Pour la toute première fois,
une majorité d’Américains se disent craindre leur propre gouvernement
fédéral. Un sondage mené par Pew Research a montré que 53% des Américains
pensent que leur gouvernement représente une menace pour leur liberté.
Et les Américains ne sont pas
non plus satisfaits de leur devise. Plutôt que d’accumuler des dollars et
d’autres actifs financiers, les investisseurs accumulent des objets d’art, du
vin et des vieilles voitures. En novembre, The
Economist a déclaré que « cette folie des achats n’est
autre qu’une perte de confiance grandissante dans les actifs
financiers ».
Mais bien que ces
investissements poussent le marché des œuvres d’art et de l’immobilier vers
de nouveaux records, cette perte de confiance envers le gouvernement n’a pas
poussé les plus suspicieux vers la relique barbare. Le dollar a augmenté par
rapport à l’or depuis septembre 2011.
Tous les banquiers centraux du
monde ont prêté serment à la création monétaire keynésienne, mais cela n’a
pas empêché le métal jaune de perdre près de 700 dollars depuis son record
historique de 1.895 dollars. Les seules limites à la création monétaire sont
l’imagination des banquiers centraux et la volonté des banquiers commerciaux
de prêter. Le coupable de la mauvaise performance du prix de l’or ces deux
dernières années se trouve donc ailleurs, comme l’explique John Hathaway,
directeur de Tocqueville Management Portfolio dans son rapport « Let’s Get Physical ».
Hathaway explique que le vent souffle
de face pour la production d'or. La production d’une once d’or coûte
quasiment aussi cher que son prix de vente. Extraire de l’or coûte cher, et
les jours où l’on pouvait dénicher des pépites d’or dans les rivières de
Californie et d’Alaska sont depuis longtemps révolus. Des millions de tonnes
de minerai doivent être déplacés et analysés pour produire une infime
quantité de métal, et très peu de gros dépôts ont été découverts ces
dernières années.
Selon Hathaway, « la production d’or
semble en passe de baisser après 2015, peut-être même brutalement ».
Satoshi Nakamoto a créé une forme d’or
digital en 2009 qui, lui aussi, est disponible en des quantités limitées. Pas
plus de 21 millions de bitcoins seront « produits », et il en existe
aujourd’hui moins de 12 millions. Satoshi a rendu sa version d’or
électronique facile à produire au départ. Mais comme toute opération minière,
la production de bitcoins devient de plus en plus difficile au fil du temps.
Aujourd’hui, des ordinateurs superpuissants sont nécessaires pour vérifier
les transactions bitcoin – le processus même par lequel est créée la devise
digitale.
La valeur de cette alternative au
dollar a explosé face à la devise du gouvernement, depuis moins de 25 dollars
par bitcoin en mai 2011 à près de 1.000 dollars récemment. L’une des raisons
à cela est très certainement la portabilité de la devise. Le commerce se fait
à l’échelle du monde, contrairement au monde d’autrefois où la plupart des
gens vivaient l’intégralité de leur vie dans un rayon de 35 kilomètres.
Transporter des bitcoins grâce à son téléphone est bien plus pratique que
d’alourdir ses poches de Krugerrands.
Pas de bitcoins papier
Mais bien que sa portabilité puisse
expliquer sa popularité, elle n’explique pas pourquoi son prix a grimpé dans
le même temps que celui de l’or a baissé.
Hathaway s’intéresse à la différence
entre l’action des prix d’autrefois et celle d’aujourd’hui. « L’incongruité
de bitcoin s’explique par le fait que les ingénieurs financiers n’ont pas
encore trouvé de moyen de garantir les bitcoins pour les transactions à effet
de levier. Il n’existe pas encore de marché à terme bitcoin, de produits
dérivés bitcoins et de mise en hypothèque bitcoin ».
Tous ceux qui veulent spéculer sur
bitcoin doivent donc acheter des bitcoins dont la quantité disponible est
limitée, ce qui en fait grimper le prix.
Au contraire, la devise plus brillante
mais bien moins digitale qu’est l’or a une infrastructure financière mature
qui fait gonfler sa disponibilité papier exponentiellement. John Hathaway
cite l’expert Jeff Christian, du CPM Group, qui a écrit en 2000 qu’une « once
d’or est désormais impliquée dans une douzaine de transactions. Bien que le
volume physique n’ait pas changé, le chiffre d’affaires s’est multiplié ».
Le processus commence quand un
producteur d'or extrait du métal. Un raffineur le vend ensuite à une banque
commerciale, généralement à Londres. Une partie de cet or est revendu à des
bijoutiers et des ateliers de frappe.
« L’or physique qui est conservé à
Londres sous forme de barres non-allouées constitue la base des échanges d’or
papier. Cette chaine d’évènements est parfaitement ordinaire et correspond
aux vieilles coutumes », explique Hathaway.
