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Il est une étape dans ma découverte et ma réflexion sur
l'organisation de la sécurité sociale obligatoire qui a
assujetti les gens en France depuis la décennie 1940, et cela en toute
impunité, au moins jusqu'à récemment (cf. ce billet pour davantage d'informations)
Quoique méconnues, les pénalités sont aujourd'hui
multiples et les plus grosses, devant nous, à l'horizon (cf. le livre que j'ai écrit en 2007 sur le sujet
et qui a laissé de marbre les commentateurs patentés).
[Début du texte.]
1. L'origine identifiable
de la protection sociale en France: une double faillite intellectuelle.
L'origine identifiable de la protection sociale (1) est double.
1. Remarquons en passant qu'on ne peut pas parler de protection sociale des
Français car tout travailleur en France (chômeur ou non) ou tout
« ayant droit » de celui-ci (allié jusqu'au
troisième degré de parenté) y est obligatoirement
affilié, sans être nécessairement assujetti aux
cotisations.
Elle tient, d'un côté, dans une faillite de la connaissance en
matière économique et politique et, de l'autre, dans une
destruction orchestrée de la connaissance en matière
d'assurance.
1. A. La faillite de la
connaissance en matière économique et politique.
La protection sociale que nous connaissons aujourd'hui en France plonge ses
racines dans une faillite de la connaissance économique et politique.
Les États-providence ont été construits à partir
d'un constat: la société est un tout qui a toujours
présenté des maux (pauvreté des individus, inégalité
des revenus ou des patrimoines, déséquilibre ou
instabilité économique, injustice sociale et enfin
insécurité ou, si on préfère l'expression, risque
social) ; mais la situation est extrême depuis le XIXe siècle.
Ce constat a donné lieu à deux grandes interprétations :
- ces maux ne sont rien d'autres que des échecs du marché ;
- ces maux ne sont rien d'autres que des abus de pouvoir du capitalisme.
Bien que distinctes, ces interprétations ont le point commun de
conclure que maux, échecs et abus seront perpétuels.
Ils sont à attendre dans l'avenir, cette attente, c'est en
définitive ce qui est dénommé « risque social
» et contre quoi les promoteurs de la sécurité sociale
dans la décennie 1940 prétendent avoir trouvé les moyens
de faire quelque chose.
Le constat a conduit aussi à deux grandes solutions, de nature
politique:
- l'intervention des hommes de l'État dans le marché pour faire
disparaître les échecs, c'est-à-dire le «
non-marché », thèse keynésienne ou planiste ;
- la disparition des capitalistes ou, si on préfère, la venue
des syndicats (représentatifs de la classe ouvrière) pour faire
disparaître les abus de pouvoir dont sont victimes les travailleurs,
bref le « non-capitalisme »,
thèse marxiste.
Le risque social va permettre, à la fois, l'application de
thèses marxistes (le sens de l'histoire et les syndicats ouvriers pour
mettre fin aux abus de pouvoir de la classe capitaliste sur la classe
ouvrière) et l'application de thèses keynésiennes ou
planistes (l'État pour corriger les échecs du marché) ;
des applications qui ont en commun une optique matérialiste ou un
point de vue d'ingénieur ou de mécanicien.
Et il est un fait que les promoteurs de la sécurité sociale se
sont abreuvés aux deux sources, sans insister sur leurs
différences ou sur celle qu'ils préfèrent
- ce qui leur a permis de « ratisser large » -, pour
créer l'« organisation de la sécurité sociale
» - en abrégé, la « Sécurité sociale
» - avec les ordonnances de 1945.
Véritables « non-marché » et « non-capitalisme », la «
Sécurité sociale » chargera le service public de faire
disparaître les maux, échecs ou abus stigmatisés, de
produire le « non-risque social ».
En pratique, le service public tiendra dans des R.I.R.ES., à savoir :
- des Remboursements en monnaie,
- des Indemnisations en monnaie,
- des Réparations en monnaie ou en nature, et
- d'autres Expérimentations Sociales (du type « prestations
sociales » et aides diverses).
Je ne m'étendrai pas davantage sur la faillite intellectuelle que
représente une telle démarche, mais je vais, en revanche,
insister sur les conséquences à en attendre, celles que
certains prédisaient à l'époque, et celles qui se sont
réalisées et se réalisent sous nos yeux, après avoir
rappelé un autre aspect de la façon dont la protection sociale
a été construite.
1. B. La destruction
orchestrée de la connaissance en matière d'assurance.
La protection sociale a été construite à partir de 1945
d'une façon diffuse.
