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Cours Or & Argent

La fonction du profit

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Extrait des Archives : publié le 08 novembre 2012
1484 mots - Temps de lecture : 3 - 5 minutes
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L'indignation que manifestent beaucoup de gens au simple mot de profit montre à quel point on se rend bien peu compte de la fonction essentielle que le profit remplit dans notre économie. Pour mieux nous faire comprendre, nous reviendrons sur certains aspects de la question étudiée au chapitre XIV sur le système des prix, mais vus sous un autre angle.

 

Le profit aujourd'hui ne pèse pas très lourd dans l'économie de notre pays. Durant les années 1929 à 1943, le revenu net des affaires a été à peine de 5 % du revenu total national. [Les profits des entreprises après impôts durant les cinq années de la période 1956-1960 se sont montés à moins de 6 % du revenu national. De même durant les cinq années de la période 1971-1975, bien qu'ils aient été probablement surestimés, en raison d'un ajustement insuffisant de la comptabilité en ce qui concerne l'inflation. (Édition de 1979, traduit par Hervé de Quengo)] Et pourtant le profit est la forme du revenu contre laquelle s'élève l'hostilité la plus grande. N'est-il pas significatif qu'on ait forgé le mot « profiteur » pour stigmatiser ceux qui sont censés réaliser des profits exagérés, mais qu'il n'existe aucun mot équivalent, tel que « encaisseurs de pertes ». Et cependant les bénéfices d'une maison de coiffure peuvent être beaucoup moindres, non seulement que les cachets d'une star de cinéma ou que le traitement du chef appointé d'une aciérie, mais encore que le salaire moyen d'un ouvrier qualifié.

 

On obscurcit la question de toutes sortes d'erreurs de faits. On cite toujours le bénéfice global de la General Motors, la plus grande entreprise industrielle qui soit au monde, comme s'il était typique et non pas exceptionnel. Mais peu de gens savent quel est le taux de mortalité des entreprises commerciales. On ne sait pas (ainsi que nous l'apprennent les Études T.N.E.C. que nous citons ici) « que si on s'en rapporte aux chiffres moyens des 50 années précédentes, 7 sur 10 des épiceries ouvertes aujourd'hui ne vivront pas plus de deux ans, et que seulement 4 sur 10 pourront sans doute célébrer leur quatrième anniversaire ». On ignore que chaque année, de 1930 à 1938, comme les statistiques de l'impôt sur le revenu l'ont révélé, le nombre des firmes dont les comptes annuels se sont soldés par une perte a été plus grand que celui des firmes qui réalisèrent des bénéfices. Et quel montant de ces bénéfices, en moyenne ? [On répond d'habitude à cette question en citant le type de chiffres que j'ai donnés au début de ce chapitre — une moyenne des profits des entreprises représentant moins de 6 % du revenu national — ou en montrant que les profits moyens après impôts de toutes les entreprises industrielles représentent moins de 5 cents par dollar de vente. Pour les années de 1971 à 1975, par exemple, le chiffre ne fut que de 4,6 cents. Mais ces chiffres officiels, bien que se situant bien au-dessous des idées populaires quant à l'importance des profits, ne s'appliquent qu'aux résultats des sociétés,calculés d'après les méthodes usuelles de comptabilité. (Édition de 1979, traduit par Hervé de Quengo)] Il n'existe pas d'estimation certaine qui ait tenu compte de toutes les formes que revêtent les affaires, individuelles ou sous forme de sociétés, et qui s'échelonne sur un nombre suffisant de bonnes ou de mauvaises années. Mais bon nombre d'économistes éminents s'accordent à penser que, sur une longue période, déduction faite de l'intérêt normal du capital et d'un salaire raisonnable pour le chef d'entreprise, le bénéfice est illusoire et que souvent même les pertes l'emportent. Cela ne veut pas dire que les entrepreneurs (ceux qui sont leur propre patron) sont des philanthropes volontaires, mais seulement que leur optimisme et leur confiance en soi les conduisent parfois en des affaires qui ne peuvent réussir [1].

 

Et, en tous cas, il est bien évident que quiconque place son capital dans les affaires risque, non seulement de n'en retirer aucun intérêt, mais de perdre le principal. Dans le passé, l'appât des gros dividendes, dans telle entreprise ou dans telle industrie, incitait le capitaliste à courir des risques élevés. Mais si les profits sont limités, mettons à 10 % environ, alors que le risque de perdre la totalité de son capital reste entier, quelle sera la conséquence sur la stimulation du profit, et, par suite, sur la demande de main-d'œuvre et la production ?

 

Les impôts sur les bénéfices extraordinaires prélevés en temps de guerre nous ont montré comment cette limitation du profit peut même en très peu de temps affaiblir l'efficience économique.

