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Titre original : "Gold
and Economic Freedom". D'abord paru
dans The Objectivist de juillet 1966 puis dans in Ayn Rand et al. : Capitalism :
The Unknown Ideal. New
York : New American Library, 1967. Traduit par François Guillaumat.
Un
antagonisme presque hystérique à l'encontre de l'étalon
or est ce qui unit les étatistes de toute livrée. On dirait
qu'ils sentent peut-être plus clairement et plus subtilement que bien
des défenseurs cohérents du laissez-faire - que l'or et la
liberté économique sont inséparables, que
l'étalon or est un instrument du laissez-faire et que l'un implique et
nécessite l'autre.
Pour
comprendre la source de leur hostilité, il faut d'abord comprendre le
rôle spécifique de l'or dans une société libre.
La
monnaie est le dénominateur commun de toutes les transactions
marchandes. C'est la marchandise qui sert de moyen d'échange, qui est
universellement acceptable comme paiement de leurs biens et services par les
parties prenantes à une économie, et peut donc servir comme
repère de la valeur marchande et comme réserve de valeur,
c'est-à-dire comme moyen d'épargne.
L'existence
d'une telle marchandise est une condition préalable à
l'existence d'une économie de division du travail. Si les hommes
n'avaient pas un produit ayant une valeur objective et
généralement acceptable comme monnaie, ils devraient avoir
recours à un troc primitif, seraient forcés de vivre dans des
fermes autosuffisantes et de renoncer aux avantages inestimables de la
spécialisation. Si les hommes n'avaient aucun moyen d'accumuler de la
valeur, c'est-à-dire d'épargner, ni les plans à long
terme ni l'échange ne seraient possibles.
L'instrument
d'échange qui sera acceptable par tous les participants à une
économie n'est pas déterminé arbitrairement. Pour
commencer, il faut que ce moyen d'échange soit durable. Dans une
société primitive de petits moyens, le blé pourrait
être suffisamment durable pour jouer ce rôle d'instrument, car
tous les échanges n'auraient lieu que durant la moisson et
immédiatement après elle, ne laissant aucun surplus de valeur
à stocker. Mais là où les considérations de
stockage de la valeur sont importants, comme dans des sociétés
plus riches, plus civilisées, il faut que le moyen d'échange
soit un produit durable, en général métallique. On
choisit généralement un métal, parce qu'il est
homogène et divisible : chacune de ses unités peut être
identique à l'autre, et on peut le fondre ou le frapper dans n'importe
quelle quantité.
Plus
important, il faut que la marchandise choisie comme instrument
d'échange soit un bien de luxe. Le désir humain pour le luxe
est illimité, de sorte qu'il y aura toujours une demande pour les
biens de luxe, qui seront toujours acceptables. Le blé est un luxe
dans les civilisations mal nourries, mais pas dans une société
prospère. Les cigarettes, normalement, ne servent pas de monnaie, mais
elles l'ont fait en Europe à la suite de la deuxième guerre
mondiale. Le terme de "bien de luxe" implique la rareté et
une grande valeur à l'unité. Ayant une grande valeur à
l'unité, un tel bien est facile à porter. Par exemple, une once
d'or vaut une demi-tonne de fonte.
Au
cours des premières étapes du développement d'une
économie monétaire, il est possible que plusieurs instruments
d'échange soient utilisés en même temps, un grand nombre
de marchandises pouvant satisfaire aux conditions précitées.
Cependant, l'une d'entre elles finira progressivement par remplacer les
autres. Les préférences quant à ce qu'il convient de
détenir comme réserve de valeur se porteront sur la marchandise
la plus acceptable, ce qui contribuera à son tour à la rendre
encore plus acceptable. Le report se fait progressivement, jusqu'à ce
que cette marchandise soit devenue le seul instrument d'échange.
L'emploi d'un instrument unique est hautement avantageux, pour la même
raison qui fait qu'une économie monétaire est supérieure
à une économie de troc : cela rend possibles les
échanges à une incomparablement plus grande échelle.