Elle l'a été, d'une part, sur les débris de
l'organisation spontanée ajustée au fil des siècles (qui
faisait intervenir propriété, liberté, charité,
responsabilité, prévoyance et assurance), mais que le
législateur a détruite en un jour ou presque.
D'autre part, elle a été construite avec certains débris
dont ce même législateur avait pris soin d'exproprier les
propriétaires ou responsables (sociétés d'assurance ou
mutuelles).
A cet égard, la protection sociale plonge ses racines dans une
destruction de la connaissance — accumulée et à venir
— en matière d'assurance (cf. tout ce qu'ont pu écrire
les juristes, « spécialistes » ou non de la
sécurité sociale, sur la question à commencer par Gaston
Jéze -- qui a certes écrit avant que
celle-ci ne soit créée — et à finir par J.-J. Dupeyroux, ou des économistes comme Dupuy, Ray et
Gazier ou Strauss-Kahn).
"Quelques exemples...", me demanderez-vous.
J'en vois trois types : les premiers tiennent dans les éléments
d'un constat erroné sur l'assurance, les deuxièmes dans ceux
d'une assurance imaginée et les troisièmes dans les moyens
à utiliser pour que l'assurance imaginée devienne
réalité.
i) L'assurance
présente des insuffisances (cf. Jèze, 1932, par
exemple).
- Complainte de certains assurés : les firmes d'assurance
s'enrichissent avec le malheur des gens ou n'assurent pas les individus qui
en ont le plus besoin, il n'y a pas d'assurance sociale.
- Complainte de certains assureurs :
C'est la question du risque moral ; les assurés sont des
délinquants potentiels ou des irresponsables qui changent de
comportement sitôt le contrat signé, l'assurance sociale est
impossible a cause du risque moral ;
- Diagnostic des hommes de l'État :
« vous avez tous raison, nous allons nous en occuper personnellement.
»
ii) Ce que devrait être
l'assurance.
En raison des économies d'échelle, il faut un monopole
réglementaire,
iii) Comment y parvenir.
Jèze est flou sur la question bien qu'il donne des
éléments de réponse.
La réalité sera un coup d'État avec l'instauration d'un
monopole bureaucraticosyndical!
Ces exemples de destruction de la connaissance en matière d'assurance,
qu'on pourrait conforter par maints autres et auxquels on pourrait
répondre en long et en large, ne tombent pas du ciel, ils sont le
résultat de l'emploi d'une véritable tactique de destruction de
la connaissance ou, si on préfère, d'une véritable
tactique d'entretien de l'ignorance (ou de l'obscurantisme).
La tactique n'est pas nouvelle, même si elle dissimule son vrai visage
sous de nombreux masques.
Elle a été stigmatisée par des auteurs du XIXe
siècle comme Bastiat ou Tocqueville : c'est la tactique habituelle des
Socialistes.
Alors, elle était utilisée pour porter atteinte à la
propriété, à la liberté, à la
responsabilité, au Droit (avec un "D") en
général, à la charité (au don), à
l'épargne, à la prévoyance ou encore à
l'instruction. Je tiens à votre disposition les exemples.
Je ne prendrai pas l'exemple caractéristique de la
responsabilité qui a été développé en 1992
par une conférence d'Euro 92 et à quoi j'avais
participé (cf. ce billet).
1. C. Le risque politique
Si on juge les mots « faillite », « destruction » ou
« construction » trop forts pour caractériser le point de
départ de la protection sociale, on pourra dire, pour reprendre un mot
de Bastiat, qu'il tient de la « malice ».
Cela bien sûr jusqu'en 1945 car, depuis cette année-là,
force est de reconnaître que la « faillite » et la «
destruction » sont devenues concrètes avec l'organisation par le
législateur de la protection sociale forcée et
centralisée.
Comment, en effet, évoquer autrement les obligations nouvelles
édictées aux individus travaillant en France ?
N'est-ce pas une destruction de leurs « liberté,
responsabilité et propriété » ?
Comment évoquer autrement les cotisations en monnaie que doivent
verser obligatoirement (sous peine d'amendes) aux organismes de
sécurité sociale les travailleurs ?
Ceux-ci n'ont-ils pas perdu liberté, responsabilité et
propriété ?
Comment évoquer autrement l'étatisation dont ont
été victimes un grand nombre de sociétés
d'assurance ?
En vérité, il y a une façon qui n'est pas originale,
même si elle est méconnue aujourd'hui.
Elle a été utilisée au XVIIIe siècle par les
économistes et consistait à parler de l'abus de pouvoir des
hommes de l'État.
A l'époque, ils proposaient un remède contre le risque d'abus
de pouvoir: l'instruction publique.
