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Le texte ci-dessous est paru
dans le périodique de l'aleps, 35 avenue Mac Mahon, Paris 17è
(ci-contre)
intitulé Liberté économique et progrès social,
n°114, janvier 2006, pp.2-16
sous le titre "La privatisation de la sécurité
sociale".
C'est la version longue de "La Société Civile et la Protection Sociale".
La Sécurité sociale est en France une vaste organisation
paraétatique qui comporte un grand nombre d'organismes de nature
juridique différente mais dits, chacun, néanmoins "de sécurité
sociale".
Sa mission effective est claire: schématiquement, à chaque
instant, elle prend aux uns pour, si certaines circonstances
"malheureuses" attendues avec incertitude se réalisent,
donner aux autres, voire redonner aux premiers, cela en se servant au passage
- "on ne fait rien à partir de rien" -. En effet, les Français,
ou quiconque travaille ou réside en France et y touche des revenus,
sont obligés, individuellement – sous peine d'amendes - de
verser à l'organisation des cotisations fonction des revenus. En
contrepartie, ils reçoivent des Réparations, Indemnisations, Remboursements,
Expédients Sociaux (R.I.R.ES. en abrégé), le cas
échéant. Quelles circonstances «malheureuses» ? La
survenance d'événement dommageable tel que l'accident du
travail, la maladie, l'âge légal de la retraite et
…certaines dépenses familiales.
Soit dit en passant pour certains de nos amis étrangers, la
Sécurité sociale de France n'est donc pas la
Sécurité sociale des Américains – la "Social
Security" instaurée par Roosevelt en 1935 - qui a trait à
la "retraite obligatoire", ni celle des Anglais – le
"National Health Service" instauré en 1948 - qui correspond
à ce vers quoi tend, depuis la "réforme Juppé"
de 1995-97 et de plus en plus, ce qu'on dénomme aujourd'hui en France
l'"assurance maladie".
Pour les Français, je soulignerai que la Sécurité
sociale de France, créée par les ordonnances d'un gouvernement
provisoire hors de tout cadre constitutionnel en octobre 1945 et jamais objet
d'un vote des citoyens depuis lors, ne doit pas être confondue avec ce
que certains dénomment, depuis quelques années, la "protection
sociale" qui inclut, d'une part, une organisation indépendante
mais elle aussi obligatoire, l'"assurance-chômage"
(composée de l'UNEDIC chapeautant des ASSEDIC) et, d'autre part, des
RIRES de l'Etat.
L'audiovisuel et les conférences de ce matin ont expliqué
pourquoi commémorer le bicentenaire de la naissance de Tocqueville
amenait à envisager la question de la Sécurité sociale.
J'ajouterai pour ma part, à la suite de ce qui a été dit
et des divers commentateurs que j'ai pu lire, qu'il a mis l'accent sur les
effets pervers de ce qu'il dénommait la charité légale
– en principe, ce qu'est la sécurité sociale que nous
connaissons - et non pas sur les effets bénéfiques de l'absence
de celle-ci. A fortiori,
il n'a pas envisagé la privatisation. Néanmoins, certaines de
ses idées sont bienvenues pour éclairer la question. Elles
amènent à se demander si, de fait, l'organisation de la
sécurité sociale qu'on connaît aujourd'hui ne constitue
pas un système qui, malgré les apparences, se veut
aristocratique et si sa privatisation n'est pas tout simplement sa
démocratisation.
La privatisation de
la Sécurité sociale de France, qu'est-ce que c'est ?
Ce n'est certes pas la privatisation des organismes de sécurité
sociale qui n'ont ni capitaux propres ni compétences
spécifiques hormis celle d'avoir le privilège d'exploiter une
obligation légale fixé un beau jour dans le passé par le
législateur du moment: il n'y aurait rien à privatiser.
