Une redoutable nausée soulève
les cœurs des Américains à l’approche de l’heure fatidique. Lequel des deux
candidats recevra aujourd’hui le coup de grâce ? Je n’aimerais pas être
à leur place. Le fleuron de la modernité a perdu de son pouvoir de séduction,
et personne ne sait quoi faire pour y remédier, à une heure où les URS-USA se
trouvent embardés vers le tourbillon.
Beaucoup estiment que les
élections prendront plus de temps que prévu, et que les résultats en seront
contestés du haut de toutes les collines et taupinières du territoire. Ce
scénario suggère divers dénouements, qui sont tous déplorables : 1) les
élections seront une nouvelle fois reléguées à la Cour suprême, qui en
arrivera à un partage des voix à 4 contre 4 pour nous mener tout droit vers
une crise constitutionnelle. 2) Plutôt que d’en arriver à la Cour suprême,
les élections seront reléguées à la Chambre des représentants, dont les
membres ne sont pas limités à un vote pour Trump ou Hillary. Ils sont en
mesure de désigner qui ils veulent. 3) Sur la toile, beaucoup s’imaginent que
le président Obama sera en mesure d’invoquer une sorte de situation d’urgence
qui verra les élections reportées jusqu’à ce qu’un conclave de vizirs
politiques puisse trouver une solution. Très peu probable, mais pas
impossible.
La décision de dernière minute
de James Comey, le directeur du FBI, de gracier Hillary Clinton dans le cadre
de l’affaire du serveur d’emails a laissé comme une odeur de carpe pourrie au
travers du paysage politique. Comme si son équipe avait pu se pencher sur
650.000 emails en une semaine. Bien entendu, le FBI n’émet pas de mise en
accusation. C’est là le travail de l’Avocate générale Loretta Lynch, au
Département de la justice. Le FBI ne fait que renvoyer des affaires
criminelles auprès d’elle. Il n’en est pas moins que tout cela ne raye toute
l’histoire que d’un trait de stylo trop fin, parce que l’affaire de la
Fondation Clinton est quelque chose de très sérieux, comme l’est le trafic d’influence
qui a eu lieu alors qu’Hillary travaillait pour le Département d’Etat.
L’affaire n’est pas close. Elle
ne dégage pas une odeur de carpe pourrie, mais d’un véritable groupe de
baleines en décomposition sur la plage. La moitié des émirs d’Arabie ont
versé des millions de dollars à la Fondation pour faciliter le trafic d’armements
ou influencer les politiques étrangères américaines, et ce n’est là qu’un
aspect de ce qui ressemble de très près à une opération classique de racket.
L’affaire de la Fondation Clinton ne disparaîtra pas et, si Hillary venait à
accéder au bureau ovale, continuera d’écraser la sphère publique.
Voilà qui suffit à obscurcir la
calamité qui se développe sur le secteur bancaire et financier et que j’aime
qualifier de tourbillon enragé. Suite à ces huit dernières années d’expériences
bancaires, les rouages des machines de capital ont été encrassés par les
programmes d’assouplissement quantitatif et de taux d’intérêt à zéro
pourcent. Plus rien n’est évalué correctement, et encore moins la monnaie.
Tout ne fonctionne plus qu’au travers de la fraude comptable. Nous sommes
incapables d’accepter les réalités qui se cachent derrière cette fraude en
termes de ressources, et notamment la fin de l’ère du pétrole abordable. La
conséquence en est déjà le ralentissement du commerce global. Les grands
poobahs du secteur bancaire se prétendent confus face à tout cela parce que
tout ce qui leur importe – leur réputation, leur emploi, leur fortune –
dépend du récit Potemkine selon lequel une expansion économique plus
importante que jamais nous attend aujourd’hui au tournant.
Mais ce n’est pas vrai. Ce qui
nous attend au tournant, c’est une ruée globale vers les restes du banquet
techno-industriel. Ce genre de mêlée ne risque que de fomenter un conflit cinétique.
Ni Trump ni Hillary ne semblent comprendre ce que tout cela signifie, et ils auront
tous deux de grandes chances de mal en interpréter les signaux au milieu de
tout ce cafouillage. Une guerre inutile pourrait être déclarée en
conséquence. Hillary semble déjà avoir opté pour cette solution, au vu de ses
croassements tout au long de la campagne électorale quant à l’implication de
pirates russes dans la fuite de ses emails.
La tragédie de Trump, c’est qu’il
représente un registre de revendications légitimes, qu’il a d’abord très mal
défendues pour ensuite trahir par un comportement si grossier qu’il est à
plusieurs reprises passé pour complètement inapte à occuper une position de
pouvoir. Ses partisans l’ont ignoré, satisfaits à l’idée que Trump représente
un gigantesque bras d’honneur à l’attention de l’établissement politique.
Mais ce n’est pas suffisant, parce qu’au fil de sa campagne, Trump a su délégitimer
toutes les questions qu’il a lui-même soulevées.
Son argument en faveur d’une
suspension de l’immigration a beaucoup de bon, par exemple. Le Congrès a
adopté la même position en 1925 après un demi-siècle de flux migratoires
venus répondre au besoin en ouvriers du début du XXe siècle. Cette politique
a pu être employée sans trop de rancœurs – et juste à temps pour la Grande
dépression, qui a vu disparaître de nombreux emplois manufacturiers. Aujourd’hui
encore, les activités productives menacent de sombrer, depuis les comptoirs
de McDonald’s jusqu’aux ensembles d’obligations de Goldman Sachs.
Quoi qu’il arrive, l’établissement
recevra son bras d’honneur. Il serait probablement préférable pour Hillary de
gagner les élections, parce que de cette manière, les bonnes personnes (ceux
qui sont déjà au pouvoir) pourront être blâmées pour la descente de leur pays
jusqu’au cœur du tourbillon.
Après ça, tout pourrait se
passer – nous pourrions voir apparaître un Nazi qui viendrait succéder à
Trump et prendre les rênes de la politique conservative… une deuxième guerre
civile… un monde « fait à la main ». Beaucoup réalisent aujourd’hui
que le pays devra traverser un véritable calvaire avant de pouvoir se
relever. Juste à temps pour les vacances.
Et moi ? Je vais voter pour
Homey D. Clown. Lui, au moins, ne s’est pas comporté en idiot.