Au début du siècle, elle consiste à dénoncer
l'abus de pouvoir des capitalistes sur les travailleurs et le remède
proposé est d'en finir avec le capitalisme et d'instaurer le
communisme.
Aujourd'hui, la façon se ramène à dire que les individus
étaient exposés dans la décennie 1940 à un risque
d'abus de pouvoir spécifique des hommes de l'Etat, ou pour utiliser un
vocabulaire plus contemporain, ils encouraient un « risque politique
» particulier, risque qui a commencé à se réaliser
en 1945.
L'organisation, à partir de cette année-là, de la
sécurité sociale forcée et centralisée a
été un sinistre politique pour une partie des Français
(avec l'instauration du régime général de
sécurité sociale).
Il s'étendra rapidement à l'ensemble avec l'instauration des
autres régimes.
En résumé, sous prétexte de protection contre le risque
social, sous prétexte du risque moral qui nuirait à
l'assurance, les homme de l'État ont pu
abuser de leur pouvoir et faire se réaliser un risque politique auquel
les citoyens étaient exposés jusqu'alors.
Des points de vue de la connaissance en général et de la
connaissance de l'assurance en particulier, la sécurité sociale
est un sinistre politique et la protection sociale qui s'en est ensuivie un
approfondissement de ce sinistre politique.
Quant au risque moral, loin d'exister antérieurement, il a été
créé de toutes pièces par l'obligation nouvelle de
sécurité sociale édictée aux uns et par la
prétendue consommation gratuite permise aux autres.
2. Les moteurs du
processus sont eux-mêmes des faillites intellectuelles
Mais Bastiat l'avait remarqué de son temps :
« L'épée que la malice met aux mains des assaillants
serait impuissante si le sophisme ne brisait pas le bouclier aux bras des
assaillis » (Frédéric Bastiat, 1845, 1863, 4, p. 115).
Si le processus malicieux qu'est la protection sociale a pu décoller,
c'est qu'il a été doté de « puissants moteurs
».
Pour être bref, et pour rester dans l'esprit mécaniste de ses
instigateurs, on dira qu'il dispose d'un moteur principal, le sophisme, et de
deux moteurs auxiliaires, l'intimidation et l'ésotérisme.
2. A. Le sophisme est le
moteur principal.
Le moteur principal du processus tient dans l'emploi, à tout bout de
champ, du sophisme.
Qu'est-ce qu'un sophisme ?
« [...]le sophisme consiste
généralement en une assertion, qu'on ne démontre pas, et
qui porte sur des choses n'ayant aucune existence réelle.
Mais les idées qu'éveillent les mots employés paraissent
vaguement être en harmonie les unes avec les autres, et c'est cette
sensation qu'on substitue à une démonstration » (Pareto,
1898, §657).
Et Bastiat a donné au XIXe siècle maintes illustrations de
cette faillite : il y a par exemple sophisme quand l'abondance est
montrée redoutable et la disette avantageuse ; quand la richesse n'est
pas considérée comme le résultat du travail, mais le
travail lui-même.
Autrement dit, le sophisme consiste à faire prendre aux individus des
« vessies pour des lanternes » :
« […] tous les sophismes économiques, malgré leur
infinie variété, ont cela de commun qu'ils confondent le moyen
avec le but, et développent l'un aux dépens de l'autre »
(Bastiat, 1845, 4, p. 115).
Cela dans le meilleur des cas, dans le pire, il est le signe avant-coureur
d'une spoliation :
« Dans un pays où aucune loi ne peut être votée,
aucune contribution établie qu'avec le consentement de ceux que cette
loi doit régir ou que cet impôt doit frapper, on ne peut voler
le public qu'en commençant par le tromper.
Notre ignorance est la matière première de toute extorsion qui
s'exerce sur nous, et l'on peut être assuré d'avance que tout
sophisme est l'avant-coureur d'une spoliation -
Bon public, quand tu vois un sophisme dans une pétition, mets la main
sur ta poche, car c'est certainement là que l'on vise »
(Bastiat, 1863, 4, p. 113).
En matière d'État-providence, les sophismes sont
légions. En matière de protection sociale, ils sont encore trop
nombreux pour faire la liste. J'en citerai quelques uns
- sept -, que je corrigerai chaque fois en quelques mots.
Un premier sophisme
: la protection sociale ne serait pas une marchandise comme les autres, elle
ne serait même pas une marchandise, mais une « extra-terrestre
», une « hors marché », bref un service public
analogue à ceux que rend disponibles l'État.
C'est faux pour la double raison qu'elle résulte d'un processus de
production qui emploie un type de matières premières essentiel
(les risques sociaux que possèdent les individus) et que ceux-ci sont
laissés de côté volontairement par les hommes de la
protection sociale (c'est-à-dire qu'ils ne sont ni définis, ni
valorisés en monnaie).
