Ce fut une semaine épique : dans un vent de panique palpable au niveau des
rédactions de presse et des organes de directions de la plupart des partis
politiques, on a appris que les politiciens trichaient, mentaient, fraudaient
le fisc et ne semblaient pas trop content de se faire choper. L’étonnement de
la population française fut total.
Bon. OK, pas tout à fait.
Il semblerait que certains avaient bien intégré que nos amis de la haute
politique politicienne pratiquaient depuis déjà un moment la technique du Ni
Vu Ni Connu, du Par Ici La Bonne Soupe et du Faites Ce Que Je Dis, Pas Ce Que
Je Fais avec une certaine aisance. Quelques personnes, en France, ont
semble-t-il compris qu’il ne servait plus à rien depuis des années d’aller
voter, l’intérêt du choix s’émoussant franchement lorsqu’on a compris qu’il
s’établit essentiellement entre le sandwich au caca ou la poire à lavement.
Plusieurs témoignages concordants (bien qu’étalés dans le temps) faisaient
état – ô stupeur – de plusieurs contribuables dont le sourire n’était
décidément pas vissé au visage lorsqu’il s’agit de remplir la déclaration
d’impôts ou, a fortiori, de la payer. La rumeur voulait même qu’il existait,
en plusieurs contrées de la République, des individus qui clamaient haut et
fort (et, semble-t-il, sans la moindre pudeur) que « ça commence à
suffire ces taxes et ces impôts, quoi, zut, à la fin ».
Mais voilà : jusqu’à présent, ces bruits qui couraient tenaient, on le
sait maintenant, bien plus de la légende que des faits solides et avérés. La
réalité, tangible et indépassable, c’est que le contribuable moyen, le
citoyen conscientisé, le Français de bon aloi se fait un évident plaisir de
participer à la vie politique de son pays, exprime une gratitude mêlée de
respect lorsqu’il évoque ses élites bienveillantes qui gouvernent le pays
vers des lendemains qui rock et qui rollent comme
nulle part ailleurs, et qu’il ne peut s’empêcher de sentir la joie l’envahir
lorsqu’il signe son chèque des impôts (parce qu’en France, oui, monsieur, on
a encore des chéquiers en papier qu’on signe avec son gros stylo plume qui
bave un peu, oui, monsieur – les virements bancaires, c’est pour les âpres
comptables et autres scribouillards de la technique aride et sans cœur, et
donc prout, monsieur, oui, prout, le chèque c’est chic, le chèque c’est choc
et remettez-moi en une bonne douzaine, merci).
Seulement, là, avec l’affaire Guérini, l’affaire
Cahuzac, l’affaire Augier, l’affaire Bettencourt,
l’affaire Andrieux, on n’est plus si sûr. Certains ont montré de l’émoi,
certains ont rouspété. Il y a eu des éclats de voix. Et pour ceux dont
l’opération de la honte s’est réalisée dès le plus jeune âge, la colère et
les larmes ont même déformé leurs traits ; Gérard Filoche — dont la hontectomie fut réalisée très tôt, alors qu’il n’avait
pas même 23 ans, à cru, pendant mai 68 — pourra
vous en parler en détail et il ne s’est d’ailleurs pas gêné pour le faire
aussi en plateau, devant de complaisantes caméras et de commodes journalistes
tombés là par hasard.
Bref : il semblerait que la joie de vivre, celle-là même qui faisait
jusqu’à présent la marque de fabrique, l’estampille même du vivrensemble ancestral de ce pays, se soit un peu altérée
à l’avalanche de merdes putrides petits
soucis financiers chez les politiciens. Zut et zut, voilà qui est gênant en
cette période où, c’est tout de même ballot, il va falloir mettre un peu tout
le monde à contribution, un peu plus.
Eh oui : toutes ces affaires rendent fort difficile, pour les agents du
fisc, la collecte de l’impôt citoyen et joyeux que, jusqu’à présent, chacun
consentait sans mal à payer pour avoir le privilège de vivre dans si beau
pays. Pensez donc ! Toute cette belle protection sociale, qui rembourse comme
pas deux, ni un d’ailleurs et qui ne fait aucun déficit et permet à tant de
famille très très très
nombreuses de vivre, à tous ces malheureux accidentés de la vie ou des essais
sociétaux rigolos et autres mouvements d’humeurs syndicaux, artistiques ou
éducationnels de ne pas se retrouver dans la rue ! Toute cette belle
scolarité gratuite qui permet à tant d’enfants à apprendre à se
passer de lire, d’écrire, à compter (sur les autres) et à peindre les
pancartes revendicatives bien à l’intérieur du trait ! Toutes ces routes gratuites,
ces transports en communs gratuits (et performants,
surtout), toutes ces protections diverses, tout cela a un coût et tout le
monde était, avant ces dizaines de vilaines affaires, parfaitement heureux de
participer à le payer.
Mais voilà : avec le FoutageDeGueulomètre qui
vient de largement pulvériser des records ces dernières 72 heures, la grogne
est maintenant installée chez le contribuable qui vient de se rendre compte
qu’il payait un peu pour toutes ces conneries, ces ignominies, ces déballages
scandaleux et ces putains de bordel de nom d’une pipe de détournements
maousse de fonds publics qu’il faut pas déconner merde à la fin. En substance
et pour schématiser, bien sûr. Et cela se traduit par quelques jolies remontées acides … devant les inspecteurs du fisc.
Nous sommes le 5 avril 2013, et après 40 ans de cuisson douce, le
contribuable français semble d’avoir tout juste atteint le seuil de douleur
et qu’il vient de se réveiller. C’est timide pour le moment, les petits
spasmes pourraient n’être que des sursauts avant un ferme rendormissement,
mais cela semble pourtant coïncider avec d’autres initiatives et rejoint par la même les travaux
de longue haleine d’associations
de contribuables qui ont compris, elles, que la température montait
lentement depuis déjà trop longtemps.
Nous sommes le 5 avril 2013, et quelques articles, timides, dans une
presse dont la veulerie n’étonne plus personne, commencent à relater la colère du peuple qui gronde d’avoir été si longtemps
spolié, à relater celle de sa jeunesse qui ne rêve que d’exil d’un pays où les
lendemains pleurent. On entend déjà, bien sûr, les appels à lutter contre le
méchant populisme, le « Pas Tous Pourris » touchant de naïveté des
idiots inutiles ou des cyniques parasitaires, et les dérives extrémistes qui
attendent le pays si, justement, on laisse les gens s’exprimer vraiment.
Nous sommes le début avril 2013, et, il faut bien le dire simplement : la
redistribution, le socialisme, le clientélisme, ça ne marche pas. Le pays est
en faillite économique, en faillite politique, et pire que tout, en faillite
morale.
Ce pays est foutu.