Le précédent
billet a montré que l’évasion fiscale est un
bouc-émissaire, qui détourne l’attention publique des
véritables causes de déficits budgétaires. Nous avons vu
à cette occasion que d’un point de vue économique, il
n’y a pas de différence entre l’évasion fiscale et
une réduction d’impôt. Cette observation soulève
une question qui doit être davantage discutée : quelles sont les
conséquences économiques de l’évasion
fiscale ?
Pour
répondre à cette question, partons de l’observation
suivant laquelle le débat sur l’évasion fiscale vise
essentiellement la différence entre les revenus attendus et ceux qui
rentrent effectivement dans les caisses de l’État. On considère
habituellement que cette différence est un « manque
à gagner » pour les États. Tâchons maintenant
de comprendre si les conséquences économiques de ce manque
à gagner sont assez néfastes pour justifier l’acharnement
contre l’évasion fiscale, manifesté depuis plusieurs
années par les membres du G20 et plus largement l’ensemble des États
endettés.
Pour
commencer, il faut expliciter le présupposé fondamental
censé appuyer l’idée selon laquelle
l’évasion fiscale est préjudiciable aux États. On suppose
habituellement que les impôts dus à l’État selon le
taux légal en vigueur seraient mieux gérés par les États
que par les individus eux-mêmes.
Soit dit en
passant, si la gestion publique était préférable
à la gestion privée pour ce qui est des impôts au niveau
du taux légal, alors le même raisonnement devrait s’appliquer
pour tous les revenus. Si la gestion publique était en principe plus
efficace d’un point de vue économique que la gestion
privée, pourquoi ne pas lui confier toutes les ressources et non
seulement une partie ?
Mais laissons
de côté cette question rhétorique pour nous concentrer
davantage sur l’idée selon laquelle une gestion publique serait
supérieure à une gestion privée des ressources.
Dans cette
perspective, il importe d’observer qu’il est impossible
d’évaluer objectivement l’utilité de la gestion publique.
Il est de fait impossible de comparer le bien-être et les coûts
d’opportunités de ceux qui sont avantagés ou
désavantagés par la redistribution de ressources
opérée à travers la taxation.
En plus, il est
impossible de déterminer qui sont les bénéficiaires et
les contribuables nets, notamment dans la mesure où les biens et les
services fournis par l’État n’ont pas de prix de
marché, et parce que certains secteurs sont monopolisés tandis
que certains acteurs jouissent de privilèges.
Concrètement,
il est impossible de dire si les impôts payés par chacun
d’entre nous sont inférieurs ou supérieurs à la
valeur de la totalité des services et des biens publics dont on
bénéficie. De ce fait, il est impossible de savoir si en
échange des impôts payés, on obtient des services et biens publics meilleurs
que ceux que l’on aurait pu obtenir à travers un paiement individuel
et volontaire.
Si on doit cependant
trouver un paramètre pour évaluer l’utilité de la
gestion publique des ressources, qui pourrait être un meilleur juge que
celui qui fourni les ressources en question ?
Lorsqu’on
se place du point de vue des échelles de préférence de
chaque contribuable, on peut conclure assez aisément que c’est
seulement lorsque les individus effectuent des paiements volontaires
qu’ils démontrent à travers leur action leur propre
préférence pour des biens et des services. Mais les
impôts étant par définition obligatoires (l’expression
« impôt volontaire » est une contradiction dans
les termes), nous n’avons pas la possibilité
d’évaluer positivement l’utilité des services et
des biens produits par les États. Compte tenu de ce paramètre,
la perception de la qualité des services et des biens publics ne
saurait être évaluée que de manière
négative : en montrant son désaccord. L’évasion
fiscale est peut être ainsi l’unité de mesure la plus
efficace dont nous disposions pour évaluer l’utilité des
politiques publiques.
En conclusion,
il n’est pas possible de montrer que l’évasion fiscale
aurait des conséquences économiques néfastes. Par
contre, elle s’avère avoir une utilité
insoupçonnée : évaluer négativement les
politiques publiques. Ainsi, la pression exercée par les membres du
G20 pour enrayer l’évasion fiscale effacerait du même coup
les traces de la perception d’une mauvaise gestion des ressources
publiques.
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