Il n'en est pas ainsi des services produits par l'Etat (où les risques
sociaux individuels n'interviennent pas de la même façon) et
où quasiment tout ce qui est détruit pour la production des
services est pris en considération et en compte.
Un deuxième sophisme
: les dépenses de la protection sociale seraient analogues aux
dépenses de l'État.
C'est faux pour deux raisons :
- l'une est que les dépenses de la protection sociale sont en
majorité conditionnelles à des pertes de richesses par les
individus ;
- l'autre est que l'ensemble de ces pertes constitue une perte sèche
pour l'ensemble des individus, qui réduit d'autant le patrimoine
disponible.
Ce n'est pas le cas des dépenses de l'Etat qui dépendent pour
l'essentiel du seul choix des hommes de l'Etat, seules les
conséquences de ce choix constituent une perte sèche pour
l'ensemble des individus.
Un troisième sophisme
sur l'« équilibre financier » de la sécurité
sociale : tant de chômeurs en moins, ce serait tant de cotisations
sociales en plus ; il faudrait donc que l'État relance
l'économie.
C'est faux pour la raison que la sécurité sociale est un carcan
pour l'activité économique et par conséquent pour
l'emploi - les cotisations sociales en question sont obligatoires, et non
facultatives, pourquoi oublier de le préciser.
Il faut s'ériger en faux contre le contraire qui est sous-entendu
à tort, à savoir que l'activité économique serait
une contrainte pour la Sécurité sociale.
Quant au faux principe keynésien de la relance économique par
l'État, n'en parlons pas.
On rappellera seulement que le Plan de Sécurité sociale de 1945
ne se préoccupait pas de la question du chômage car il faisait
valoir que la Sécurité sociale maintiendrait le plein emploi,
le développement et la paix.
Le fait est que l'argument a été démontré faux
puisqu'il a fallu l'inverser pour faire resservir l'alibi.
Seule une disparition de l'obligation de cotisations sociales est
envisageable, si on veut une augmentation de l'activité
économique, et par conséquent une réduction du nombre
des chômeurs.
Un quatrième sophisme
: en matière de retraite (protection sociale vieillesse), il y aurait
une alternative entre la « technique par répartition » et
la « technique par capitalisation ».
La répartition serait une technique de garantie nouvelle.
Bien plus, elle serait juste et la capitalisation injuste et cruelle
(souvenez-vous des propos d'un ancien premier ministre socialiste sur
Margaret Thatcher ou de ceux de Lamartine condamnés par Bastiat).
C'est faux pour trois raisons :
- la répartition est un mode de couverture qui n'est ni technique, ni
nouveau, mais suppose et fait en sorte que le temps n'existe pas,
c'est-à-dire soit retiré du calcul économique ;
- la répartition est un mode de couverture qui, pour pouvoir
fonctionner, doit reposer sur l'obligation et la spoliation légales,
et enfin
- dans le monde temporel où vit l'individu, la capitalisation,
c'est-à-dire l'actualisation, est la seule technique que l'esprit
humain ait découverte, pour l'instant, pour le gérer.
En conséquence, toute variation des cotisations obligatoires est
arbitraire et vaine, toute variation des R.I.R.E.S. (Remboursements,
Indemnisations, Réparations et Expédients Sociaux autres) est
arbitraire et vaine et ne peut que faire empirer la situation.
Cinquième sophisme
: en matière de santé (protection sociale-maladie), il y aurait
une maîtrise possible des dépenses de santé par les
hommes de la Sécurité sociale-maladie.
C'est faux pour la raison que, dans un monde d'individus dignes de ce nom,
toute maîtrise des dépenses des individus par un échelon
central est utopique (faut-il rappeler Hayek et Popper?).
Sixième sophisme
: en matière de famille, la famille serait un risque pour ses membres
contre lequel la Sécurité sociale les protégerait avec
les diverses prestations qu'elle leur verserait.
Ce sophisme est vraiment merveilleux !
Comment oser l'exprimer avec aplomb quand on sait que le monde où l'on
vit est un monde où le don entre les membres de la famille est
taxé.
On fait l'apologie de la famille, mais les membres de la famille supportent
des taxes sur les dons qu'ils se font, pour ne pas parler des droits de
succession qui leur sont assénés.
C'est faux pour la raison que la famille est la première protection
que connaît tout individu et que la protection réglementée
de la famille, qu'est la Sécurité sociale, est un
élément supplémentaire de destruction de celle-ci.
