Dans Principles
of economics (un des plus populaires manuels d’économie),
Gregory Mankiw pose une question intéressante : pourquoi les
éléphants sont-ils en voie de disparition tandis que les vaches
(pourtant une espèce bien plus fragile) ne le sont pas ? La réponse
à cette question nous permet de mieux comprendre
l’intérêt d’une gestion privée des ressources
environnementales. En bref, le raisonnement économique classique est
le suivant : la vache ne disparaîtra pas tant qu’il y aura
une demande de lait et de viande de bœuf. Suivant la même logique,
on devrait pouvoir dire : la survie des éléphants
dépend de la demande d’ivoire.
Pourtant, la
vision dominante s’agissant de préserver la vie sauvage continue
à s’appuyer sur des politiques publiques favorables à la
conservation des espèces et donc implicitement au refus du commerce
des ressources naturelles. Le cas
des éléphants, symptomatique de ce point de vue, mérite
d’être approfondi. Ainsi, la survie des
éléphants en particulier (et celle des espèces en voie
de disparition en général) dépend actuellement des
décisions prises dans le cadre de la CITES (Convention on International Trade in Endangered
Species of Wild Fauna and Flora).
Cette commission, composée de 171
États-membres et appuyée par les Nations unies, s’emploie
à contrôler le marché international de l’ivoire
dont la vente est formellement interdite depuis 1989. Toutefois, il est
intéressant de noter que de temps à autres, certains pays
(notamment dans la pointe sud de l’Afrique) réussissent à
négocier des accords autorisant des ventes ponctuelles vers
l’Asie. Par exemple, en 2002, l’Afrique du Sud, le Botswana et la
Namibie ont vendu 60 tonnes d’ivoire au Japon. En 2008, le Botswana,
l’Afrique du Sud, la Namibie et le Zimbabwe ont également vendu
108 tonnes d’ivoire au Japon et à la Chine.
Pendant ce temps, d’autres pays d’Afrique de
l’est, comme le Kenya, dépensent des efforts
considérables et toujours insuffisants dans la traque des braconniers
tout en vantant la destruction de leurs butins sur des bûchers publics. Par ailleurs, le commerce illégal de l’ivoire finance
les guerres incessantes soutenues par L'Armée de résistance du
Seigneur (LRA : Lord’s Resistance Army)
en Ouganda, par les milices Djandjawid au Soudan, ou encore par les milices Al-Shabbaab
en Somalie.
Ces deux attitudes vis-à-vis du commerce de
l’ivoire des pays du sud et de l’est de l’Afrique rendent
compte de deux stratégies radicalement différentes dans la
gestion des éléphants (et des ressources environnementales en
général). Si les pays de l’est de l’Afrique ont
choisi de bannir l’usage commercial des éléphants et des
produits comme l’ivoire, les pays du sud du continent ont
encouragé au cours des deux derniers décennies la propriété
privée des réserves naturelles, qui organisent des safaris,
vendent des licences de chasse et exploitent l’ivoire de manière
raisonnée.
Pour ce qui est des résultats de ces deux types de
gestion des éléphants, les statistiques du International Union for Conservation of Nature (IUCN) parlent d’elles mêmes. Le graphique plus bas
indique qu’au Zimbabwe et Botswana, le nombre
d’éléphants a augmenté exponentiellement de
30 000 et 20 000 à 70 000 entre 1978 et 2003. Tandis
que la population des éléphants au Kenya a vertigineusement
diminué, de 140 000 en 1978 à environ 17 000 en 2003.
Alors qu’en Côte d’Ivoire l’on ne
compte plus qu’à peine 200 spécimens (le mot
« éléphants » n’y est
d’ailleurs plus guère utilisé que pour désigner
les joueurs de l’équipe nationale de football), la plus
grande réserve privée du Botswana, qui s’étend sur
25 000 hectares (Mashatu Game Reserve) , abrite à elle seule environ
900 éléphants.
Dans la
gestion des éléphants en Afrique de l’est, la
tragédie des biens communs trouve ainsi une parfaite et bien triste
application. Lorsque les braconniers ou les groupes armés qui tirent
profit du commerce de l’ivoire ne sont pas propriétaires des éléphants,
ils n’ont aucun intérêt direct à leur
préservation. L’augmentation du nombre
d’éléphants au Sud de l’Afrique est en revanche
très certainement liée à la gestion privée et aux
perspectives d’en tirer du profit et des investissements. Cette
situation illustre aussi très bien l’exemple de Mankiw : le
commerce légal de l’ivoire non seulement ne menace pas les
éléphants, mais favorise au contraire la survie de
l’espèce.
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