Résumons l'intrigue de ce roman*
fleuve de plus de 1000 pages : John Galt tente secrètement de
convaincre les principaux créateurs et producteurs,
pressurés par un gouvernement qui veut les spolier, insultés
par les médias et haïs par les bien-pensants en tous genres, de
se mettre en grève pour démontrer au monde que la civilisation
ne peut survivre sans eux. Ceux-ci se réfugient dans un lieu secret
où ils ont fondé une société nouvelle, libre.
Pendant ce temps, privée de ses créateurs, l'Amérique
sombre dans le chaos.
La Grève met en scène
des « hommes d'esprit » (scientifiques
indépendants, entrepreneurs honnêtes, artistes individualistes,
travailleurs consciencieux) dont la disparition mystérieuse provoque
crises et catastrophes. Celui qui les entraîne dans cette
« grève », dans ce retrait, est John Galt, le
héros randien, à la fois entrepreneur, philosophe et inventeur
de génie.
Le roman décrit ce qui se passe
lorsque les hommes d'État traitent les hommes d'esprit comme des
esclaves, en les diabolisant, en le culpabilisant et en les
spoliant. L'homme qui produit pendant que d'autres disposent du produit
de son effort est un esclave. Dans le roman, Ragnar Danneskjöld,
l'un des proches de John Galt, explique le dilemme :
« Réfléchissez, monsieur Rearden. Il n’y a
plus que deux façons de vivre, aujourd’hui. Être un
pillard qui vole des victimes désarmées ou être une
victime qui travaille pour ceux qui les exploitent. J’ai choisi de
n’appartenir à aucune de ces deux
catégories ».
Le titre du livre proposé à
l’origine par Ayn Rand pour Atlas Shrugged était
« The Strike », La grève. C’est le
titre qui a été repris par les éditions des Belles
Lettres pour leur traduction française sortie en 2011. Il
n'existe probablement pas d'analyse plus juste, de compréhension plus
aboutie et de dénonciation plus pertinente de l'étatisme que ce
roman.
« Nous sommes en grève
contre l’auto immolation, dit John Galt. Nous sommes en grève
contre le principe des récompenses imméritées et des
obligations sans contrepartie. Nous sommes en grève contre la doctrine
qui condamne la poursuite du bonheur personnel. Nous sommes en grève
contre le dogme selon lequel toute vie est entachée de
culpabilité. »
Que faire ? Le
véritable message d'Ayn Rand est philosophique
« Tant que nous n’en sommes
pas arrivés à la censure des idées » a dit un
jour Ayn Rand, « nous n’avons pas à quitter la
société comme le font les personnages de La Grève…
Mais savez-vous ce qu’il faut faire ? Il vous faut couper les
ponts d’avec la culture, en rejeter toutes les idées,
l’entière philosophie dominante
d’aujourd’hui. »
En fait la corruption des politiciens
n’est qu’un symptôme. Le vrai problème réside
dans les fausses idées philosophiques et les faux idéaux moraux
auxquels nous adhérons sans nous en rendre compte. Faire la
grève peut consister pour nous à ne plus accepter
l'étatisme et à le combattre avec les armes de la pensée
réaliste. Ayn Rand a écrit également
: « La racine de la catastrophe du monde moderne est d'ordre
philosophique et moral. Les gens n'embrassent pas le collectivisme parce
qu'ils ont accepté une fausse théorie
économique. Ils se tournent vers une fausse théorie
économique parce qu'ils ont embrassé le
collectivisme ». Les racines profondes de la crise sont
à chercher dans l'idéologie étatiste-collectiviste
qui « sacrifie l’estime de soi au déni de
soi » comme le dit encore John Galt.
Le capitalisme,
incarnation de principes éthiques
À travers John Galt, l'auteure
défend au contraire le capitalisme comme l'incarnation de principes
éthiques et économiques rationnels :
1° L'esprit est à la racine de la
création et de la richesse. Le thème du roman est le rôle
de l'esprit humain dans la société. C’est un contresens
absolu que de faire d’Ayn Rand une apologiste du
matérialisme. Bien sûr, le caractère rationnel et
créatif de la personne humaine se reflète dans l'acte de
production matérielle. C’est pourquoi l'esprit doit être
libre d'inventer et de produire de nouveaux biens et services. Quand les
hommes sont libres, ils peuvent utiliser au mieux leur esprit pour atteindre
leurs objectifs et poursuivre leurs vies.
2° C'est la production qui initie la
demande d'autres produits et services. La Grève illustre
à merveille la loi des débouchés de Say (né
à Lyon le 5 janvier 1767 et mort à Paris le 14 novembre 1832)
qui stipule que l'offre crée sa propre demande. La production est une
condition préalable à la consommation. Une personne ne peut
exiger des produits et services des autres que s’il a
déjà commercialisé avec succès ses propres
produits et services.
3° Le livre démontre
également que la richesse n'est pas sans cause et que, en supprimant
la cause (à savoir, l'esprit), la grève supprime l'effet (la
richesse). En effet, l’entrepreneur passionné est le premier
moteur et la main visible de la croissance économique. C’est
pourquoi Hank Rearden, Dagny Taggart et Ellis Wyatt sont les vrais
héros du roman. Ces individus contribuent davantage à la prospérité
que tous les autres. Ils sont les véritables acteurs de la
prospérité économique par l'innovation et la
création de nouvelles entreprises.
4° Rand fournit une description
littéraire de ce qu’on peut appeler le « capitalisme
de copinage ». James Taggart utilise ses amitiés politiques
pour influencer l'Alliance nationale des chemins de fer et faire passer des
lois à son avantage. À son tour, le producteur d'acier Boyle
Orren utilise l’influence de Taggart à Washington en vue de
faire interdire la concurrence et dépouiller Hank Rearden de ses mines
d’acier. La Grève illustre ainsi le fait que
l'intervention du gouvernement décourage l'innovation, la prise de
risque et bloque le processus de création de richesse.
5° Le capitalisme de laissez-faire est
le seul système économique moral, car il protège
l'esprit de l’homme, son principal moyen de survie et
l'épanouissement. Il s’oppose au capitalisme de copinage.
Dans un livre écrit plus tard, Capitalism, the Unknown Ideal (non traduit en français)
Ayn Rand oppose le capitalisme de laissez-faire à
l’étatisme : « Le capitalisme de laissez-faire
est le seul système social justifié et, par conséquent,
le seul système qui proscrive la force dans les relations sociales
(…) Si les hommes veulent s’opposer à la guerre,
c’est l’étatisme qu’ils doivent combattre. Aussi
longtemps qu’ils soutiennent la notion tribale que l’individu est
bon à être sacrifié à la collectivité, que
certains hommes ont le droit de régner sur les autres par la force et
qu’un "bien" (n’importe quel "bien") peut le
justifier – il ne peut y avoir de paix à
l’intérieur d’une nation, ni de paix entre les nations
». (The Roots of War)
*Édité chez Les Belles
Lettres, traduit par Sophie Bastide-Foltz, Atlas Shrugged est disponible en version
française sous le titre La
Grève.
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de l’article
Ayn
Rand
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