C'est économiquement la "solution du marché" au
problème que rencontre, depuis au moins 1952 (1) le "Plan de
sécurité sociale" instauré par un gouvernement
provisoire dans une France sans constitution, à partir de 1945.
C'est, juridiquement et selon l'expression officielle consacrée,
l'abrogation de l'assujettissement de vous et moi aux cotisations de
sécurité sociale. C'est la capacité juridique de faire
recouvrée par chacun, à savoir la capacité de contracter
avec l'assureur-maladie et l'assureur-retraite de son choix, pour une
durée future convenue librement. L'assuré retrouve la
possibilité d'avoir un horizon de décision
éloigné du moment présent et la possibilité
d'organiser dans cette durée de décision les cotisations qu'il
est prêt à verser soit à un seul assureur, soit à
plusieurs, à des conditions identiques ou différentes qu'il
choisit.
En particulier, dans le cas de l'assurance maladie, c'est la capacité
pour l'assuré de ne plus être assuré au jour le jour avec
les coûts que cela entraîne, mais pour une période de son
choix convenu avec l'assureur.
Dans le cas de l'assurance vieillesse, c'est pour l'assuré la
certitude que s'il vient à disparaître – et comme c'est le
cas actuellement -:
- son conjoint n'aura pas, dans le meilleur des cas, un revenu arbitrairement
divisé par deux le jours venu (pension de réversion) –
dans le pire, le revenu sera nul -,
- ses enfants n'auront rien.
C'est aussi, auparavant, la capacité de mettre en caution
l'équivalent en monnaie des droits qu'il a acquis.
Bien évidemment, les assureurs ont la capacité de combiner les
deux types d'assurance de différentes façons et de faire en
conséquence des offres variées aux assurés. Et
l'assuré et l'assureur peuvent convenir de combiner les deux types
d'assurance de différentes façons.
Il est à rappeler qu'en 1945, la Sécurité sociale devait
être la solution à la "question sociale" dont
Tocqueville et d'autres écrivains s'étaient
préoccupés au XIXè siècle et qu'au XXè
siècle, certains considéraient se perpétuer en
dépit des progrès effectués par le processus de marché
dans le domaine de l'assurance.
Soit dit en passant pour tous, la sécurité sociale a toujours
existé en France et avec une efficacité croissante depuis, en
particulier, les développements de l'assurance au XIXè
siècle (sociétés de secours mutuels ou autres) comme en
a rendu compte Frédéric Bastiat dans divers textes et, en
particulier, dans le chapitre 14 de Harmonies économiques (1850).
Malheureusement, dans ce même XIXè siècle, les
idées des socialistes ont émergé progressivement pour
acquérir force et gain de cause dans la décennie 1920.
Elles ont débouché, par exemple, en 1930 sur l'institution
d'une obligation d'assurance maladie et d'assurance vieillesse auprès
d'assureurs – libres - pour les salariés de l'industrie et du
commerce dont les revenus étaient inférieurs à un revenu
fixé arbitrairement par le législateur. En 1941, en pleine
guerre, le gouvernement de l'époque a même décidé
de transformer le système des "assurances vieillesse" et de
faire qu'il fonctionne à l'avenir non plus par capitalisation libre,
mais par répartition obligatoire. Schématiquement, un des
résultats a été que les provisions qu'avaient
constituées les assureurs en vertu des contrats passés avec
leurs assurés, ont été
"réquisitionnées" et versées à des
bénéficiaires – les "vieux travailleurs" -.