Septième et dernier
sophisme auquel je ferai allusion (car d'une actualité
brûlante) : en matière de chômage, l'U.N.E.D.I.C. aurait
un déficit et le déficit serait financé par l'emprunt
qui vient d'être émis sur le marché financier.
C'est faux pour la raison que l'U.N.E.D.I.C. est une association dont le
caractère juridico-économique est pour le moins flou et qui ne
dispose pas de capitaux propres. Son déficit ne saurait exister et ne
saurait a fortiori
être financé.
Le fait que l'U.N.E.D.I.C. a reçu des fonds du marché
financier, ce « maudit» marché d'où venaient tous
les maux dans la décennie 1930 et que la Sécurité
sociale a eu, entre autres, la fonction de court-circuiter. Le fait est aussi
que l'État, qui a apporté sa garantie à l'emprunt, est
un peu plus endetté encore, les contribuables devront couvrir un peu
plus les dépenses de l'U.N.E.D.I.C.
2. B. Les moteurs
auxiliaires.
Les moteurs auxiliaires de la protection sociale, processus de faillite en
cours, sont au nombre de deux : l'intimidation et l'ésotérisme.
a) L'intimidation.
L'intimidation est un type d'argument qui a été très
bien isolé et étudié par Ayn
Rand.
Pour définir en quoi elle consiste, je reprendrai ce qu'Ayn Rand considère être son « archétype
primordial » :
« The primordial archetype of that argument [of intimidation] is obvious
(and so are the reasons of its appeal to the neo-mysticism of our age) :
to those who understand, no explanation is necessary ;
to those who don't, none is possible' » (Rand, 1964, p. 141).
En d'autres termes,
l'intimidation tient dans la création de tabous «
laïques».
Des exemples ?
Voici un exemple emprunté à la phraséologie de
l'I.N.S.E.E.:
« Laissés à eux-mêmes, les individus peuvent se
trouver dans des situations d'incapacité à subvenir à
leurs propres besoins, ou à ceux de leur famille ;
ils peuvent devoir faire face, aussi, à une perte, momentanée
ou durable, de leur revenu professionnel, perte qui, pour ne pas
entraîner nécessairement la misère, peut être
durement ressentie sur le plan personnel.
Il est communément admis, de nos jours, que la société
se doit de protéger ses membres contre les conséquences de
telles situations » (I.N.S.E.E., 1982, p.5).
Il y aurait beaucoup d'autres exemples à citer ; je ne vous parlerai
pas de mes démêlés avec la firme de sondage d'opinions
qu'est la S.O.F.R.E.S. sur le sujet. Tous mériteraient d'être
développés.
b)
L'ésotérisme.
Second moteur auxiliaire de la protection sociale, processus malicieux,
processus de faillite : l'ésotérisme.
Bastiat l'avait bien vu quand il écrivait :
« Quelquefois le sophisme se dilate, pénètre tout le
tissu d'une longue et lourde théorie.
Plus souvent il se comprime, il se resserre, il se fait principe, et se cache
tout entier dans un mot » (Bastiat, 1845, 4, p. 115).
Les mots employés sont en effet très importants pour finir de
désorienter l'individu de bonne foi qui ne comprend pas ce qui lui
arrive, pourquoi l'État providence veut qu'il agisse dans certains
domaines et qu'il n'agisse pas dans d'autres.
Et il est un fait que la protection sociale emploie un vocabulaire que
certains qualifieront de « technique » et que je qualifierai,
pour ma part, d'« ésotérique».
En effet, beaucoup de mots sont :
- non définis, c'est le cas de :
• risque (gain ou perte attendu avec incertitude, risque de gain ou
risque de perte) ;
• risque social.
Le risque social n'est pas défini bien qu'il soit à la base de
la Sécurité sociale de 1945.
On le laisse exprès indéfini, faisant en sorte qu'il ne soit
jamais estimé. Encore aujourd'hui, la C.G.T....
Ce point est important pour deux raisons supplémentaires.
Comme le remarque Dupeyroux :
« [...] l'expression "risque social" est utilisée par
l'art. 1er du Code de la
mutualité, alors qu'elle est ignorée par le Code de la Sécurité
sociale » (Dupeyroux, op.cit, p.8n).
Et comme le remarque Doublet :
« A la conception d'un risque social unique qui avait été
celle des auteurs du système français de 1945, même s'il
n'avait pu le réaliser entièrement, et
matérialisée par l'existence d'une Caisse nationale unique,
succède une conception distinguant nettement trois branches autonomes
dans la gestion de la Sécurité sociale : maladie et accidents
du travail, d'une part, prestations familiales, d'autre part, assurance
vieillesse en troisième lieu » (Doublet, op.cit., p.59).
