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"On finit toujours par payer la
facture de ses conneries."
Alain Chabat,
in Gazon Maudit
Lors du colloque
organisé par Alain Madelin et ses proches de l'institut Euro 92 le 13
Janvier dernier(*) à l'assemblée nationale, au cours duquel
j'ai eu le plaisir d'intervenir (brièvement) sur la force protectrice des mécanismes de marché,
mécanismes hélas massacrés par l'état, Charles Gave,
co-intervenant, a posé (entre autres) la question de l'avenir de
l'Euro. Selon lui, l'Euro est voué à exploser, car la
coexistence dans une monnaie unique de pays gouvernés aussi
différemment que la Grèce et l'Allemagne, n'est pas viable.
C'est sans aucun
doute un hasard, mais dans l'édition de mercredi, Le Monde pose
exactement la même question : l'Euro
peut-il éclater ? Pour citer des hauts
responsables européens qui excluent d'emblée une telle
éventualité. Tiens, JC
Trichet, notre grand argentier en chef, y va lui aussi de
son couplet lénifiant. Alors, la survie de l'Euro, une certitude ?
voire...
Autrefois,
lorsqu'un pays perdait en compétitivité, et/ou accumulait les
déficits, sa monnaie s'ajustait à la baisse contre celle des
autres pays adhérents au système de changes flottants. Avec
l'Euro, cet ajustement par le cours de la monnaie n'est plus possible.
Charles Gave estime que la sortie de l'Euro de certains pays du "club
med", conséquence de leur mauvaise gestion, est inéluctable.
Bien que les
tensions sur l'Euro soient importantes, je pense que le scénario
proposé par Charles Gave n'est pas le plus probable, mais que celui
qui risque de se produire est bien pire: je préférerais que
Charles Gave ait raison.
Notons qu'aux
USA, bien que des états en quasi faillite et incapables de trouver des
prêteurs (cf. mes
récents posts sur la
Californie) coexistent avec le
Texas ou la Caroline du Nord, en excédent, peu
touchés par la bulle, et qui s'opposent à un sauvetage des
états cigale par les états fourmis, personne ne parle de faire
sortir la Californie ou l'Illinois de la "zone dollar". L'on nous
répondra que la différence de forme entre l'économie
grecque et celle de l'Allemagne est plus importante que l'écart de
richesse entre le Missouri et New York. Certes, mais l'exemple
américain nous montre que des économies assez divergentes peuvent
co-exister avec une monnaie commune.
Allons plus loin,
et imaginons quels
sont les scénarios possibles pour l'Euro.
Que se
passerait-il si la Grèce -- par
exemple, mais le Portugal, l'Irlande, l'Espagne (qui
vient d'être dégradée par S&P), l'Italie, et pourquoi pas la
France, pourraient être intégrés à la
démonstration --, du fait de la méfiance croissante
des prêteurs à son encontre, venait à ne plus trouver
assez de fonds pour refinancer sa dette ? Plusieurs solutions s'offrent
à elle.
Scénario 1
:
La première, la plus douloureuse politiquement à court terme,
consiste à se déclarer en défaut de paiement, et
à renégocier sa dette avec ses créanciers, avec ou sans
l'aide du FMI. En contrepartie, le gouvernement grec devra dégraisser
ses effectifs, réduire la paie de ses fonctionnaires, interrompre des
contrats, vendre des actifs pour rembourser ses créanciers... Ou alors
déclarer une banqueroute sur une fraction de sa dette, ce qui signifie
une fermeture de l'accès aux marchés de capitaux tant que sa
situation intérieure n'est pas assainie et que les créanciers
ne revoient pas leur argent, sans parler d'un risque de faillite de
nombreux investisseurs institutionnels locaux, fortement créanciers
(souvent de par la loi) en papier de l'état national.
Scénario 2
: Autrefois,
la Grèce aurait eu une échappatoire à cette issue
terrible: spolier ses créanciers en laissant dévaluer la
Drachme (le drachme ?), c'est à dire en faisant racheter la dette de
l'état grec par sa banque centrale qui aurait remboursé en
imprimant des billets. Tant de signes monétaires mis en circulation
sans création de valeur en contrepartie diviserait considérablement
la valeur unitaire de la monnaie. Cela aurait d'un coup
considérablement renchéri le coût des produits
importés, amputé d'autant le pouvoir d'achat des grecs, cela
aurait relancé l'inflation dans la péninsule, mais aurait
permis de conserver l'illusion d'un remboursement de la dette nationale, avec
une monnaie ayant perdu une grande partie de sa valeur. Et la vie
continuerait...
Dans la zone
Euro, cela est fort heureusement impossible, pour l'instant: les statuts de
la BCE interdisent tout "bailout"
inflationniste, en rachetant la dette de pays membres insolvables. Et l'on
peut compter sur les allemands pour empêcher à tout prix que la
monnaie des vertueux teutons ne soit dépréciée pour
faire plaisir aux indisciplinés héllènes.