Et les ordonnances prises les 4 et 19 octobre 1945 entérineront
à leur façon, i.e. à celle des socialo-communistes, la
transformation d'une organisation de la sécurité sociale qui
avait évolué jusqu'alors sur la base de la liberté, de
la responsabilité, de la production, de l'échange et de la
capitalisation en un "Plan de Sécurité sociale" -
comme on disait à l'époque - qui a donné lieu à
la création d'une organisation bureaucratique hiérarchique
centralisée privilégiée, sans précédent,
dénommée "Sécurité sociale" et
verrouillée par la prétendue "technique par
répartition" obligatoire. Très exactement, l'organisation
a été juxtaposée à l'Etat sans que ce dernier ait
presque la moindre relation juridique avec elle. Et la France est devenue
ainsi politiquement "bicéphale": une tête
formée par des institutions encadrées par la Constitution de la
IVè République et gouvernée par des hommes politiques,
l'autre par les organismes de la Sécurité sociale
gérée "paritairement" par les organisations
syndicales ("patronales" d'un côté et
"travailleurs" de l'autre) sous l'œil du gouvernement...
1. L'organisation de
la sécurité sociale à la lumière de Tocqueville.
Dans le contexte de cette Université d'été
consacrée à Tocqueville, il faut souligner que cette
évolution est tout à fait remarquable. Les organismes de
sécurité sociale n'ont jamais eu quelque chose à voir
avec "ces sortes d'être collectif qu'on nomme association"
–pour reprendre les termes exacts de Tocqueville – et qu'il
apprécie pour la responsabilité de leurs actes et leur
indépendance (cf. Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, 1840, p.643) (2).
1.A. Les pouvoirs
secondaires.
Rappelons que Tocqueville constatait la disparition depuis un
demi-siècle des "pouvoirs secondaires" et regrettait que
l'Etat débordât son domaine, il écrivait ainsi:
"L'Europe a
éprouvé depuis un demi siècle beaucoup de
révolutions et contre-révolutions qui l'ont ramenée en
sens contraire.
Mais tous ces mouvements se ressemblent en un point : tous ont
ébranlé ou détruit les pouvoirs secondaires […]
Presque tous les établissements de l'ancienne Europe étaient
dans les mains des particuliers et des corporations ; ils sont tombés
plus ou moins sous la dépendance du souverain et dans plusieurs pays,
ils sont régis par lui. C'est l'Etat qui a entrepris presque seul de donner
du pain à ceux qui ont faim, des secours et un asile aux malades, du
travail aux oisifs ; il s'est fait réparateur de presque toutes les
misères" (Tocqueville, op.cit..,
IV, 5, p.638)
"Il n'y a pas encore
cent ans, chez la plupart des nations européennes, il se rencontrait
des particuliers ou des cors presque indépendants qui administraient
la justice et entretenaient des soldats, percevaient des impôts et souvent
faisaient ou expliquaient la loi. L'Etat a partout pris pour lui seul ces
attributs de la puissance souveraine" (ibid.,
pp. 638-9)
Il reprendra le thème dans Souvenirs (1859), son
dernier livre (3).
Je ferai remarquer néanmoins que Tocqueville sollicitait, semble-t-il,
l'intervention de l'Etat dans la charité : plutôt qu'un droit au
travail, il préférait accorder un "droit à
l'assistance". Il acceptait l'introduction d'une charité
légale et pensait donc que l'Etat avait un rôle
spécifique à jouer, notamment pour aider les invalides. Il
prônait un Etat qui interviendrait ponctuellement et en des espaces
bien délimités, reconnaissant que c'est seulement lorsque le
système d'aide publique a un caractère régulier et
permanent qu'il est néfaste.
Les organismes de la Sécurité sociale-maladie et de la
Sécurité sociale-vieillesse ne sauraient être
comparés avec les "pouvoirs secondaires" disparus
regrettés par Tocqueville. Les ordonnances d'octobre 1945 prises par
un gouvernement provisoire en dehors de tout pouvoir public
constitutionnalisé et non ratifiées par la suite par quelque
vote que ce soit, ont certes imposé aux Français de supporter
la charge d'une organisation nouvelle, celle de la Sécurité
sociale, privilégiée en extension permanente dans le cadre de
constitutions successives différentes (IVè puis Vè
République, voire la République actuelle…).