 

Et pourtant, dans presque tous les pays, la politique économique que les gouvernements suivent, en dépit des efforts qu'on fait pour la décourager, tend à supposer que la production continuera. Le plus grand danger qu'elle court lui vient pourtant du contrôle étatique des prix. Non seulement il tue tel ou tel produit l'un après l'autre, en supprimant l'intérêt qu'on peut avoir à le fabriquer, mais à la longue il devient impossible d'adapter la production aux besoins des clients. Si l'économie restait libre, la demande serait si grande que, dans certains secteurs de la production, les fabricants réaliseraient des bénéfices tels que les pouvoirs publics ne manqueraient pas de les qualifier d'excessifs ou d'illicites. Mais ce même fait n'aurait pas seulement pour conséquence de porter la production au maximum dans ces industries, et de leur permettre de réinvestir leurs profits sous forme d'embauchage de nouveaux ouvriers et d'achat de machines nouvelles ; il servirait aussi à susciter dans cette industrie de nouveaux capitaux et de nouveaux entrepreneurs jusqu'à ce que la production y soit suffisante pour satisfaire la demande, et qu'ainsi ses profits soient ramenés au niveau moyen général.

 

Dans une économie libre où les salaires, les coûts de production et les prix sont déterminés par le libre jeu du marché, c'est justement la perspective du gain possible qui détermine le choix des articles à fabriquer et leur quantité, et ceux qu'il faut cesser de produire. Si l'on ne réalise aucun bénéfice en fabriquant tel produit, c'est la preuve que le capital et le travail qui s'unissent pour le produire font fausse route, et que la valeur des matières premières qu'on perdra pour le créer est plus grande que celle de l'article fabriqué lui-même.

 

L'une des fonctions du profit est donc, en résumé, d'orienter et de canaliser les facteurs de la production de façon telle que l'approvisionnement de milliers de produits désirés soit conforme à la demande virtuelle qui en est faite. Or, pas un fonctionnaire, si brillant soit-il, ne peut résoudre ce délicat problème discrétionnairement. Prix libres et profits libres permettent seuls à la production de donner son maximum et remédient à la disette plus vite qu'aucun autre système. Contrôle arbitraire des prix et limitation arbitraire du profit ne peuvent que prolonger la rareté et réduire la production autant que l'emploi.

 

Finalement donc, la fonction du profit consiste à imposer au chef d'entreprise l'obligation implacable et incessante de soutenir la concurrence en réalisant de nouvelles économies ou en introduisant des améliorations dans son affaire, quel que soit le développement déjà atteint par elles. Dans les années prospères, il le fait pour augmenter ses bénéfices ; en temps normal il le fait pour résister à ses concurrents ; dans les années mauvaises, il le fait pour pouvoir survivre. Car il arrive que les bénéfices ne tombent pas seulement à zéro, ils peuvent fort vite se transformer en pertes, et à ce moment tout homme déploiera des efforts plus grands pour sauver son affaire de la ruine qu'il n'en ferait pour l'améliorer.

 

En résumé, le profit qui résulte du rapport entre le coût et le prix, non seulement nous renseigne sur les produits qu'il est plus économique de fabriquer, mais aussi nous fait découvrir les procédés les plus économiques pour le faire.

 

Ces problèmes doivent être résolus aussi bien par les systèmes socialistes que par le système capitaliste et par quelque système économique que ce soit, et quand on considère l'énorme amoncellement de produits et de denrées qui sont fabriqués, les réponses que les profits et pertes, dans le jeu de la libre concurrence, apportent à ces problèmes sont incomparablement plus pertinentes que celles que l'on peut obtenir par aucune autre méthode.

 

[J'ai voulu souligner la tendance à la réduction des coûts de production parce qu'il s'agit de la fonction des pertes et profits qui semble la moins appréciée. La plus grande part des profits va, bien sûr, à celui qui fabrique un meilleur piège à souris que son voisin tout autant qu'à celui qui le fabrique de manière plus efficace. Mais le rôle du profit en ce qui concerne la récompense et la stimulation de l'innovation et des produits de meilleure qualité a toujours été reconnue. (Édition de 1979, traduit par Hervé de Quengo)]

 

Note

 

[1] Voir F.H. Knight, Risk, Uncertainty and Profit, 1921.

 

Remerciements : Hervé de Quengo, et traduction par Mme Gaëtan Pirou

 

 

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Henry Hazlitt (28 novembre 1894 - 8 juillet 1993) est un philosophe, essayiste, et journaliste libertarien américain. Journaliste au Wall Street Journal, à Newsweek et au New York Times, il s'est fait connaître grâce à son livre L'Économie en une leçon (en), un ouvrage de vulgarisation sur les principes de l'économie de marché, basé sur Ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas de Frédéric Bastiat. Auteur prolifique, il est aussi l'auteur d'une œuvre majeure sur l'éthique, The Foundations of Morality.
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