Le culte de l’objectif d’inflation est né à la fin des années 80
en Nouvelle-Zélande. On pourrait dater sa mort 30 ans plus tard suite à un
pivot idéologique remarquable qui a eu lieu dans ce même pays, entraînant la
fin de l’ascendant des banques centrales à travers le monde.
Espérons que ce grand égarement monétaire se soit grillé tout seul.
Dans des circonstances malheureuses, une telle doctrine est la formule idéale
pour obtenir des bulles financières et des cycles économiques perturbés. Or,
c’est exactement ce que les événements ont manigancé.
Claudio Borio de la BRI estime que la caste des banquiers centraux
s’oriente avec une boussole dont l’aiguille est cassée. Des forces mondiales
puissantes ont anéanti le vieux modèle de la courbe de Phillips. Les
prévisions des banques centrales s’avèrent erronées les unes après les
autres. « En toute honnêteté, que savons-nous vraiment du processus
de l’inflation ? », a-t-il déclaré.
Pour la Nouvelle-Zélande, trop c’est trop. Jacinda Ardern, la fraîchement
élue Première ministre de gauche, souhaite pousser une réforme du fameux
mandat de la banque centrale nationale. À l’avenir, ses objectifs seront
l’emploi et les prix à la consommation. Selon elle, le « capitalisme a
échoué ». Je reformulerais sa complainte en critique de l’orthodoxie des
banques centrales.
Ce sont en fait leurs politiques monétaires qui ont échoué. La FED, la BCE
et la BoJ, ensemble, ont créé un environnement durant ces 25 dernières années
qui ont encouragé les banques, les caisses de retraite privées, les sociétés
d’assurance vie et les investisseurs à prendre des risques extrêmes.
L’hypermondialisation et la dérégulation des flux de capitaux ont fait le
reste.
Le péché originel des banquiers centraux remonte aux années 90, lorsque
les taux d’intérêt furent maintenus trop bas pendant trop longtemps, alors
que ce « choc de l’offre » censé arriver une fois par siècle
mettait l’économie mondiale sens dessus dessous. Les contorsions encore plus
curieuses de ces dernières années découlent de jeux d’apprentis sorciers avec
la structure intemporelle des taux. C’est pourquoi les banques centrales du
G4 ont dû créer pour 14 trillions de dollars de monnaie afin de maintenir le
navire à flot, ou pourquoi les taux de la BCE sont aujourd’hui de -0,4 %.
La logique visant à construire un ordre financier autour d’une variable
aussi arbitraire que l’inflation n’a jamais eu de quoi séduire. Ce besoin
technocrate d’influer sur les prix est un changement radical par rapport au
rôle historique des banques centrales, à savoir assurer la stabilité financière
et agir en tant que prêteur de dernier recours en cas de crise.
Les conséquences pratiques furent manifestement calamiteuses. Il est très
pratique pour les banques centrales de blâmer les spéculateurs et les banques
commerciales pour la bulle Internet de la fin des années 90, la bulle des
subprimes ou celle de la dette souveraine européenne dans les années 2000. La
vérité plus profonde est que les autorités elles-mêmes sont à la base de ce
qui s’est produit. Elles ont brouillé les instruments. Elles ont mis au point
la structure des incitants.
Il ne s’agit pas d’une critique de la banque centrale de la
Nouvelle-Zélande. Contrôler l’inflation était tout à fait logique pour ce
pays à la fin des années 80, après 50 années d’inflation annuelle à 2
chiffres. Il s’agissait du socle dont elle avait besoin pour casser la
psychologie de l’inflation. Cela avait parfaitement marché.
Cependant, ceux qui ont imité la Nouvelle-Zélande ont ignoré les leçons
qui avaient déjà été tirées. Influencés par le traumatisme de la Grande
inflation des années 70, ils ont oublié ce qui peut se produire lorsque
l’inflation baisse naturellement en raison d’une augmentation de l’offre
comme dans l’Amérique des années 20, durant l’ère de la Ford Model T, de
l’électrification et des chaînes de production des usines. La baisse des prix
occulta des dangers naissants. L’explosion folle de l’immobilier en Floride
et des actions de Wall Street ne fut pas entravée.