Certes, Tocqueville avait stigmatisé la tendance de l'administration
à croître de façon injustifiée et, à ce
titre, à être source de gabegie, et cela pouvait justifier en
1945, à l'extrême, de juxtaposer à l'Etat une
organisation spécifique. Mais le phénomène en question
est général (4) et il se développe très rapidement,
en particulier, dans toute organisation privilégiée par le
législateur. Et la gabegie que portait donc en elle l'organisation de
la Sécurité sociale - comme l'avait prévue la
théorie économique (à commencer par Bastiat en 1850) -
s'est rapidement révélée. Curieusement, cela a conduit
les hommes de l'Etat à tenter de mettre un terme non pas à
l'expérience de l'organisation, mais à la gabegie comme si
celle-ci n'était pas l'effet de celle-là. On retiendra entre
autres dans la décennie 1960 ;
- la création des URSSAF pour recouvrer les cotisations de
sécurité sociale : les Unions de RSSAF ont été
instituées pour mettre un peu d'ordre dans les circuits de
recouvrement en vigueur jusqu'alors,
- celle d'un Centre d'études de sécurité sociale pour
former les dirigeants (déclarée "national" en 1976)
et surtout ;
- la réforme des années 1967-68 : celle-ci subdivise
l'organisation assujettissant les salariés de l'industrie et du
commerce en quatre branches – devront être en équilibre
à l'avenir -, crée quatre caisses nationales chapeautant
respectivement quatre hiérarchies d'organismes et subdivise en
conséquence la cotisation de sécurité sociale (cf.
ci-dessous). Dans la décennie 1970, à plusieurs occasions, la
Cour des Comptes rapportera que des éléments essentiels de la
réforme ne sont pas appliqués. Ces remarques resteront lettre
morte.
Il reste à souligner qu'aujourd'hui et depuis la réforme
menée par le gouvernement Juppé (1995-97), l'Etat a mis la main
sur la Sécurité sociale-maladie et a permis à celle-ci
– comme si c'était une compensation - de mettre la main sur le
"marché de la santé" – qu'il serait mieux de
dénommer "marché des produits (services ou non) de
recouvrement de la santé" –.
Petite galaxie d'organismes de sécurité sociale au
départ, la Sécurité sociale est devenue ainsi
aujourd'hui une grande galaxie à cause des décisions
successives des hommes de l'Etat d'y assujettir non plus seulement les
salariés de l'industrie et du commerce, mais quiconque travaille en
France, voire y réside et y touche des revenus.
1.B. Egalité
et liberté: influence de l'égalité.
Dans De la
Démocratie en Amérique, Tocqueville s'est en
particulier intéressé à l'influence de la
démocratie sur les sentiments des Américains (tome II,
deuxième partie). Il a proposé ainsi une explication du "Pourquoi les peuples démocratiques montrent un amour plus
ardent et plus durable pour l'égalité que pour la
liberté" (titre du chap.1). La liberté qu'il a en
ligne de mire est surtout celle de chacun de concourir au gouvernement et
l'égalité celle du droit de chacun de concourir au
gouvernement. Mais il admet à l'occasion que l'égalité
puisse s'établir dans la société civile et ne point
régner dans le monde politique.
Je ne vous cacherai pas que son explication, peu linéaire ou
très discrète, ne m'a guère convaincu et je n'y insiste
pas.
1.C. Egalité
et perfectibilité.
Je préfère insister sur la perfectibilité,
notion perdue de vue aujourd'hui. Comme Frédéric Bastiat
(1801-50) (5), Tocqueville était sensible à l'idée de la
perfectibilité de l'être humain (6).
Dans De la
démocratie en Amérique, il a écrit:
"L'égalité
suggère à l'esprit humain plusieurs idées qui ne lui
seraient pas venues sans elle, et elle modifie presque toutes celles qu'il
avait déjà.
