J’ai récemment payé un achat
avec le change exact, dont 89 centimes. La caissière a contemplé les pièces
que je lui ai tendues, et n’avait clairement aucune idée de quoi en faire. Elle
a fini par saisir une calculette pour les y additionner une par une : 25
+ 25 + 25 + 10 + 10 + 4. Ayant moi-même été à l’école avant l’âge des
calculettes, je suis habitué à effectuer des exercices arithmétiques de tête.
Cette expérience a rendu particulièrement évident à mes yeux le nivellement
par le bas subi par la société ces quelques cinquante dernières années.
Puisque ce nivellement par le
bas a prévalu des décennies durant, il est évident que ce ne soit pas un
accident, ou encore une expérience d’éducation alternative qui n’aurait pas
fonctionné comme prévu. Il est clair qu’il s’agisse de la conséquence d’un
effort conscient de diminuer la capacité de la personne moyenne à réfléchir.
C’est un processus dont la période de gestation a été très longue, et qui a
mis plusieurs générations à se matérialiser, mais qui n’en a pas été moins
délibéré.
Mais pourquoi l’élite d’un
pays cherche-t-elle à diminuer le pouvoir de la raison ? Il ne fait
aucun doute que la raison soit la base de toute pensée indépendante – le
catalyseur de nouvelles idées et de l’amélioration des biens et des systèmes
existants.
La réponse, en un mot, est le
contrôle. La pensée indépendante est l’ennemi numéro un de ceux qui cherchent
à dominer un peuple. Pour cette raison, ceux qui sont au pouvoir sacrifient
volontiers le progrès technologique et social en faveur de leur dominance.
Contrôler à la fois les
questions et les réponses
Il est de la nature de l’Homme
de remettre constamment en cause sa situation et son environnement. En
revanche, un chef intelligent doit surpasser cela en présentant à son peuple
des questions, mais aussi des réponses. S’il peut conserver son peuple
préoccupé par des questions qui n’ont aucune importance pour lui, et fournir
des réponses que le peuple peut facilement absorber, alors il peut contrôler
ce qui relève de la pensée et, ainsi, réduire les chances de voir ses actions
remises en question.
Depuis la nuit des temps, les
chefs les plus puissants ont compris ce principe. Afin de détourner
l’attention de leurs actions, il leur faut établir les distractions
nécessaires.
Des siècles durant, à chaque
fois que des dirigeants se sont trouvés sous le feu des critiques de leurs
laquais, ils ont opté pour la distraction de la guerre. Non seulement, la
guerre unifie un peuple, elle le pousse également à laisser de côté leurs
droits les plus basiques sur une certaine période. (Des droits qui, bien
évidemment, ne sont pas rétablis une fois que l’état d’urgence prend fin. La
guerre est donc aussi un excellent outil pour accroître la tyrannie). Comme
l’a observé Ludwig von Mises,
« La guerre n’était
pas l’affaire des peuples, mais celles de leurs chefs. Les citoyens ont
toujours détesté la guerre, qui a toujours apporté des calamités et les a
toujours accablés de taxes et de contributions. »
En revanche, à l’heure
d’aujourd’hui, les propagandistes sont devenus bien plus sophistiqués.