Scénario 2
bis :
Voilà qui fait dire à certains que des pays comme la
Grèce pourraient précipitamment sortir de l'Euro, voire en
être expulsés, et revenir à la Drachme, qu'ils pourraient
alors dévaluer, revenant de fait au scénario 2.
Qu'il me soit
permis, toutefois, de douter de la faisabilité de ce scénario.
Un changement de monnaie est une affaire difficile, préparé de
longue date, je vois mal la Grèce répétant
l'opération inverse de celle effectuée il y a quelques
années en quelques semaines, dans la précipitation et sous un
risque constant de faillite.
Ce qui
condamnerait la Grèce au scénario 1, c'est à dire peu ou
prou celui que vit la Californie en ce moment.
A moins que...
Scénario 3
:
imaginons que tous les pays méditerranéens de la zone Euro,
plus l'Irlande, soient au bord de la banqueroute. Au train où vont les
sauvetages de banques, de constructeurs automobile et de secteurs
d'activité en faillite, rien de ceci n'est totalement impensable sous deux ans
(à moins que ce
ne soit deux mois, en ce moment, faire du timing prévisionnel est
hasardeux). Qui l'eut cru il y a quelques mois ? enfin...
Dans ce cas, la
pression politique pour changer les statuts de la BCE, pour la contraindre
à racheter les dettes des états en faillite, et la rembourser
en euro-de-singe, en fausse monnaie légale, sera énorme. Le
scénario 3 reviendrait à étendre à toute la zone
Euro le scénario envisagé en 2 pour un seul pays.
Mais... il y a un
mais, me direz vous.
Scénario 3
bis:
dans ce cas, les pays les plus vertueux ne seraient ils pas tentés de
sortir de l'Euro et de revenir à leur Deutschmark ou similaire,
géré vertueusement, pour éviter la débâcle
générale ? Autrement dit, au lieu de voir des pays quitter
l'Euro par le bas comme dans le scénario 2bis, ne verrait-on pas des
pays quitter l'Euro "par le haut" ?
Là encore,
le scénario me paraît improbable, car ni l'Allemagne, le Benelux
ou le Danemark ne peuvent apparaître comme des modèles de vertu
en ce moment. Eux aussi ont dû (enfin, ont cru devoir)
"sauver" des banques en faillite, ont dû financer ou garantir
des établissements très mal en point.
Ajoutons que la
mondialisation des mouvements de capitaux ne laissera pas indemnes leurs
banques déjà fortement touchées si les finances
publiques de pays comme l'Espagne ou la France partent en vrille. Et que
leurs gouvernements, engagés dans la folie "relanciste",
seront eux même en proie à de très grandes
difficultés.
Alors gageons que
l'Allemagne, le Danemark, le Benelux, ne résisteront que mollement
à la volonté politique croissante de l'union des états
en détresse financière de reprendre la main sur la BCE, dont
ils sont actionnaires, dussent-ils marcher sur la tête de Jean-Claude
Trichet.
Par
conséquent, il parait tout à fait possible qu'un rachat massif
par les états de créances privées insolvables, suivies
d'un rachat massif de dettes publiques par la BCE, en billets imprimés
(en fait, créés électroniquement) sans valeur
créée en contrepartie, se produise dans les quelques
années à venir. Et là, l'inflation à deux
chiffres, que l'on croyait enterrée dans les tréfonds de
l'inconscient collectif des années 70, reviendra au galop. Vous
craignez la déflation ? Attendez de redécouvrir l'inflation, et
vous saurez que vos peurs n'étaient pas les bonnes ! L'Euro sera
"sauvé" en apparence, mais à quel prix pour les
euro-prisonniers ?
Certains
affirmeront que cette hypothèse contredit celle d'une déflation
longue, telle que défendue par exemple par Loïc Abadie,
l'excellent analyste de Tropical Bear.
Pas forcément. Il est normal que la contraction présente du
crédit, donc de la "monnaie de crédit", favorise une
tendance baissière des prix actuellement. Mais lorsque les sommes
créées par jeu d'écriture dans les comptes des banques
par la BCE commenceront à ressortir des comptes, et que le rachat de
dettes publiques par les banques centrales commencera à prendre de l'ampleur,
si mon analyse est bonne, alors cette tendance s'inversera. Bien malin celui
qui pourra dire avec certitude "quand".
A moins qu'un
scénario 4 ?... allez, rêvons un peu.