Le Japon a connu une situation similaire dans les années 80. Le gouverneur
de la BoJ Yasushi Mieno a confessé plus tard que la plus grande erreur de sa
banque fut de supposer que l’on pouvait poursuivre les stimulations
monétaires alors que l’inflation baissait. Le résultat fut la bulle du
Nikkei. Le terrain de 9 acres de l’ambassade britannique à Tokyo valait, au
pic de cette folie, plus que l’intégralité du comté de Shropshire. M. Mieno a
ensuite averti ses collègues que les pires bulles financières se développent
lorsque l’inflation est basse. Personne ne l’a écouté.
Vers la moitié des années 90, la plupart des banques centrales de l’OCDE
avaient mis en place un objectif d’inflation. Et lorsque les chiffres
refusaient d’obéir, elles agissaient. La chute du communisme et l’ouverture
de la Chine ont soudainement ajouté 2 milliards d’individus à l’économie
mondiale ouverte. Les multinationales furent en mesure de faire baisser les
coûts en délocalisant vers des contrées à la main-d’œuvre moins chère. Un
tsunami de biens bon marché déferla sur les marchés occidentaux, en
provenance de l’Asie émergente et de l’Europe de l’Est.
Autoriser une déflation bénigne
Il est clair, avec le recul, que les banques centrales auraient dû laisser
les prix baisser gentiment, autoriser une « déflation bénigne »,
similaire aux épisodes plus roses de progrès technologiques durant le XIXe
siècle et son standard or, bien avant que les niveaux de dette rendent
une telle politique impossible. Deux décennies plus tard, le ratio
mondial de dette a atteint un niveau sans précédent de 327 % du
PIB. La BRI appelle cela le « piège de la dette ».
Les banques centrales interprètent erronément le double choc
déflationniste de la mondialisation, « l’effet Amazon » et
« l’effet Chine ». Envoûtées par les signaux trompeurs des prix à
la consommation, elles ont maintenu des politiques monétaires trop
accommodantes qui ont permis la libre formation de bulles financières.
Pourtant, elles interviennent toujours trop agressivement pour nettoyer les
dégâts suivant chaque krach financier.
Les conséquences de cette asymétrie n’ont pas créé que des risques moraux,
comme « l’effet Greenspan, Bernanke ou Yellen ». La BRI suggère
qu’ils ont peut-être engendré le plus gros casse-tête de l’histoire
monétaire moderne : la baisse incessante des « taux d’intérêt naturels ».
Les taux réels ne cessent de baisser à chaque cycle. Il s’agit d’une
dynamique qui s’autoalimente. Selon Monsieur Borio, « les taux bas
appellent les taux bas ».
Après 9 années d’expansion économique mondiale, les taux des Treasuries à
10 ans, la référence mondiale du loyer de l’argent, sont toujours de
seulement 2,36 %. Jusqu’en 2024, les Bunds affichent des taux négatifs.
Alan Greenspan et Ben Bernanke ont leur alibi : les excès d’épargne
asiatique ont inondé le système international et poussé à la baisse le prix
du crédit. C’est devenu une orthodoxie. « Cette opinion est
tellement envahissante qu’elle fait presque désormais partie des
meubles : on l’accepte sans la remettre en question », a
déclaré Monsieur Borio.
Comme pour toute orthodoxie, il y a un fond de vérité. Elle a cependant
brouillé les cartes et permis aux banques centrales d’avoir une excuse toute
trouvée. Elles peuvent justifier l’explosion des valorisations des actifs,
notamment en parlant vaguement des déformations du capitalisme léniniste de
la Chine, d’éthique confucéenne ou encore d’un improbable choc exogène en
provenance de Mars. Cela leur a permis de trop se focaliser sur l’inflation
pendant bien trop longtemps.
La Première ministre Ardern est le canari dans la mine. Ce fut ce même
parti travailliste néo-zélandais qui a inventé ce qui allait devenir la
mondialisation avant qu’elle ne soit piratée par les élites pour ensuite
commencer à dérailler.
Ce parti souhaite désormais réinstaurer la primauté de la démocratie en
mettant un terme aux excès, notamment en interdisant l’achat de propriétés
immobilières par des étrangers. L’axe mondial est en train de pivoter.
Source : article d’Ambrose Evans Pritchard, publié le 1er
novembre 2017 sur le site du Telegraph