Voyons-en quelques-uns. Adolf Hitler nous a dit que :
« Plus le mensonge
est gros, plus les gens y croient. Répété dix mille fois, il devient une
réalité. »
Vladimir Lénine était adepte
de l’idée selon laquelle
« L’art d’un
propagandiste et d’un agitateur consiste en sa capacité à trouver le meilleur
moyen d’influencer n’importe quelle audience, en présentant une vérité
définie de manière à ce qu’elle semble convaincante et qu’elle soit facile à
digérer, graphique et impressionnante. »
Deux des grandes inventions
qui ont servi à rendre la propagande plus facile à vendre ont été les partis
politiques et la télévision. Au temps des rois, il était assez commun de
détester le roi et de le vouloir déchu. Mais avec les partis politiques, il
est possible de voir la moitié des gens haïr un parti et l’autre moitié haïr
l’autre parti. Tout ce qui est alors nécessaire est d’assurer à chaque parti
le même pouvoir apparent afin que les gens concentrent leur attention sur
leur haine du parti opposé sans percevoir ceux qui tirent les ficelles des
deux partis. Les rois demeureront toujours rois en restant invisibles. L’idée
n’est pas d’apaiser la colère du peuple, mais de la rediriger. Comme l’a dit
Friedrich Hayek,
« Un propagandiste de
talent a le pouvoir de plier leurs esprits dans la direction qu’il désire, et
même le plus intelligent et le plus indépendant des peuples ne peut pas
entièrement échapper à son influence s’il est isolé suffisamment longtemps de
toute autre source d’informations. »
Cette dernière phrase est à
retenir. Dans le monde d’aujourd’hui, nous disposons de la plus grosse
machine de propagande qui n’a jamais été inventée : la télévision. Au
travers de ce média, nous pouvons créer un problème majeur à partir d’un
incident minime, créer deux points de vue opposés destinés à séduire un
groupe ou l’autre, puis répéter suffisamment ces propagandes pour que le
peuple se trouve polarisé. Nous pouvons commencer par prendre un incident
mineur tel que celui survenu à Ferguson, dans le Missouri, en 2014 ;
puis désigner un groupe pour décréter sans équivoque que le problème est une
police caucasienne raciste, et un autre pour proclamer avec véhémence que le
problème est celui de Noirs sans foi ni loi. Comme l’a dit le Frère Adolf, il
suffit ensuite de répéter le mensonge suffisamment de fois – dans ce cas
précis, tous les jours, sept jours sur sept, aux informations, pendant plus
de six mois.
Missio accomplie. Le groupe
conservateur est plus persuadé que jamais que nous ayons besoin d’un
Etat-policier, alors que le groupe libéral refuse de parler d’autre chose que
de la lutte des classes et le besoin d’un collectivisme accru pour la
combattre.
Une fois que ce problème est
épuisé, il disparaît complètement pour laisser la place à un autre.
Comme je l’ai dit plus haut,
en créant ce moyen de propagande, nous avons créé des questions dans les
esprits des gens, auxquels nous avons ensuite fourni deux ensembles de
réponses – le premier pour intéresser les plus conservateurs, et le deuxième
pour intéresser ceux qui par nature sont plus libéraux. Si nous faisons bien
notre travail, ces groupes se polarisent au point de ne plus s’entrecroiser,
pas même en soirée. Aucun rassemblement ne peut plus impliquer libéraux et
conservateurs, sans quoi la situation tourne au désastre.
Les libéraux s’unifient dans
leur pensée, de la même manière que les conservateurs. Bien évidemment, ceux
qui ont l’esprit plus libertaire se trouvent vilipendés par les deux autres
groupes, parce qu’ils représentent une troisième alternative. (Le succès de
l’endoctrinement d’un peuple et de la destruction de sa capacité à raisonner
peut se mesurer par sa véhémence à rejeter un troisième ensemble d’opinions).
Mais le raisonnement doit être
constamment étouffé, sans quoi il risque de réapparaître. En 600 avant JC,
Lao Tzu l’avait déjà compris :
“The muddiest water is
cleared as it is stilled.”
«
D’où l’importance d’une
répétition incessante du message. L’incident de Ferguson n’aurait mérité
qu’une mention mineure dans les fils d’actualité, avec une mise à jour
peut-être une fois par semaine. Mais en en suspendant les conséquences (à
savoir si des accusations seraient portées contre le policier en question),
de l’huile a pu être ajoutée sur le feu des mois durant. Une fois que
l’utilité de l’incident s’est trouvée épuisée, il a fallu en créer un autre.
Bien évidemment, pour une population de 320 millions de personnes, une
fusillade mortelle tous les six mois n’est qu’un léger écart, mais au travers
du bombardement des cerveaux des téléspectateurs avec la même rhétorique,
deux évènements de ce type par an finissent rapidement à prendre des airs
d’épidémie.
Une fois que nous en arrivons
à ce niveau de contrôle de la pensée, il est possible d’offrir des candidats
complètement inacceptables aux élections présidentielles et d’en voir un
arriver au pouvoir. Tout ce qui est nécessaire pour ce faire est d’adopter la
même rhétorique dont le peuple est devenu dépendant comme remplacement pour
toute forme de réflexion.
Que ce soit en Russie
communiste, en Allemagne nazie ou en Amérique fasciste, une fois que les gens
sont suffisamment conditionnés pour permettre à Big Brother de leur dicter
leurs pensées, l’étape suivante a toujours été un régime totalitaire.