Il y a deux domaines dans
lesquels l’Abénomie, religion économique démocratiquement élue par le Japon,
semble avoir réussi : créer de l’inflation sans augmenter les salaires,
et donc diminuer les revenus réels, et dévaluer le yen de 25%, faisant ainsi
disparaître un quart de la richesse des Japonais sans le leur dire
directement. Le Premier ministre Shinzo Abe mérite toute notre admiration
pour ces grands accomplissements.
Mais dans d'autres domaines,
ses performances sont assez peu reluisantes. L’un des objectifs de la
dévaluation du yen est l’augmentation des exportations rendues moins chères à
l’étranger, et la réduction des importations, rendues plus chères pour les
consommateurs et les entreprises du pays. Cela permettrait au Japon de
relancer son secteur manufacturier et de générer un surplus commercial qui
gonflerait le PIB, ferait d’Abe un héros, et sauverait le Japon. C’était le plan.
Mais ce plan n'a pas
fonctionné. Ses vicieuses conséquences ont même surpris les plus cynique,
dont je fais partie.
Pour ce qui est des
exportations, elles s’élevaient en janvier à 5,25 trillions de yens, soit une
hausse de 9,5% sur un an. Mais ce n’est hélas que la moitié du taux auquel le
yen s’est trouvé dévalué au cours de ces douze derniers mois, et en termes de
volumes, les exportations ont donc baissé.
Les importations, qui auraient
dû baisser à mesure qu’elles étaient rendues plus chères par un yen dévalué,
ont gagné 25% pour passer à 8,04 trillions de yens. Les consommateurs et
entreprises du Japon se sont lancés dans une orgie d’achat de produits venus
de Chine et d’ailleurs.
le déficit commercial du pays
a donc gagné 70,8% pour passer à 2,79 trillions de yens. Le pire déficit
commercial jamais enregistré. Presque deux fois celui précédemment qualifié
de pire balance commerciale de tous les temps, enregistré en janvier 2013. En
janvier 2010, le Japon avait encore un surplus commercial de 43 milliards de
yens ! Il s’est agi du dix-neuvième mois consécutif de déficit
commercial, la pire séquence depuis que quiconque a commencé à compter, pire
encore que la série de quatorze mois enregistrée en 1979-80.
Et ce n’était que la suite
d’une détérioration effrénée : le déficit commercial du mois de janvier
a été le pire mois de janvier de tous les temps. Il en est allé de même pour
décembre, novembre, octobre… et ce jusqu’en 2011.
Mais n’allons pas blâmer la
fermeture de réacteurs nucléaires et l’importation de gaz naturel liquéfié et
de charbon pour la régénération énergétique. Le Japon est obligé d’importer
plus d’énergies fossiles pour combler la perte en énergie nucléaire. La
valeur des importations de gaz naturel a augmenté de 21,4% sur un an – ou de
129,8 milliards de yens, en grande partie du fait de la dévaluation de la
devise japonaise, et non de l’utilisation accrue de gaz naturel. La valeur
des importations de charbon a augmenté de 14,8%, ou de 26,8 milliards de
yens. Le total combiné est de 156,6 milliards de yens. Sans cette hausse, le
déficit commercial aurait été de 2,63 trillions de yens, plutôt que de 2,79
trillions. Elle n’a donc pas changé grand-chose. Le déficit commercial du
Japon aurait avec ou sans elle été le plus élevé de tous les temps.
Et le Japon n’importe pas de
gaz naturel et de charbon depuis la Chine, mais c’est toutefois avec la Chine
que son déficit commercial a explosé. Malgré les démonstrations d’irritation
et d’agression dans les deux pays, le Japon et la Chine sont joints
commercialement, et la Chine est le plus gros partenaire commercial du Japon.
Pour aller droit au but
concernant les exportations vers la Chine, dont un quart passent par Hong
Kong, j’ai combiné les données commerciales de la Chine et de Hong Kong. Les
exportations vers les deux pays ont atteint 1,1 trillion de yens, soit une
hausse de 8,8% - moins de la moitié du taux de dévaluation du yen ! Mais
les importations depuis la Chine et Hong Kong ont augmenté de 34% pour
atteindre 1,92 trillion de yens. Fût un temps, le Japon était l’un des pays
qui enregistraient les plus importants surplus commerciaux avec la Chine.
Mais en janvier, le déficit commercial du japon avec la Chine et Hong Kong a
presque doublé pour atteindre 826 milliards de yens.
Où se concentrent les
dommages ? L’importation de biens à la consommation, tels que les
produits en fer ou en acier, a augmenté de 29% sur un an. L’importation de
machines, comme les ordinateurs, a augmenté de 37,4%. Les produits
électroniques, dont les semi-conducteurs, les équipements audiovisuels et de
télécommunication ont enregistré une hausse de 33,7%. Les équipements de
transport ont augmenté de 41%. Les sociétés japonaises dominaient autrefois
ces secteurs. Alors que certaines ont été rattrapées par la compétition
internationale, d’autres excellent encore pour ce qui est du design de ces
produits. Mais elles les fabriquent à l’étranger.
Les sociétés japonaises ont
depuis longtemps déplacé leur production à l’étranger pour tirer avantage
d’une main d’œuvre peu chère, bien qu’elles restent derrière leurs
compétiteurs américains. Depuis le tremblement de terre de mars 2011, elles
se sont efforcées de diversifier leurs chaines d’approvisionnement et
d’échapper aux contraintes énergétiques, à la hausse des taux et aux coupures
de courant qui ont suivi le fiasco de Fukushima. Elles ont déplacé leurs
infrastructures de production plus près de leurs plus gros marchés, notamment
la Chine, et particulièrement pour ce qui concerne l’industrie automobile.
Elles ont aujourd’hui une
raison supplémentaire : traduire les profits de leurs opérations
étrangères en yens dévalués ajoute une couche de rouge à lèvre brillant à
leurs bilans – et les marchés sont aveuglés par ce genre de sex-appeal
illusoire.
Ce que ces héros japonais ne
font pas, c’est rapatrier leurs profits étrangers. Ils comprennent l’Abénomie
et ne veulent pas voir leurs capitaux démolis par la dévaluation. Ces fonds
restent donc à l’étranger, et sont réinvestis à l’étranger, et dépensés à
l’étranger. L’économie japonaise a fini par payer. C’est là toute la folie de
l’Abénomie.
Bravo, donc, à la Banque du
Japon. Sa campagne héroïque d’impression monétaire a porté ses fruits. Les
gens n’ont peut-être pas réalisé que leur capital est parti en fumée.