Alors que les manifestations se multiplient en
Grèce contre les mesures d’austérité, nombreux
sont ceux qui leur font écho et affirment que le pays serait mieux
inspiré de quitter la zone Euro afin d’opérer une sortie
de crise par la dévaluation, plutôt que par la rigueur
L’histoire économique relativement
récente offrirait même un modèle de réussite,
l’Argentine. En récession depuis 1999, ce pays vit la crise de sa
dette extérieure s’intensifier en Décembre 2001, lorsque
le FMI refusa de verser de nouvelles aides à moins d’une
réduction supplémentaire de 10% de ses dépenses
publiques. L’écart de taux entre ses obligations et celles du
gouvernement américain flamba alors, dépassant 40% de prime de
risque. Le gouvernement, qui avait déjà diminué de 15%
le traitement des fonctionnaires, ainsi que les prestations sociales, six
mois plus tôt, opta pour le défaut de paiement.
En Janvier 2002, la parité entre le peso
et le dollar fut levée, et la devise argentine perdit rapidement 75%
de sa valeur. Au cours de l’année, le PIB chuta de près
de 11%, le chômage atteignit 25%, et l’inflation 40%.
Pourtant, la reprise ne se fit guère
attendre. Dès l’année suivante, la croissance
frôlait les 9%, bénéficiant d’une consommation
soutenue, ainsi que d’un vaste excédent commercial contrastant
avec le déficit chronique qui avait été, avec la
parité peso-dollar, à l’origine du problème. En
2005, l’Argentine retrouvait finalement sa place sur les marchés
financiers, dont elle avait été exclue depuis 2002, et parvint à
renégocier une partie de sa dette.
À première vue, le cas argentin
semble donc bien un exemple à suivre, et un motif d’espoir, pour
la Grèce. Son Ministre de l’économie de
l’époque l’affirmait d’ailleurs récemment
lui-même :
« Au plan économique, tout est
semblable. L'Argentine avait établi une parité fixe entre le
peso et le dollar, la Grèce est ficelée à l'euro,
perdant ainsi le contrôle de sa monnaie. Un taux de change fixe associant des pays à forte
productivité et d'autres dont la compétitivité est
beaucoup plus faible ne peut qu'engendrer une crise. La Grèce est déjà dans sa quatrième
année de récession, l'Argentine l'était
également. Le déficit fiscal, le déficit des comptes
courants, la chute vertigineuse du PIB, l'endettement, l'explosion du
chômage... toutes les grandes données macro-économiques
sont similaires.» (Libération,
19 Février 2012)
Il existe cependant un grand nombre de mythes autour
du conte de fée argentin.
Mythe
nº1 : La dévaluation argentine prouve que la politique
monétaire est supérieure au libéralisme financier
Ceux qui mettent en avant le modèle
argentin de sortie de crise prétendent généralement que
ce pays a réussi parce qu’il a placé la politique devant
la finance et retrouvé sa souveraineté monétaire. Or,
c’est l’inverse qui est vrai. Ce qui relevait de la politique
monétaire, c’était la parité forcée entre
le peso et le dollar qui conduisit le pays à la ruine. Celle-ci ne
provenait pas de la liberté des échanges, et c’est bien
pour cela qu’elle n’a pas été soutenable sur le
long terme ce qui prouve la
supériorité du libéralisme financier sur la politique
monétaire, au sens où, comme l’écrivait Condillac
à la fin du XVIIIº, « les marchés font la loi
aux gouvernements. »
De même, dans la mesure où la
dévaluation a réellement fonctionné, c’est parce
qu’elle relevait d’un retour au libéralisme,
puisqu’elle consistait à laisser le peso retrouver sa valeur
d’échange avec les autres monnaies (son prix de marché.)
Mythe
nº2 : La dévaluation a permis à l’Argentine de
diminuer le poids de sa dette
Relativement à ses créanciers
internationaux, la politique argentine n’a pas consisté en une
dévaluation, mais en une répudiation temporaire de sa dette. Le
gouvernement a, en effet, cessé ses paiements en 2002, et a été
exclu des marchés financiers jusqu’en 2005, date à
laquelle il a négocié, après amélioration de sa
situation économique, une restructuration de sa dette.
Comme expliqué dans un article
précédent, répudier la dette publique est un acte
hautement libéral, défendu par quelques rares
économistes généralement jugés
« extrémistes » dans leur religion du
marché, tel que Murray Rothbard. Partant du
principe que l’impôt est un paiement forcé, donc un vol,
et qu’une obligation souveraine est un droit à recevoir des
prélèvements fiscaux futurs, Rothbard
concluait ainsi que toute dette publique est illégitime.
Mythe
nº3 : La dévaluation argentine a permis à
l’Argentine de faire face à la « dictature du FMI et
des marchés financiers »
On entend souvent cette dernière
expression, mais celle-ci n’est pas seulement outrancière et
insultante pour ceux qui ont été victimes de véritables
dictatures (à commencer par les argentins et les grecs), elle est
même absurde d’un point de vue conceptuel. Une dictature est un
régime imposé par la force. Or, si le FMI exige des plans de
rigueur de la part des pays surendettés, c’est en échange
de l’aide qu’il leur offre et qui peut donc parfaitement
être refusée. C’est d’ailleurs ce qu’a fait
l’Argentine et prouve par
là-même que le FMI n’est pas une dictature :
« comme nous étions sortis du jeu, le FMI n’avait
plus de moyen de pression sur nous» expliquait ainsi le Ministre de
l’économie (Libération,
19 Février 2012).
Et il en est de même des marchés
financiers. Au moment de la dévaluation du peso, le gouvernement
argentin empruntait 40% plus cher que le gouvernement américain. Mais
un tel taux d’intérêt, correspondant à une prime de
risque, ne constituait en rien un « vol », comme on le
dit parfois. Il s’agissait d’un prix, que l’on pouvait
refuser de payer, en cessant d’emprunter. Là encore,
l’Argentine a prouvé que cela était possible, et donc que
les marchés financiers n’ont rien d’une dictature.