- dénaturés, c'est le cas de :
• assurance et mutualité sont abusivement opposées,
• on parle de « prélèvement » et non pas de «
vol », pourtant les cotisations sociales légalement obligatoires
ne sont juridiquement ni des impôts, ni des taxes fiscales ni des taxes
parafiscales...,
- ou à sens multiple, c'est le cas de :
• social (Hayek a dénombré plus de 180 sens dans La présomption fatale
; remarquons aussi l'emploi de « social » et non pas de «
national »).
Il y a aussi des mots nouveaux pour le commun des mortels ou utilisés
de façon inhabituelle comme « ayant droit », « tiers
payant », « taux d'appel », « ticket
modérateur », « plafond », « plancher »,
« table », « assiette », « fourchette »
(pourquoi pas « couteau » ! ou « cuillère » !
« pour ramasser l'assujetti social... » ou « pour que les
gestionnaires de la Sécurité sociale - comme on dénomme
lapidairement certaines personnes - se partagent le gâteau ! »,
mais, vous me direz : « il manque encore la nappe ! » vous avez
raison ; j'arrête donc là la description du banquet...).
Plus qu'un moteur auxiliaire, ce vocabulaire ésotérique est un
point d'orgue du processus de faillite que constitue la protection sociale
dans l'État-providence, en France.
Conclusion : le risque de
sécurité sociale.
Étant donné l'origine observable de la protection sociale qui
est une faillite de la connaissance ou, si on préfère, une
promotion de l'ignorance (de l'obscurantisme), et ses forces de
développement, l'intimidation et l'ésotérisme, autres
faillites intellectuelles, je ne vois pas comment la protection sociale
aurait pu et pourrait apporter quoi que ce soit.
De plus, souvenons-nous de ce que Chateaubriand écrit dans les Mémoires d'outre-tombe
:
« [...] regardez à la fin d'un fait accompli, et vous verrez
qu'il a toujours produit le contraire de ce qu'on en attendait quand il n'a
point été établi d'abord sur la morale et la justice
» (François René de Chateaubriand cité par
Bastiat, 1845, 5, pp. 320-1).
La morale et la justice dont parle Chateaubriand, c'est, par exemple, la
reconnaissance des propriétés de chacun, c'est en
vérité le Droit, avec un grand "D", une notion
qu'à l'opposé de la connaissance, les promoteurs de la
protection sociale n'ont pas cherché à détruire en 1945,
mais qu'à la suite de leurs ancêtres, et avec l'inflexion de la
pensée juridique dans les années 1890-1920, ils ont tout
simplement refusée et n'ont pas utilisée comme fondement de
leur construction de 1945.
A quels ancêtres est-ce que je fais allusion ?
A ceux que Tocqueville dépeint ainsi :
« Vers le milieu du siècle [XVIIIe siècle], on voit
paraître un certain nombre d'écrivains qui traitent
spécialement des questions d'administration publique, et auxquels
plusieurs principes semblables ont fait donner le nom d'économistes ou
de physiocrates » (Tocqueville, op.cit.,
p. 1047).
Et Tocqueville prend soin de préciser à propos des
économistes, individus qu'on qualifierait aujourd'hui de «
socialistes » :
« Les économistes ont eu moins d'éclat dans l'histoire
que les philosophes [...] ils n'ont pas seulement la haine de certains
privilèges, la diversité même leur est odieuse : ils
adoreraient l'égalité jusque dans la servitude.
Ce qui les gêne dans leurs desseins n'est bon qu'à briser.
Les contrats leur inspirent peu de respect ;
les droits privés, nuls égards ;
ou plutôt, il n'y a plus à leurs yeux, à bien parler, de
droits privés, mais seulement une utilité publique » (ibid,
pp. 1047-1048).
On dirait aujourd'hui «justice sociale » plutôt
qu'"utilité publique"...
En toute rigueur, et pour être moral et juste, il faut
reconnaître que la protection sociale a tout de même
apporté un résultat.
Ce résultat est apparu de fraîche date : elle a amené le
« club de ses adeptes, thuriféraires et autres prosélytes
», bref la plupart des hommes de l'État, hommes politiques ou
non, partenaires sociaux ou non, qui en tirent des gains et des pouvoirs,
à effleurer du doigt sa véritable nature de véhicule de
la faillite de l'État-providence.
En vérité, ils l'avait
évoquée dès le départ... mais par le «
petit bout de la lorgnette », c'est-à-dire celui des chiffres,
un « bout critiquable » pour les raisons qu'en donne Bachelard:
"Mesurer exactement un objet fuyant ou indéterminé,
mesurer exactement un objet fixe et bien déterminé avec un
instrument grossier, voilà deux types d'occupations vaines que rejette
de prime abord la discipline scientifique" (Bachelard, 1972, p. 213)
(2).