Savoir si cet instrument unique est l'or, l'argent, les coquillages,
le bétail ou le tabac est un choix ouvert : cela dépend du
contexte et du niveau de développement d'une économie
donnée. En fait, tous ont été utilisés, à
un moment ou à un autre, comme instruments d'échange. Au cours
même de ce siècle, deux marchandises principales, l'or et
l'argent, ont été utilisées comme instruments
d'échange internationaux, l'or devenant finalement dominant. L'or,
avec ses emplois artistiques et fonctionnels, relativement rare, a toujours
été considéré comme un bien de luxe. Il est
durable, transportable, homogène, divisible, et possède donc
des avantages notables sur tous les autres instruments d'échange.
Depuis le début de la première guerre mondiale, c'est
pratiquement le seul instrument d'échange international.
Si
tous les biens et services devaient être payés en or, il serait
difficile de régler les montants élevés, et cela
entraverait l'extension de la division du travail et de la
spécialisation dans la société. Ainsi, la
conséquence logique de la création d'un instrument
d'échange est le développement d'un système bancaire et
d'instruments de crédit (billets de banque et dépôts) qui
sont convertibles en or et lui servent de substitut.
Un
système de banque libre fondé sur l'or est capable de faire du
crédit et ainsi de créer des billets de banque et des
dépôts, en réponse aux besoins de production de
l'économie. Le paiement d'intérêt incite les individus
propriétaires de l'or à en faire le dépôt dans une
banque (dépôt sur lequel ils peuvent tirer des chèques).
Cependant, comme il est rare que les déposants désirent tous
retirer leur or au même moment, le banquier n'a besoin de conserver
qu'une partie de cet or en réserves. Cela permet au banquier de
prêter au-delà du montant déposé en or (ce qui
veut dire qu'il détient des créances en or et non de l'or en
garantie de ses dépôts). Cependant, le montant des prêt
qu'il peut faire n'est pas arbitraire : il est tenu de l'estimer en fonction
avec ses réserves et de l'état de ses investissements.
Lorsque les banques prêtent de l'argent pour financer des
entreprises productives et rentables, les prêts sont rapidement remboursés
et le crédit bancaire demeure généralement disponible.
Mais lorsque les entreprises financées par le crédit bancaire
sont moins rentables et plus difficilement remboursables, les banquiers se
rendent vite compte que leurs prêts sont excessifs relativement
à leurs réserves en or, et ils commencent à freiner
leurs nouveaux prêts, généralement en exigeant des taux
d'intérêt plus élevés. Cela tend à
restreindre le financement de nouveaux projets et exige des emprunteurs
existants qu'ils accroissent leur rentabilité s'ils veulent obtenir du
crédit pour de nouvelles extensions. Ainsi, sous le régime de
l'étalon-or, un système de banque libre apparaît dans une
économie comme le protecteur de la stabilité et d'une
croissance économique équilibrée.
Lorsque
tous les pays, ou la plupart d'entre eux, acceptent l'or comme leur
instrument d'échange, un étalon-or international libre
d'entraves contribue à promouvoir le commerce international le plus
étendu et la plus large division du travail. Alors même que les
unités d'échange (le dollar, la livre, le franc) sont
différentes d'un pays à l'autre, lorsque toutes sont
définies en termes d'une masse d'or les économies des
différentes nations se comportent comme une seule - aussi longtemps
qu'il n'y a pas de restrictions sur les échanges ni sur les mouvements
de capitaux. Le crédit, les taux d'intérêt, les prix ont
tendance à évoluer de la même manière dans tous
les pays. Par exemple, si les banques d'un pays accroissent trop largement
leurs crédits, les taux d'intérêt diminuent dans ce pays,
ce qui pousse les déposants à transférer leur or dans
des banques qui paient davantage dans les autres pays. Cela créera
immédiatement une insuffisance de réserves bancaires dans le
pays "expansionniste", imposant des normes plus strictes
d'attribution des crédits et une remontée des taux
d'intérêts au niveau concurrentiel.
Un système bancaire entièrement libre et un
étalon-or pleinement homogène n'ont toujours pas
été réalisés. En revanche, avant la
première guerre mondiale, le système bancaire des Etats-Unis
(et dans la plupart du monde) était fondé sur l'or, et
même si les hommes de l'Etat intervenaient de temps en temps, le
système bancaire était plus libre que contrôlé. De
temps en temps, à cause d'une trop rapide expansion de crédit,
les banques prêtaient au-delà de leur limite de réserves
en or, les taux d'intérêt s'élevaient fortement, les
nouvelles attributions de crédit étaient interrompues, et
l'économie subissait une récession brutale, mais de courte
durée (comparées aux récessions de 1920 et 1932, les
ralentissements de l'activité d'avant 1914 étaient vraiment
très bénins). C'était la limite aux réserves en
or qui stoppait les expansions déséquilibrées de
l'activité productive, avant qu'elles ne puissent se changer dans le
type de désastre qu'on a connus après la première guerre
mondiale. Les périodes de
réajustement étaient courtes et les économies
recouvraient rapidement une base saine pour reprendre l'expansion.
