Maintenant
c’est sûr, le doute n’est plus permis, et avec un peu de
chance, le prochain gouvernement en fera une loi mémorielle : les
riches sont des salauds. C’est la conclusion qui s’impose,
dit-on, à la lecture de l’étude réalisée
récemment par l’université de Berkeley et publiée
le 27 février dernier dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences.
A l’évidence,
si l’étude fait
parler d’elle, c’est parce qu’elle conforte le
préjugé sur les riches en superposant à la distinction
sociologique entre classes moyennes et classes aisées une distinction
éthique entre classes morales et classes immorales. Un Français
bien élevé ne doit pas évoquer les « classes
dangereuses », mais il peut montrer du doigt les classes
accapareuses, égoïstes, oisives, immorales. De cette sociologie
de comptoir, on ne lui tiendra pas rigueur.
Certes,
l’étude ne manque pas de pertinence. Elle fait ressortir, par
exemple, que les « riches » hésitent moins que
les autres à se jouer des règles s’ils y trouvent un
avantage. Cela n’a rien d’une nouveauté. En Occident, les
groupes les plus aisés ont toujours été des
éléments à la fois stabilisateurs et
déstabilisateurs, entre conformisme et anti-conformisme,
et l’avènement du capitalisme libéral n’y a rien
changé, qui fait de la remise en cause permanente (ce que Schumpeter
appelait « destruction créatrice ») le moteur de
notre civilisation.
Du reste, dire
qu’il existe une corrélation entre le niveau de vie d’un
individu et la moralité de son comportement revient à dire ce
que tout le monde sait déjà : que l’on peut faire
plus de choses avec de l’argent que sans argent, que cette
liberté nous rend moins dépendant de la collectivité, et
qu’en même temps que le sentiment de dépendance,
c’est le sentiment d’appartenance qui s’étiole et
déculpabilise d’enfreindre les règles du groupe (Bernanos
ne disait pas autre chose quand il fustigeait le mépris du bourgeois
pour sa patrie).
C’est justement
ce qui devrait mettre mal à l’aise les commentateurs. Car cette
forme d’indépendance et de liberté, c’est celle que
les classes moyennes et populaires réclament pour elles-mêmes. La
question se pose donc de savoir comment ce qui pervertit les uns pourrait
édifier les autres…
Pour les
auteurs de l’étude, le coupable n’est pas la richesse en
soi, mais la cupidité. C’est la cupidité qui pousserait
les plus riches d’entre nous à marcher sur les pieds du voisin
pour obtenir un avantage quelconque. Il y aurait ainsi deux manières d’écouter
ses envies : la manière du riche qui triche, ment, trahit, et la
manière des autres, moins cupides, donc plus respectueux des lois et
de la morale.
Une
théorie commode, qui a l’avantage de légitimer les
revendications socio-économiques du plus grand nombre mais
l’inconvénient d’ignorer un point essentiel.
En effet, l’étude
s’intéressant aux comportements immoraux individuels, elle ignore
l’immoralité institutionnalisée, à savoir les
mécanismes par lesquels la loi invoque de grandes idées pour répondre
à des attentes immorales. Car enquêter sur la moralité
des comportements individuels, c’est exclure a priori de son champ de
vision tous les vices humains que les administrations publiques se chargent
de satisfaire pour le compte de la société.
Ainsi,
l’étude épingle l’incivilité du
« riche » au volant, mais ne s’interroge pas sur
la redistribution ou la progressivité de l’impôt, qui
légitiment, en l’institutionnalisant, la cupidité et
l’envie du plus grand nombre. Tout le monde n’a pas entendu
parler de cette « grande fiction à travers laquelle tout le
monde s’efforce de vivre aux dépens de tout le
monde », comme disait Bastiat.
D’aucuns
soulignent, pour s’en réjouir, le caractère scientifique
de cette étude. Je veux bien croire que les chercheurs de Berkeley
soient des hommes de science. On se trompe toutefois sur la conclusion de
leur étude. Car ce que prouve cette dernière, ce n’est
pas qu’un riche se comporte a priori moins bien qu’un pauvre, mais
que la cupidité rend facilement immoral (ce n’est pas nouveau)
et que l’immoralité d’un comportement paraît plus
évidente quand aucun beau principe ne vient la justifier.
Très
curieusement, ce dernier point ne fait guère couler d’encre. On
se demande pourquoi !
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