Nous devons les propos qui
suivent à quelqu’un qui, comme le veut la loi, est écouté par le gouvernement
allemand. Peter Bofinger est un membre du Conseil allemand d’experts en
économie – les « Cinq sages de l’économie » - dont la fonction
officielle est de conseiller le gouvernement et le parlement en matière de
politiques économiques. Ces gens sont pris très au sérieux.
Lors d’une récente interview, Bofinger
a dit au magazine allemand Der
Spiegel, que « les espèces devraient être abandonnées ».
Au Danemark, une loi vient d’être
proposée qui vise à autoriser les magasins à refuser des paiements en
espèces. Officiellement, ce projet de loi a pour objectif de « réduire
la charge administrative et financière » liée au traitement d’espèces.
Parce que chaque magasin est en droit de prendre sa propre décision, la
proposition de loi semble inoffensive. Mais en réalité, elle représente un
pas de plus vers la transformation de la monnaie en une entité purement
électronique susceptible d’être constamment traquée. Elle rendra également
plus facile pour la banque centrale l’imposition de politiques monétaires
confiscatoires à toute entité ou individu qui posséderait des fonds auprès d’elle.
Cette loi pourrait s’avérer
utile. La Banque nationale du Danemark a imposé un taux de dépôt négatif de
-0,75%, dans l’intention de punir les épargnants et de leur confisquer leur
argent, et de limiter l’appréciation de la couronne contre l’euro. Mais pour
échapper aux taux de dépôt négatifs, les épargnants ont la possibilité de
retirer leur argent et de le conserver sous le matelas. C’est une alternative
qui doit être abolie à tout prix – au travers de l’interdiction des espèces.
Mais alors, a demandé Der Spiegel, cette loi
danoise est une bonne idée ?
« Au vu des possibilités
techniques actuelles, les billets et les pièces sont des anachronismes, a
répondu Bofinger. Ils rendent les paiements incroyablement difficiles, et
génèrent d’importantes pertes de temps à la caisse », parce que les gens
prennent beaucoup de temps à chercher leurs pièces dans leur sac, et doivent
attendre que le caissier leur rende la monnaie (plutôt que de passer leur
temps à chercher leur carte de crédit, à effectuer la transaction nécessaire
et à attendre leur reçu).
Mais ce gain de temps douteux
offert par le gouvernement ne semble pas suffisant pour Bofinger.
« Ce gain de temps n’est
pas le plus grand bénéfice apporté par une élimination des espèces, a-t-il
ajouté. Elle assècherait aussi les activités de trafic de drogues. Presqu’un
tiers des euros en circulation prennent la forme de billets de 500 euros.
Personne n’en a besoin pour aller faire les courses, et seuls les individus
qui préfèrent opérer dans l’ombre les utilisent pour mener à bien leurs
activités. »
Et pour empêcher ces éléments de
se tourner vers d’autres devises, il serait « préférable si la zone
euro, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la Suisse abandonnaient les
espèces en même temps. »
Il a ensuite précisé la
véritable raison derrière un abandon coordonné des espèces :
« Il serait ainsi plus
simple pour les banques centrales d’imposer leurs politiques monétaires. A l’heure
actuelle, elles ne peuvent pas suffisamment appuyer les taux d’intérêt négatifs
parce que les épargnants ont la possibilité d’accumuler des espèces. Sans
espèces, cette échappatoire se trouve éliminée. »
Parce que cet effort doit être
multinational, le gouvernement allemand devrait-il défendre l’idée d’une
élimination des espèces sur la scène internationale ?
« Ce sera un excellent
sujet de discussion pour le sommet du G7, » a-t-il expliqué. Le prochain
sommet du G7 aura lieu les 7 et 8 juin en Bavière.
Mais tous les membres du Conseil
allemand d’experts en économie ne sont pas du même avis. Lars Feld, l’un des
autres sages de l’économie, a critiqué son collègue dans le Frankfurter
Allgemeine, en reprenant les célèbres paroles de Fiodor Dostoïevski :
« L’argent est une liberté sonnante et trébuchante ».
Feld a également critiqué
Bofinger pour avoir « apparemment négligé les aspects constitutionnels
de sa proposition ». Non pas qu’elle ne puisse pas être discutée par les
cours de justice, mais pour l’heure – et pas seulement en Allemagne – la constitution
lui fait barrage.
Et il y a un autre problème :
les espèces permettent aux individus d’échapper à la mainmise de l’Etat
lorsque leurs intentions ne sont pas légitimes et qu’ils souhaitent commettre
une fraude fiscale, mais « le travail au noir représente souvent, pour
ceux qui s’y adonnent, leur seul moyen de gagner leur vie ».
Devrions-nous vraiment priver
les gens de ça ?
Les espèces sont un moyen d’échapper,
ne serait-ce qu’un instant, aux tentacules de notre société de surveillance
transnationale. Elles sont l’une des dernières protections qu’il nous reste
face au pouvoir absolu des banques centrales. Elles représentent un aspect de
notre liberté. D’où la guerre actuelle contre les espèces. Elles doivent tout
simplement cesser d’exister.
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