Malheureusement, on avait commis l'erreur de prendre le processus
d'assainissement pour la maladie même : si c'est le manque de
réserves bancaires qui cause un ralentissement de l'activité -
prétendaient les interventionnistes - pourquoi ne pas trouver un moyen
d'en fournir davantage, de sorte que les banques n'aient jamais à en
manquer ! Si les banques pouvaient continuer d'accroître leurs
crédits indéfiniment, prétendait-on, on n'aurait plus
jamais à souffrir des récessions. C'est ainsi que le
Système de Réserve Fédérale fut institué
en 1913. Il était fait de douze banques régionales de
Réserve Fédérale nominalement possédées
par des banquiers privés, mais en fait voulues,
contrôlées et soutenues par les hommes de l'Etat. Le
crédit accordé par ces banques est en pratique (même s'il
ne l'est pas légalement) garanti par le pouvoir d'imposer du
gouvernement fédéral. Techniquement, nous conservions
l'étalon-or. Les particuliers étaient libres de posséder
de l'or, et l'or servait toujours de réserve pour les banques. Mais en
outre, en plus de l'or, le crédit accordé par les banques de la
Réserve Fédérale (les "réserves de
papier") pouvaient servir de monnaie
légale pour payer les déposants.
Lorsque
l'activité aux Etats-Unis connut un léger ralentissement en
1927, la Réserve Fédérale créa davantage de
réserves de papier dans l'espoir de prévenir toute insuffisance
de réserves bancaires. Plus désastreuse, cependant, fut l'aide
que la Réserve Fédérale tenta d'apporter à la
Grande-Bretagne dont l'or fuyait aux Etats-Unis parce que la Banque
d'Angleterre refusait de monter les taux d'intérêt comme
l'exigeaient les conditions du marché (c'était politiquement
inopportun). Le raisonnement des autorités impliquées
était le suivant : si la Réserve Fédérale injecte
des réserves supplémentaires dans le système bancaire
américain, les taux d'intérêt aux Etats-Unis tomberont
à un niveau comparable à ceux de la Grande-Bretagne ; cela
contribuera à stopper les pertes d'or de la Grande-Bretagne et lui
épargnera l'inconvénient politique d'avoir à remonter
les taux.
Le
but de la "Fed" fut atteint : elle réussit à
arrêter la perte d'or, mais s'arrangea en même temps pour
quasiment détruire les économies du monde entier.
L'excès de crédit que la Fed injectait dans l'économie
se déversait sur les marchés financiers, y provoquant une
fantastique hausse spéculative. Avec retard, les responsables de la
Réserve Fédérale tentèrent d'éponger les
réserves en excès et réussirent finalement à
freiner la hausse. Mais c'était trop tard : dès 1929 les
déséquilibres spéculatifs étaient devenus si
écrasants que cette tentative provoqua un reflux rapide et une
démoralisation des entrepreneurs. Et l'économie
américaine s'effondra. La Grande-Bretagne s'en tira encore plus mal,
et plutôt que de subir les conséquences de sa folie passée,
elle abandonna tout à fait l'étalon-or en 1931,
détruisant ce qui restait de la confiance et déclenchant des
faillites en cascade dans le monde entier. L'économie du monde
s'enfonça dans la grande dépression des années 1930.
Avec
une logique qui rappelait celle de la génération
précédente, les étatistes prétendirent que
l'étalon-or était largement responsable de la
débâcle du crédit qui avait conduit à la grande
dépression. Ils firent valoir que si l'étalon-or n'avait pas
existé, l'abandon de ses paiements d'or par la Grande-Bretagne n'aurait
pas provoqué ces faillites bancaires dans le monde entier (l'ironie
était que, depuis 1913, nous n'étions plus dans un
système d'étalon-or, mais dans ce qu'on pourrait appeler un
semi-étalon-or ; mais c'est à l'or qu'on a fait porter le
chapeau).