2. Bachelard G. (1972), La
formation de l'esprit scientifique (contribution à une psychanalyse de
la connaissance objective), Libraire J. Vrin,
Paris, 258 p.
Pour la raison que la protection sociale est un "objet fuyant et
indéterminé" et pour la raison que la méthode de
comptabilité des opérations de protection sociale est un
"instrument grossier", pour ne pas être plus
sévère (cf. par exemple ce qui a été écrit
ces derniers temps sur la comptabilité de l'U.N.E.D.I.C.), se
référer aux chiffres de la protection sociale est une
"occupation vaine".
Aujourd'hui, le « gros bout de la lorgnette » commence à
être adopté.
Quelle en est la raison ?
Souvenons-nous de ce qu'à écrit
Pareto à la fin du XIXe siècle à propos de la spoliation
:
« Ce qui limite la spoliation c'est rarement la résistance des
spoliés;
c'est plutôt les pertes qu'elle inflige à tout le pays et qui
retombent en partie sur les spoliateurs » (Pareto, 1896-97, p. 382).
J'appliquerai son principe à la protection sociale.
S'il semble à certains que la faillite de la protection sociale est
enfin évoquée, c'est que, privilégiant les propos des
adeptes de la protection sociale forcée et centralisée, ils
constatent que ces derniers commencent à l'évoquer.
Et s'il en est ainsi, c'est d’abord parce qu'aujourd'hui la protection
sociale occasionne aux hommes de l'État des pertes (essentiellement
des pertes de pouvoirs).
Quelques exemples de pertes effectives :
- ils ne savent pas, en définitive, ou en est la protection sociale
(les chiffres fournis sont des cache misère);
- ils ne savent plus quelles sont les prérogatives des partenaires
sociaux et celles des hommes de l'État national, quelles sont les
fameuses « responsabilités » des uns et des autres,
l'ont-ils su seulement un jour ?
- il y a prétendument une tutelle des seconds sur les premiers, mais
ils ne savent pas si elle est pratiquée et en quoi elle consiste ;
- la loi d'Ornano de 1987 sur le vote du budget de la Sécurité
sociale par le Parlement que le Conseil constitutionnel a invalidée en
1988 ;
- l'impossible statu quo
du système de santé et de l'assurance maladie
— la médecine qui ne doit pas dépendre de la technocratie
— ils prennent en considération, sans s'en rendre compte, que la
Sécurité sociale-maladie ou - vieillesse dépend du
marché des biens et services – ne disent-ils pas que tous les
malheurs actuels viennent de la conjoncture... et du chômage - alors
que la sécurité sociale a été construite pour
affranchir du marché en général, la protection contre le
risque social ;
- l'U.N.E.D.I.C. qui dépend désormais étroitement du
marché financier et de l'État (qui lui apporte sa garantie)
alors que la Sécurité sociale a été construite au
départ pour affranchir la protection contre le risque social de ce
même marché financier, ainsi que de l'État.
Mais si la faillite est désormais évoquée par les hommes
de l'État (hommes politiques ou partenaires sociaux), c'est ensuite et
surtout parce que ceux-ci cherchent à limiter les pertes qu'ils
craignent d'avoir à supporter dans l'avenir.
Les pertes en question sont révélées dès à
présent, certes indirectement, par ce qu'ils appellent:
- la « maîtrise des dépenses » ou - la «
réforme du régime des retraites », et qui devrait
réduire les «chances des pertes» de se réaliser.
En quoi consistent plus précisément encore les pertes en
question qu'ils s'attendent à supporter?
Il y a, bien sûr, l'approfondissement des pertes effectives,
observables aujourd'hui que je viens de mentionner, à quoi ils doivent
s'attendre selon toute vraisemblance, et qui débouchera sur des
conflits politiques et institutionnels (par exemple, « menace »
de certains partenaires sociaux de se retirer de la gestion de la
sécurité sociale et « menace » du Parlement de
voter le budget de la Sécurité sociale).
Je dénommerai ces pertes éventuelles « risque de
Sécurité sociale de type A ».
Mais il y a aussi, et peut-être d'abord, les pertes auxquelles ils
s'attendent et qui sont liées à ce qu'ils soient forcés
:
— d'abroger l'obligation édictée aux individus de cotiser
à la Sécurité sociale et à l'assurance
chômage, ou si vous préférez,
— d'abroger les monopoles légaux qu'ils ont
conférés à ces organisations de droit « non
précisé ».
