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L’Institut
Coppet met en ligne, depuis quelques années, des textes libéraux assez
anciens. Un grand nombre d’entre eux valent le détour. Parmi ceux-ci, se
trouve une recension
de l’œuvre globale de François Quesnay par Henri Baudrillart.
Ce texte
montre à quel point l’école libérale française fut féconde, ayant même
devancé son homologue anglo-saxon sur de nombreux sujets cruciaux, comme
l’impact du droit de propriété privée en économie.
Bien avant
Adam Smith, Quesnay – dont la profession principale était d’être…
médecin ! – posa plusieurs principes économiques usités aujourd’hui
encore. Pour le meilleur et pour le pire. Parce que Quesnay – et c’est
particulièrement visible dans le texte de Baudrillart – insiste sur le
travail comme source de la création de richesses ainsi que comme fondement de
la propriété privée. Il a donc inéluctablement inspiré Adam Smith (puis David Ricardo et Karl Marx)
qui ont créé cette notion pour le moins douteuse de
« valeur-travail », reprise
encore récemment par un fameux ex-(et peut-être futur ?) Président de la
République. Heureusement, cette notion fut battue en brèche par de nombreux
économistes chevronnés, à commencer par Jean-Baptiste Say. Pour autant – ce
qui peut apparaître quelque peu paradoxal – Quesnay n’en oublie pas la
transmission de la propriété privée par le biais d’une donation ou d’une
succession, procédés qu’il juge légitimes.
En outre,
Quesnay peaufine une théorie juridique, apparue justement au XVIIème
siècle, propre aux milieux libéraux et extrêmement contestable et
contestée : la propriété de soi. Une telle notion, reprise
par la suite, par certains économistes modernes, comme Murray Rothbard et
Hans-Hermann Hoppe, est un non-sens dans la mesure où elle aboutit à un
dualisme inexplicable entre le propriétaire du corps humain (l’être humain…)
et l’objet de cette propriété (l’être humain…). Elle ne fait d’ailleurs pas
l’objet d’un consensus dans le milieu libertarien, Tibor Machan parlant, à
son sujet, de « bizarrerie conceptuelle ».
Enfin, Quesnay
est, à juste titre, fortement critiqué par Henri Baudrillart pour son goût
appuyé pour le despotisme chinois auquel il a consacré un ouvrage. Quesnay ne
réduit ainsi pas l’État à un rôle limité de « veilleur de nuit ».
Baudrillart répondra qu’il est inconcevable de prôner, d’un côté, le libéralisme
économique et, de l’autre, un gouvernement autoritaire. Comme le rappelait
Milton Friedman dans son opus, Capitalisme
et liberté, la liberté économique et la liberté politique vont de pair.
Le despote sera inéluctablement tenté de s’emparer des libertés économiques
de ses sujets, l’histoire étant assez révélatrice en la matière. Le
despotisme n’est, en outre, nullement consubstantiel à l’individualisme
défendu par Quesnay.
Cette apologie
du despotisme est d’autant plus paradoxale que Quesnay rejette la théorie
hobbésienne du droit naturel du fait des contraintes qu’elle recèle. Pour
Quesnay, « le droit naturel est obligatoire, indépendamment de toute
contrainte ». Pourtant, le droit naturel et la vie en société
impliquent nécessairement des contraintes et des limites à la liberté dont
nous jouissons. Il en irait évidemment différemment si nous habitions sur une
île déserte… Les théoriciens modernes du droit naturel, à l’exception notable
de Kant qui ne nie
heureusement pas l’existence des droits individuels, tendent à oublier ou à
minorer la notion de « devoir ».
Toutefois,
force est de reconnaître que Quesnay ne succombe pas aux tentations de
l’individualisme atomistique tel que développé par Descartes
et Hobbes. Il reconnaît l’importance de la famille et, plus généralement,
des relations sociales.
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