Il estime à 9.000 tonnes les quantités
d’or échangées chaque jour, alors que seules 2.800 tonnes sont extraites
chaque année.
L’or est prêté et hypothéqué
continuellement. C’est notamment la raison pour laquelle il faudra tant de
temps à l’Allemagne pour rapatrier 700 tonnes d’or depuis New York et Paris.
Bien que quelques avions pourraient transporter son or depuis les Etats-Unis
vers l’Allemagne en un rien de temps, seules 37 tonnes lui ont été retournées
en un an. L’intégralité des 700 tonnes devrait être rapatriée d’ici à 2020.
Il semblerait toutefois qu’il n’y ait pas suffisamment d’or disponible pour
respecter ces généreux délais. Les Allemands se sont vus dire qu’ils
pouvaient venir regarder leur or, mais qu’ils ne pouvaient pas le récupérer
tout de suite.
Effets de levier à Londres
La City de Londres offre aux grosses
banques un environnement laxiste sur lequel multiplier leur effet de levier.
Jon Corzine a utilisé Londres pour ré-hypothéquer les dépôts des clients de
MF Global et placer un pari de 6,2 milliards de dollars sur la zone Euro. Les
contrats qu’il avait conclu avec ses clients lui en donnaient la possibilité.
Après l’effondrement de MF,
Christopher Elias a écrit ceci dans Thomson Reuters : « Comme la cocaïne de
Wall Street, un effet de levier amplifie les hauts et les bas d’un
investissement. Il en augmente les retours mais aussi les coûts. L’effet de
levier de MF Global était de 40 pour 1 avant son effondrement, c’est pourquoi
la société n’a pas eu besoin d’un défaut de la zone Euro pour s’effondrer –
tout ce dont elle avait besoin était de voir sa base d’actifs dépassée par
ses coûts.
Le rapport d'Hathaway présume que
l’effet de levier du marché de l’or est tout aussi important que celui de MF
Global, que le marché de l’or est une montagne de transactions papier en
équilibre sur un tout petit peu d’or physique.
« Contrairement au marché de l’or
physique, écrit Hathaway, qui n’est pas dans la capacité d’absorber de gros
flux de capital, le marché papier, au travers d’une infinité d’hypothèques,
est idéal pour les activités de négoce, notamment en conjonction aux paris
sur le marché des changes, des indices boursiers et des actions ».
Cet effet de levier est similaire au
boom de la dette immobilière d’il y a dix ans aux Etats-Unis. La sécurisation
de Wall Street a permis aux prêts immobiliers d’être achetés, vendus et
transformés électroniquement. Tant que les prix des maisons augmentaient et
que les propriétaires continuaient de payer, tout allait pour le mieux. Mais
quand ils ont cessé de payer et qu’il a fallu déterminer qui avait encombré
quelles propriétés, le chaos s’est installé. Dans de nombreux Etats, les
affaires de saisie n’ont toujours pas été réglées.
L'échec d'une poignée de contreparties
sur le marché de l’or papier pourrait être bien pire. Dans de nombreux cas,
cinq ou dix prêteurs peuvent dire être les propriétaires de la même once
d’or. Le marché de l’or pourrait se gripper pendant des mois voire des années
pour affaire de banqueroute, ce qui retirerait plusieurs millions d’onces du
marché. L’industrie minière aurait besoin de plus de dix ans pour remplacer
tout cet or.
Hathaway pense également qu’une
régulation accrue « pourrait mener, entre autres, à des standards plus
stricts en matière de garanties et de mises en hypothèque, et donc à une ruée
vers l’or physique ». Si les régulateurs ne resserrent pas ces arrangements,
les ETF, le LBMA et le COMEX pourraient le faire d’eux-mêmes pour conserver
la confiance de leurs clients.
Ce qu’Hathaway appelle le « fonds
trouble » de l’or non-alloué de Londres a supporté les échanges d’or papier
bien au-delà des quantités d’or physiques disponibles. Ce fonds s’assèche et
débouchera éventuellement sur une gigantesque liquidation forcée.
John Hathaway pense que les gens qui
possèderont alors de l’or papier seront verront leur capital dévasté. Ils
recevront des « lettres d’excuse de la part d’intermédiaires qui leur
offriront de leur rendre leur dû en monnaie à des prix inférieurs à ceux du
marché physique ».
Ce n’est pas l’inflation qui fera
flamber le prix de l’or, mais le déploiement de grosses quantités d’effets de
levier.
Les gens ont raison de craindre leurs
gouvernements, mais ils devraient aussi craindre leur système financier. Les
gouvernements ont toujours rendu leurs devises papier inutilisables. Du
papier qui vous garantit de l’or peut être plus réconfortant que des dollars
fiduciaires.
Mais en cas de panique, l’or papier ne
suffira pas. Vous aurez besoin d’or, de vrai.