Ah, le scénario 4, qui serait à l'Europe ce que le plan C
aurait été à la constitution Européenne. Vous en
rêvez ? Les politiciens ne le feront pas, mais abordons le tout de
même:
Les gouvernements
européens, ayant consulté Charles Gave, Alain Madelin et
Vincent Bénard -- mes
tarifs sont disponibles sur demande spéciale par mel ;-))
--, se rendent compte que leurs folies budgétaires ne peuvent durer,
et bravant leurs syndicats, leurs jeunesses d'extrême gauche
prêtes à s'enflammer et leurs électeurs, se lancent de
façon coordonnée dans un plan drastique de réduction des
dépenses publiques et de baisse des impôts concomitantes, en
ciblant les impôts les plus pénalisants pour la formation de
capital et la rémunération du succès entrepreneurial. En
agissant ainsi AVANT la débâcle budgétaire, ils rassurent
les marchés, et continuent de trouver des prêteurs pour
refinancer leur ancienne dette, qu'ils tendent à réduire. La
crise qui s'ensuit est dure, mais plus courte, et le rebond des
économies dès 2011-2012 est fulgurant. Dans un accès de
sagesse inespéré, la conférence sur la finance
internationale arrive à la conclusion que le retour à
l'étalon or est la seule solution raisonnable pour éviter la
formation de futures bulles de crédit dévastatrices. Le plan
carbone, jugé inutilement dispendieux, est abandonné, les
subventions agricoles démantelées, les dernières
entraves à l'émergence d'un véritable marché
Européen des services sautent...
Et comme je l'ai
déjà écrit, les vaches
se mettent à voler (cf. photo).
Vous comprenez,
à la lecture de ce dernier scénario de pure science fiction,
pourquoi le scénario 3 me parait le plus probable. C'est aussi celui
qui devrait prévaloir aux USA, où la "folie
injectrice" (expression de F.Boizard) ne semble plus avoir de limite, et
où les banques continuent leur folle chute.
Et franchement,
le scénario 2 (celui de Charles Gave) m'apparaitrait bien
préférable au numéro 3. Et le scénario 1, encore
préférable. Quant au 4... mais assez déliré, je
me fais du mal.
A noter: J'invite tout
lecteur ayant en réserve un scénario 5 si possible optimiste et
réaliste, ou à défaut, comique, à le faire
connaître au plus vite afin d'éviter à l'audience
croissante de ce blog une crise de déprime profonde.
Quoiqu'il en
soit, l'Euro a une probabilité que je juge non négligeable de
mourir, ou, plus sûrement encore, de dépérir par
résurgence du cancer inflationniste**. Tel est le prix à payer
pour avoir élu, réélu et réélu sans
réagir des gouvernants qui ont cru pouvoir manipuler les
économies pour les conformer à tout prix à leurs utopies
politiques, le tout à crédit. "On finit toujours par payer la facture de ses
conneries". La notre ne va pas tarder à arriver.
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* Le colloque
n'était ouvert qu'aux soutiens actifs des instituts Euro92, Hayek et
Turgot, d'où l'absence de publicité élargie sur ce blog
et ailleurs. Une façon de récompenser ceux qui nous
soutiennent. Turgot mettra dès que possible en ligne la vidéo.
Featuring, par ordre d'apparition, Henri Lepage, Alain Madelin, Charles Gave,
Jean-Jacques Rosa, et votre serviteur, avec en guest star Philippe
d'Arvisenet.
** Petit message
personnel : Je rends
hommage à la préscience de mon père qui m'avait dit en
substance lors du référendum de 1992 (j'avais 24 ans... soupir)
qui consacrait la marche vers la monnaie unique, qu'il voterait contre, car,
"tant que l'Italie et la Grèce doivent gérer leur lire et
leur drachme, ils devront soit faire preuve de rigueur, soit être
sanctionnés par la chute de leur monnaie pour leurs inepties
économiques. Avec l'Euro, ils seront encouragés à
l'irresponsabilité, les Allemands et les pays du nord finançant
l'incurie du sud par leur sérieux. Ca ne pourra pas durer à
terme. L'euro est une construction artificielle qui ne fera pas illusion
longtemps". J'aurais dû l'écouter, tiens, au lieu de voter
grégairement "oui" dans un élan d'euro-optimisme
béat.
Vincent
Bénard
Objectif Liberte.fr
Egalement par Vincent Bénard
Vincent Bénard, ingénieur
et auteur, est Président de l’institut Hayek (Bruxelles, www.fahayek.org) et Senior Fellow de Turgot (Paris, www.turgot.org), deux thinks tanks francophones
dédiés à la diffusion de la pensée
libérale. Spécialiste d'aménagement du territoire, Il
est l'auteur d'une analyse iconoclaste des politiques du logement en France, "Logement,
crise publique, remèdes privés", ouvrage publié
fin 2007 et qui conserve toute son acuité (amazon), où il
montre que non seulement l'état déverse des milliards sur le
logement en pure perte, mais que de mauvais choix publics sont directement
à l'origine de la crise. Au pays de l'état tout puissant, il
ose proposer des remèdes fondés sur les mécanismes de
marché pour y remédier.
Il est l'auteur du blog "Objectif
Liberté" www.objectifliberte.fr
Publications :
"Logement: crise publique,
remèdes privés", dec 2007, Editions Romillat
Avec Pierre de la Coste : "Hyper-république,
bâtir l'administration en réseau autour du citoyen", 2003, La
doc française, avec Pierre de la Coste
Publié avec
l’aimable autorisation de Vincent Bénard – Tous droits
réservés par Vincent Bénard.
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