvu que
l'économiste soit conscient que (a) l'économie ne peut
établir aucun principe éthique par elle-même -
elle ne peut que fournir comme données des lois de l'existence au
spécialiste de l'éthique ou au citoyen ; et (b) que tout
emprunt à l'éthique doit être fondé sur un
ensemble cohérent et logique de principes éthiques, et pas
être introduit furtivement dans le genre "eh bien, tout le monde
doit être d'accord avec ceci..."[le lecteur attentif de mon site
comparera le point de vue de Rothbard avec la
position d'Anthony de Jasay dans sa proposition de reformulation d'un libéralisme strict, NdT]. Les hypothèses mielleuses d'un accord
universel sont une des habitudes les plus irritantes de l'économiste
devenu moralisateur.
Ce
livre ne cherche pas à établir des principes éthiques.
Il réfute, néanmoins, des principes éthiques pour peu
qu'ils soient insinués, de manière ad hoc et sans
analyse, dans les traités d'économie. Un exemple est la
recherche habituelle de "canons de justice" pour la taxation. La
première objection à ces "canons" est que les auteurs
doivent tout d'abord établir le caractère juste de la taxation
elle-même. Si ce ne peut être prouvé, et pour l'instant
cela n'a pas été prouvé, il est évidemment
stérile de chercher un "impôt juste". Si la taxation
elle-même est injuste, il est clair qu'aucune répartition de sa
charge, même la plus ingénieuse, ne peut être
déclaré juste. Ce livre n'offre aucune doctrine sur la justice
ou l'injustice de la taxation. Mais nous exhortons les économistes
soit à oublier le problème de "l'impôt juste"
ou, au moins, à développer un système éthique
complet avant de s'attaquer de nouveau au problème.
Pourquoi
les économistes n'abandonnent-ils pas la recherche de
"l'impôt juste" comme ils ont abandonné la recherche
du "juste prix" ? L'une des raisons est que le faire aurait des
conséquences malvenues pour eux. Le "juste prix" a
été abandonné en faveur du prix du marché.
"L'impôt juste" peut-il être abandonné en faveur
de l'impôt du marché ? Évidemment non, car il n'y a pas
de taxation sur le marché et il est donc impossible de mettre en place
un impôt qui dupliquerait le fonctionnement du marché. Comme
nous verrons plus loin [Si vous voulez savoir, achetez le livre ! NdT], il n'existe pas "d'impôt neutre" -
un impôt qui laisserait le marché libre et sans perturbation -
tout comme il n'existe pas de monnaie neutre. Les économistes et les
autres peuvent essayer d'approcher la neutralité, dans l'espoir de
perturber aussi peu que possible le marché, mais ils ne pourront
jamais pleinement réussir.
Coûts
de collecte, commodité et certitude
Même
la maxime plus élémentaire ne doit pas être
acceptée sans critique. Il y a deux siècles Adam Smith a
proposé quatre canons de justice au sujet de la taxation, canons que
les économistes ont répétés depuis lors [1].
L'un d'eux concerne la distribution du fardeau de la taxation et sera
traité en détail plus loin [A nouveau, si vous voulez savoir,
comment, achetez le livre ! NdT]. Le canon
peut-être le plus "évident" était l'injonction
de Smith à limiter les coûts de collecte au "minimum"
et donc à lever les impôts selon ce principe.
Une
maxime évidente et inoffensive ? Certainement pas ; ce "canon de
justice" n'est pas évident du tout. Car le bureaucrate
employé à collecter l'impôt tendra à favoriser
l'impôt avec des coûts administratifs élevés,
nécessitant de ce fait le plus d'emplois bureaucratiques
coûteux. Pourquoi devrions-nous dire que ce bureaucrate a tort ? La
réponse est que ce n'est pas possible, et que pour affirmer qu'il a
évidemment" tort", il serait nécessaire de s'engager
dans une analyse éthique qu'aucun économiste n'a daigné
entreprendre.
Une
autre remarque : si l'impôt est injuste pour d'autres raisons, il
serait plus juste d'avoir des coûts administratifs élevéq, car il y aurait alors moins de
risques que les taxes soient pleinement collectées. S'il est facile de
collecter l'impôt, alors ce dernier causera plus de dommages au
système économique et plus de distorsions à l'économie
de marché.
La
même remarque peut être faite sur un autre des canons de Smith :
lever un impôt de telle sorte que le paiement soit commode. Ici encore,
cette maxime semble évidente, et elle contient certainement une grande
part de vérité. Mais certains pourraient soutenir qu'un
impôt devrait être malaisé à payer pour inciter les
gens à se rebeller et à forcer une baisse du niveau de
taxation. De fait, ce fut l'un des arguments principaux des
"conservateurs" pour préférer l'impôt sur le
revenu à un impôt indirect. La validité de cet argument
n'est pas discutée ici ; ce qu'il faut retenir est qu'il n'est pas
évident qu'il soit faux et donc que ce canon n'est ni plus simple ni
plus évident que les autres.
Le
dernier canon de Smith en matière de juste taxation est que
l'impôt doit être prévisible et non arbitraire, afin que
le contribuable sache ce qu'il devra payer. Ici encore, une analyse plus
poussée démontre que cette recommandation n'est pas
évidente. On pourrait soutenir que le contribuable bénéficie
de cette incertitude , parce qu'elle rend la demande
plus flexible et permet de corrompre le percepteur. Ceci est au
bénéfice du contribuable tant que le prix du pot-de-vin est
moindre que celui de l'impôt qu'il aurait dû payer sinon. De
plus, il n'y a pas de façon d'établir une certitude à
long terme, car les taux de taxation peuvent être changés par le
gouvernement à tout instant. A long terme, la certitude du niveau de
taxation est un but impossible.
Un
argument similaire peut être opposé à l'idée qu'il
"devrait" être difficile d'échapper à
l'impôt. Si un impôt est coûteux et injuste, l'évasion
fiscale peut être un grand bénéfice pour
l'économie, et il peut être moral de l'encourager.
Ainsi,
aucun des canons prétendument auto-évidents de la taxation
n'est un véritable canon. De certains points de vue éthiques
ils sont corrects, de certains autres ils ne le sont pas. L'économie
ne peut pas décider entre ces points de vue.
Note
[1] Adam Smith, La Richesse des nations (pp. 777-79
dans l'édition américaine de la Modern Library 1937). Voir
aussi Hunter et Allen, Principles of
Public Finance pp. 137-40.
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