Nous avons
expliqué dans un
précédent article qu'une banque centrale productrice de
monnaie-papier à cours légal est exempte de la sanction
économique qu’est la
faillite. Mais nous y avons également évoqué la
possibilité d'une insolvabilité au sens comptable. Ce
deuxième article développe davantage ce dernier point.
L'insolvabilité
comptable dont il est question ici consiste en une érosion de la
valeur des actifs détenus par une banque centrale au-delà du
montant de ses capitaux propres. C'est une situation plausible de nos jours
en ce qui concerne certaines banques centrales de la zone euro, notamment
celles de la périphérie (Grèce, Portugal, Irlande, voire
même Italie et Espagne).
Cette
érosion de la valeur des actifs de la Banque centrale peut être
due à un ensemble de facteurs. D'une part, les banques commerciales
qui ont bénéficié d'un refinancement par le
prêteur un dernier ressort pourraient se retrouver insolvables et donc
incapables de rembourser ces actifs qui dès lors pourraient perdre
tout ou partie de leur valeur. Dans ce cas de figure, et du fait même
de leur insolvabilité, un n-ième
refinancement leur serait refusé, et la banque centrale
récupérerait, en tout et pour tout, la valeur de la garantie
donnée par la banque commerciale. Seulement, la valeur marchande du
titre financier qui a garanti ce prêt pourrait elle-même se
trouver fort dépréciée, de sorte que des pertes
comptables apparaîtraient au bilan de la banque centrale.
Un
deuxième facteur, dont la puissance a été temporairement
atténuée par les deux opérations de refinancement de
très long terme, est la dépréciation des actifs
marchands, c.à.d. les obligations d'État et privées en
euros ou en devises étrangères, que la banque centrale
détient directement. En principe, des provisions pour
dépréciation doivent être constituées
régulièrement, et il n'est pas exclu que la valeur
cumulée de ces provisions dépasse le capital propre de la
banque centrale.
Somme toute, en
refinançant les agents économiques (banques, États,
entreprises d'assurance, etc.), et donc en créant de la monnaie, les
banques centrales acquièrent des actifs sur ceux-là et
s'exposent au risque de dépréciation de ces actifs. La source
concrète de ce risque importe peu et varie selon le cas historique
particulier (risque de crédit, de taux ou de change). Ce qui importe,
c'est que le capital d'une banque centrale peut se révéler
insuffisant pour parier des pertes comptables
sur la valeur de ses actifs.
Ce qu'il nous
faut analyser maintenant, c'est précisément cela. Dans quelle
mesure une telle éventualité, si elle arrivait à se
produire dans un pays de la zone euro ou ailleurs, aurait-elle une incidence
réelle quelconque?
Nous soutenons
qu'une telle insolvabilité comptable d'une banque centrale serait sans
incidence sur la banque centrale elle-même, mais qu'elle importerait
énormément du point de vue de la société.
La
considération majeure qu'il faut rappeler, et qui reste bien trop
ignorée dans les débats,
est qu'une banque centrale n'a
pas à réaliser ses actifs pour rembourser ses passifs. Ceci
implique deux choses.
Primo, la
notion de valeur marchande perd tout son sens pour un actif détenu par
une banque centrale. En effet, si elle n'a pas à vendre ses actifs
pour rembourser ses passifs, en quoi une banque centrale serait-elle
concernée par la valeur marchande de ses actifs? Quelle que soit leur
valeur, elle est de fait toujours satisfaisante pour qui n'en a pas besoin,
et tel est bien le cas d'une banque centrale.
Secundo, une
banque centrale n'a pas à rembourser ses passifs. Lorsqu'un individu
lui présente des billets pour remboursement, ou lorsqu'une banque
commerciale désire retirer ses fonds, les paiements s'effectuent
toujours dans cette même monnaie dont on demande le remboursement. La
monnaie-papier inconvertible a précisément cela
d'extraordinaire que son émetteur ne peut jamais se retrouver dans la
difficulté de la rembourser, car tout simplement elle ne se rembourse
en rien d'autre qu'elle-même.
Il s'ensuit que
l'insolvabilité comptable, bien que plausible et peut-être
bientôt réelle en zone euro, n'implique pas en soi une faillite
économique de la banque centrale. Pour celle-ci, elle reste un
problème comptable qui peut être résolu par des
subterfuges également comptables. Par exemple, et non sans tort comme
nous venons de le voir, une banque centrale peut suspendre
l'évaluation de ses actifs selon leur valeur de marché. Elle
pourrait y substituer la notion plus ou moins arbitraire, et donc plus ou
moins accommodante, de valeur économique de long-terme. Elle pourrait
aussi chercher une dérogation à la règle d'opérer
avec des capitaux propres positifs. Enfin, des schémas de
recapitalisation pourraient être mis en place, selon lesquelles la
banque centrale échangerait ses propres actions contre des titres de
dette.
Seulement, si
le trou comptable peut être facilement rebouché, il n'est pas
vrai qu'il n'a aucun impact économique sur la société.
L'origine de ce trou, si jamais il est révélé, tient
à ce que la banque centrale a déjà distribué des
cadeaux sous la forme d'achats d'actifs au-delà de ce que des
acheteurs potentiels auraient payé sur un marché non
entravé. Comme ces cadeaux ont déjà impliqué une
hausse de la masse monétaire, ils sont de fait payés par les
détenteurs d'encaisses monétaires dont le pouvoir d'achat,
c.à.d. le nombre et la qualité de biens et services qu'elles
peuvent acheter, diminue.
L'érosion
comptable des capitaux propres d'une banque centrale est donc
supportée économiquement par les utilisateurs mêmes de la
monnaie. C'est le degré de compréhension de ce fait et son
acceptation ou non par la population qui déterminent la
longévité d'une banque centrale. Ce dernier point sera
développé dans un troisième et dernier article sur ce
sujet.
Suite de l’article :
la
faillite des banques centrales, épilogue
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