Cependant,
l'opposition à l'or comme étalon monétaire sous quelque
forme que ce soit - venant d'un nombre croissant de partisans de
l'Etat-providence - était inspirée par une idée bien
plus subtile : par la compréhension du fait que l'étalon-or est
incompatible avec un déficit budgétaire chronique (qui
caractérise l'Etat-providence). Débarrassé de son jargon
universitaire, Etat-providence n'est absolument rien d'autre qu'un
mécanisme par lequel les hommes de l'Etat confisquent la richesse des
membres productifs de la société pour financer un grand nombre
de combines redistributives. Une bonne par de cette
confiscation se fait par l'impôt. Mais les étatistes se sont
vite rendus compte que s'ils voulaient rester au pouvoir, il leur fallait
limiter l'imposition visible et avoir recours à des déficits
budgétaires massifs, c'est-à-dire emprunter l'argent, en
émettant des obligations d'Etat, pour financer des dépenses
"sociales" à grande échelle.
Sous
un régime d'étalon-or, le montant de crédit qu'une
économie peut soutenir est déterminé par les actifs
réels de cette économie : tout instrument de crédit est
en dernière analyse une créance sur quelque actif réel.
mais les obligations d'Etat ne sont pas adossées à une richesse
réelle : ce n'est qu'une promesse faite par les hommes de l'Etat de
rembourser sur les recettes fiscales à venir, et les marchés
financiers ne peuvent pas facilement l'absorber. On ne peut vendre au public
une quantité massive de bons du Trésor qu'à des taux d'intérêt
de plus en plus élevés. De sorte que le déficit
budgétaire est sérieusement limité dans un
système d'étalon-or.
L'abandon
de l'étalon-or permettait aux étatistes de se servir du
système bancaire pour une expansion illimitée du crédit.
Ils ont créé des réserves de papier, sous forme d'obligations
d'Etat, que les banques - par une suite d'étapes compliquées -
acceptent comme s'il s'agissait d'actifs réels et traitent comme s'il
s'agissait de dépôts authentiques, c'est-à-dire comme
l'équivalent de ce qu'était autrefois un dépôt en
or. Le détenteur d'une obligation d'Etat ou d'un dépôt
bancaire créé à partir de réserves de papier
s'imagine qu'il a une créance valable sur un actif réel. mais
le fait est qu'il y a maintenant davantage de créances
distribuées que d'actifs existants.
On
ne triche pas avec la loi de l'offre et de la demande. A mesure que l'offre
de monnaie (de créances) augmente relativement au stock de biens
réels dans l'économie, il faut que les prix finissent par
monter. De sorte que les revenus épargnés par les membres productifs
de la société perdent de la valeur en termes de biens.
Lorsqu'on finit par boucler les comptes de l'économie, on se rend
compte que cette perte de valeur représente les produits
achetés par les hommes de l'Etat à des fins redistributives
ou autres avec l'agent des obligations d'Etat financées par
l'expansion du crédit bancaire.
En l'absence d'un étalon-or, il n'existe aucun moyen de
protéger l'épargne contre la confiscation par l'inflation. Il
n'existe aucune réserve de valeur fiable. S'il y en avait une, il
faudrait que les hommes de l'Etat déclarent sa détention
illégale, comme ils l'ont fait dans le cas de l'or. Si tout le monde décidait, par
exemple de convertir tous ses dépôts bancaires en argent, ou en
cuivre ou dans toute autre marchandise, et refusait ensuite d'accepter des
chèques en paiement d'autres produits, les dépôts
bancaires perdraient leur pouvoir d'achat et le crédit bancaire
créé par les hommes de l'Etat deviendrait sans valeur comme
moyen d'obtenir des biens. La politique financière de
l'Etat-providence nécessite par conséquent qu'il n'existe aucun
moyen de se protéger pour les détenteurs de richesses.
Voilà
donc le minable secret de ces tirades étatistes contre l'or. Le
déficit budgétaire n'est rien d'autre qu'une combine pour confisquer
la richesse sans en avoir l'air. L'or apparaît comme le gêneur
dans cet insidieux processus. Comme le protecteur des Droits de
propriété. Si on saisit cela, on n'a aucune peine à
comprendre la haine des étatistes à l'encontre de
l'étalon-or.
Dr.
Alan Greenspan, PhD, 1966
Président
du système de la Réserve Fédérale
1987
à 2006
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