Je dénommerai ces pertes éventuelles qui me semblent
fondamentales : « risque de Sécurité sociale de type B
».
Si ces décisions sont prises, les hommes de l'État se trouveront
en opposition avec leurs propos d'hier, ils ne respecteront pas leurs
engagements passés auprès de leurs suiveurs et ils perdront les
pouvoirs qu'ils avaient acquis et les gains qu'ils en tiraient !
Les fonds de commerce des hommes politiques seront réduits !
Les organisations syndicales « représentatives » ne
pourront plus entretenir leurs « permanents ».
Leur existence même pourrait être menacée.
Ce risque de Sécurité sociale, risque de perte double dont
affichent avoir pris conscience désormais les hommes politiques et les
partenaires sociaux, est à distinguer du risque de perte que vous et
moi courons, forcés de verser des cotisations, forcés d'acheter
ce que rend disponibles la protection sociale (les services de R.I.R.E.S.)
sans être certains qu'ils pourront les consommer.
Je dénommerai ces gains ou pertes éventuels, le « risque
de Sécurité sociale de type 2 ».
Ce risque de Sécurité sociale de type 2 est comparable à
un aspect du risque politique général que courent et courront
toujours les citoyens d'un État de non-droit, où les lois ne
sont pas l'expression naturelle du Droit, à savoir le risque d'abus de
pouvoir des hommes d'État.
Son existence fait apparaître, d'une première façon, la
vanité de la protection sociale (en particulier, justifiée par
les thèses marxistes ou celles du risque d'abus de pouvoir à
quoi sont exposés les travailleurs et des syndicats pour y
remédier).
Ce risque de Sécurité sociale de type 2 est aussi comparable
à un risque moral que courent et courront toujours les électeurs
dans une démocratie représentative, à savoir que leurs
candidats soient dans l'opposition, ou que ceux qu'ils ont réussi
à faire élire changent de programme une fois élus. Son
existence fait apparaître, d'une deuxième façon, la
vanité de la protection sociale (en particulier, justifiée par
les thèses planistes et celles du risque moral qui dévaste
l'assurance).
Ce risque de Sécurité sociale de type 2 que courent et qu'ont
toujours couru les assurés sociaux ne diffère guère dans
sa nature des autres formes de risque social que devait traiter et faire
disparaître l'organisation de la Sécurité sociale et qui
a justifié sa construction.
C'est, en définitive, le risque social revisité.
Et le fait est qu'il s'est déjà réalisé en
partie, chaque fois que les cotisations ont été
augmentées ou les remboursements réduits, chaque fois qu'a
été entreprise une réforme dont le résultat a
été, en définitive, pour les individus, davantage
d'obligations légales et toujours moins de responsabilités.
Il sera complètement réalisé quand les abrogations que
je mentionnai seront entrées dans les faits.
Il aura alors disparu et simultanément le risque social,
stigmatisé hier, recouvrera la vie.
Son existence fait apparaître, pour l'instant, d'une dernière
façon, la vanité de la protection sociale." [fin du texte de 1994]
Addendum.
Le débat sur la "T.V.A. sociale" qui semble, une nouvelle fois,
refaire surface n'y changera rien.
Il ajoute à la complication des apparences et à leur pouvoir de
cacher la réalité.
Et cela commence par l'expression elle-même:
"T.V.A. sociale" cache une substitution d'une augmentation
de la taxe dénommée "T.V.A." - en taux ou en assiette, on
ne sait... - à une diminution des "cotisations sociales
obligatoires" - en taux ou en assiette, on ne sait là encore...
-. Elle est donc une alliance de mots, apparemment contre nature, sauf
à reconnaître que les cotisations sociales obligatoires sont,
contre toute attente et contre les institutions françaises, des
impôts.
Pour en savoir plus, je ne saurais trop vous conseiller de lire ce que j'ai
donc écrit en 2007 et intitulé La sécurité sociale et comment s'en sortir
(éditions du Trident, Paris).
Georges
Lane
Principes
de science économique
Le texte ci-dessus a été
publié, sous le même titre, dans le périodique de l'A.l.e.p.s
., ,
35 avenue Mac Mahon, 75017 Paris, intitulé Liberté économique
et progrès social, n° 70, mars 1994, pp. 10-23 .
Georges
Lane enseigne
l’économie à l’Université de Paris-Dauphine.
Il a collaboré avec Jacques Rueff, est un membre du séminaire
J. B. Say que dirige Pascal Salin, et figure parmi les très
rares intellectuels libéraux authentiques en France.
Publié
avec l’aimable autorisation de Georges Lane. Tous droits
réservés par l’auteur
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