Afin de mieux prendre en compte le phénomène de pauvreté en
France, le gouvernement a récemment défini de nouveaux indicateurs censés
permettre une mesure plus fine, mais surtout plus pertinente, des conditions
de vie des plus défavorisés. Un objectif louable, mais un outil mal conçu.
Pour le gouvernement de Manuel Valls, le taux de pauvreté monétaire ne serait pas suffisamment
pertinent pour juger de la précarité des individus. En clair, ne
pas avoir d’argent ne serait pas un critère suffisant pour être considéré
comme pauvre. Il semble au contraire préférable de lui substituer le
“taux de pauvreté en conditions de vie”, c’est à dire le niveau d’exclusion
de pratiques et de consommations de base.
Les indices de la privation matérielle
Annoncé comme cela, l’idée n’est pas franchement mauvaise, même si ce
critère de privation matérielle et bel et bien consécutif de privation
monétaire. Mais l’ennui vient surtout de ce que le gouvernement a jugé comme
étant “les éléments de la vie quotidienne” dont l’absence marquait la
“pauvreté absolue”. Ainsi, selon Eurostat, une personne se trouve en
situation de “pauvreté en condition de vie” lorsqu’elle cumule au
moins 3 privations ou difficultés matérielles parmi les 9 de la
liste suivante :
- avoir eu des arriérés de paiement d’un loyer, d’un
emprunt hypothécaire ou de factures d’eau/gaz/électricité dans les 12
derniers mois ;
- ne pas pouvoir chauffer son logement ;
- ne pas pouvoir faire face à des dépenses imprévues ;
- ne pas pouvoir consommer de la viande ou une autre
source de protéines au moins tous les 2 jours ;
- ne pas pouvoir s’offrir une semaine de vacances hors du
logement ;
- ne pas posséder un téléviseur couleur ;
- ne pas posséder un lave-linge ;
- ne pas posséder une voiture personnelle ;
- ne pas posséder un téléphone.
Des critères sans nuances
Si certains de ces critère ne souffrent aucune contestation, comme par
exemple l’impossibilité de pouvoir se chauffer, d’autres en revanche sont
plus discutables. Ne pas pouvoir faire face à des dépenses imprévues, par
exemple, est bien trop vague pour déterminer quoi que ce soit, et le
niveau des dépenses imprévues joue également un rôle considérable
dans cette fameuse “impossibilité” à y faire face.
Par exemple, ce n’est pas la même chose de ne pas pouvoir acheter un
pantalon à son gamin qui vient de trouer le sien que de se retrouver
financièrement coincé devant l’obligation de remplacer sa voiture juste avant
de partir en vacances. Dans le premier cas, on comprend que la gêne
financière intervient à partir de quelques euros seulement au-dessus du
budget du ménage. Tandis que dans le second exemple, il y a beaucoup de
ménages français actuellement qui ne pourraient pas faire face à l’obligation
de changer leur véhicule sans pour autant être considérés comme
“pauvres”.
Des choix statistiques absurdes
Mais ce sont bien les trois derniers critères qui paraissent les plus
improbables. Ainsi, une personne qui ne possèderait ni lave-linge, ni
voiture, ni téléphone serait dans une état de pauvreté absolue.
Notez qu’on ne parle pas ici d’une quelconque “impossibilité” matérielle à
s’équiper, mais juste d’une absence de ces équipements. Et là, on ne peut
s’empêcher de se demander si tous les citadins de grandes villes, Paris en
premier lieu, qui préfèrent apporter leur linge au pressing une fois par
semaine, qui ne se déplacent qu’en bus ou en métro, et qui auraient choisi
volontairement de ne pas posséder de télévision sont nécessairement les plus
pauvres de nos concitoyens.
De la même façon, on peut s’étonner que le gouvernement considère
davantage les individus que les ménages pour qualifier la pauvreté
des Français. Faut-il en conclure que, dans un couple non marié sous
le régime de la communauté, par exemple, et où les factures d’achat de la
voiture, du lave-linge et même du téléphone sont au nom d’un seul des deux partenaires,
l’autre est réputé comme “pauvre en condition de vie” ? Toujours
est-il que la privation matérielle est censée concerner aujourd’hui 12% des
individus vivant en France métropolitaine, affectant d’ailleurs
majoritairement les jeunes, soit la classe d’âge comprise entre 15 et
25 ans. Et c’est vrai qu’assez peu d’adolescents disposent à ce jour
d’un téléviseur bien à eux, mais aussi d’un lave-linge ou même d’une voiture…
bien que, fort heureusement, ils soient de plus en plus nombreux à posséder
un téléphone.
Ouf ! On n’est pas passé loin d’un nouveau drame social…