Mythe
nº4 : La dévaluation permet d’éviter
l’austérité
En fait, l’alternative n’est pas entre
dévaluation ou austérité, mais plutôt le choix
entre austérité par la dévaluation ou par la rigueur
salariale et budgétaire. L’année de la
dévaluation, l’inflation a atteint 40% en argentine. Mais,
maintenir le niveau des salaires et des prestations sociales alors que celui
des prix augmente revient finalement au même que de le baisser dans la
même proportion.
Dans les deux cas,
l’austérité a la même fonction : diminuer les
dépenses publiques réelles, et rétablir la
compétitivité du pays
Mythe
nº5 : Optant pour la dévaluation, l’Argentine a
préféré sauver les clients plutôt que les banques
Pour évaluer le coût d’une
sortie de crise, il ne faut pas seulement s’intéresser aux
revenus, mais également aux patrimoines. Lorsque le peso fut
dévalué, la conversion des comptes en banque se traduisit ainsi
par une perte de 67% pour les épargnants, ce qui est notamment un
moyen pour le gouvernement de renflouer les banques sans en avoir
l’air, et de faire payer par l’ensemble de la population une
partie de ses dettes à leur égard.
Un tel appauvrissement est évidemment
à prendre en compte quand on mesure la reprise par le taux de
croissance, car celle-ci mesure l’évolution de la production
annuelle et non de la richesse totale, capital accumulé compris.
Mythe
nº6 : La dévaluation a permis le retour de la croissance en
argentine en stimulant les exportations
L’idée selon laquelle la
dévaluation stimule les exportations en les rendant plus
compétitives est aussi mal comprise que brandie par les
défenseurs de la dévaluation. En fait, la confusion vient de ce
qu’une dévaluation affecte le commerce extérieur, puis se
répercute sur l’offre et la demande intérieures. Il
faudrait un article entier pour l’expliquer, mais cela n’est pas
gênant ici. Car dans la mesure où l’Argentine a pu sortir
de la crise, ce ne fut pas grâce à sa dévaluation, mais à
l’augmentation indépendante de ses recettes d’exportation grâce
à une flambée des prix.
Plus de 50% des exportations argentines
étaient en effet liées aux produits agricoles, souvent
transformés. À eux seuls, les produits à base de soja
représentaient ¼ du total ; le maïs et le blé, 10%. Or,
entre janvier 2002 et janvier 2003, le cours mondial du soja grimpa de plus de
30%, celui du blé de près de 20%, et celui du maïs de
près de 15%.
Malheureusement pour la Grèce, il
apparaît peu probable que ses produits agricoles, le tourisme
international, ou bien le secteur de la marine marchande, connaissent ce
genre d’envolée.
D’ailleurs, il faut bien noter que les
situations de l’Argentine en 2002 et de la Grèce aujourd’hui
sont très différentes. Les argentins étaient en moyenne
aussi productifs que leurs principaux partenaires commerciaux. Le
problème venait de ce que leur monnaie était
surévaluée. Les grecs, au contraire, ont la même monnaie
que leurs principaux partenaires, mais une productivité largement
moindre. Pour cette raison, il semble que la Grèce ne puisse pas se
contenter d’une dévaluation à l’Argentine, car elle
doit non seulement restaurer sa compétitivité, mais aussi rattraper
son retard en matière de productivité.
Mythe
nº7 : La dévaluation permit à l’Argentine de
sortir de la crise
J’ai écrit plus haut :
« dans la mesure où l’Argentine sortit de la
crise… » En effet, bien qu’on la cite sans cesse en
exemple, il n’est pas certain que son miracle ait véritablement eu
lieu.
En premier lieu, les données statistiques
sont toujours à prendre avec circonspection lorsqu’elles
proviennent de ce pays. Notamment en matière d’inflation. Or, la
croissance étant calculée en « déflatant »
le PIB, une sous-estimation de l’inflation gonfle artificiellement la
reprise. Lorsque l’Argentine renégocia sa dette en 2005, soit 3
ans après la dévaluation, le taux de chômage y
était ainsi toujours supérieur à 11.5%.
En second lieu, il y a d’autant plus de
raison d’être méfiant que l’apparente sortie de
crise argentine s’accompagna de politiques monétaire et fiscale
très expansives. Entre 2002 et 2005, les dépenses publiques
argentines, largement financées par la banque centrale du pays, ont
ainsi augmenté de plus de 38%. Or, si celles-ci permettent de
repousser une crise, elles ne le peuvent qu’artificiellement, et
temporairement. Indéfini, le recours à la planche à
billets conduirait à l’hyperinflation. Après quelques
temps, la création monétaire excessive doit cesser, et le
gouvernement se résoudre à emprunter à
l’étranger.
La crise prétendument
dépassée menace alors de réapparaître, ce qui fut
le cas pour l’Argentine dès 2007, et conduisit une nouvelle fois
à l’une de ces tragicomédies dont les gouvernements du
pays ont le secret, celle-ci mise en scène par la fantasque
présidente actuelle, Cristina Kirchner.
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