Je prends pour exemple l'idée de la perfectibilité humaine,
parce qu'elle est une des principales que puisse concevoir l'intelligence, et
qu'elle constitue à elle seule une grande théorie philosophique
dont les conséquences se font voir à chaque instant dans la
pratique des affaires. " (1840, 1ère partie, chap. VIII, p.449).
Et il considèrera, en
particulier, dans L'Ancien
Régime et la Révolution (1856) que la
perfectibilité est l'objet d'une théorie qui a vu le jour en
1780:
"Personne
ne prétend plus, en 1780, que la France est en décadence ; on
dirait, au contraire, qu'il n'y a en ce moment plus de bornes à ses
progrès.
C'est alors que la théorie de la perfectibilité continue et
indéfinie de l'homme prend naissance. Vingt ans avant, on
n'espérait rien de l'avenir; maintenant on n'en redoute rien.
L'imagination, s'emparant d'avance de cette félicité prochaine
et inouïe, rend insensible aux biens qu'on a déjà et
précipite vers les choses nouvelles." (1856, livre troisième, chapitre 4).
Mais à la différence de Bastiat, il a
avancé que l'égalité donnait à la
perfectibilité un caractère nouveau (7):
"Bien
que l'homme ressemble sur plusieurs points aux animaux, un trait n'est
particulier qu'à lui seul : il se perfectionne, et eux ne se
perfectionnent point.
L'espèce humaine n'a pu manquer de découvrir dès
l'origine cette différence.
L'idée de perfectibilité est donc aussi ancienne que le monde;
l'égalité ne l'a point fait naître, mais elle lui donne
un caractère nouveau".(ibid.)
1.D. Aristocratie et
démocratie.
Et la perfectibilité a amené Tocqueville à
établir une différence entre les peuples aristocratiques et les
peuples démocratiques : ceux-ci ne voient pas la perfectibilité
de la même façon.
"Ce
n'est pas que les peuples aristocratiques refusent absolument à
l'homme la faculté de se perfectionner;
ils ne la jugent point indéfinie; ils conçoivent
l'amélioration, non le changement;
ils imaginent la condition des sociétés à venir
meilleure, mais point autre, et, tout en admettant que l'humanité a
fait de grands progrès et qu'elle peut en faire quelques uns encore,
ils la renferment d'avance dans de certaines limites infranchissables.
Ils ne croient donc point être parvenus au souverain bien et à
la vérité absolue (quel homme ou quel peuple a
été insensé pour l'imaginer jamais?), mais ils aiment
à se persuader qu'ils ont atteint à peu près le
degré de grandeur et de savoir que comporte notre nature imparfaite;
et, comme rien ne remue autour d'eux, ils se figurent volontiers que tout est
à sa place.
C'est alors que le législateur prétend promulguer des lois
éternelles, que les peuples et les rois ne veulent élever que
des monuments séculaires, et que la génération
présente se charge d'épargner aux générations futures
le soin de régler leurs destinées".
"A mesure que les castes disparaissent, que les classes se rapprochent,
que, les hommes se mêlant tumultueusement, les usages, les coutumes,
les lois varient, qu'il survient des faits nouveaux, que des
vérités nouvelles sont mises en lumière, que d'anciennes
opinions disparaissent, et que d'autres prennent leur place, l'image d'une
perfection idéale et toujours fugitive se présente à
l'esprit humain.
De continuels changements se passent alors à chaque instant sous les
yeux de chaque homme. Les uns empirent sa position, et il ne comprend que
trop bien qu'un peuple,ou qu'un individu, quelque éclairé qu'il
soit, n'est point infaillible. Les autres améliorent son sort, et il
en conclut que l'homme en général est doué de la
faculté indéfinie de perfectionner. Ses revers lui font voir
que nul ne peut se flatter d'avoir découvert le bien absolu; ses
succès l'enflamment à le poursuivre sans relâche.
Ainsi toujours cherchant, tombant, se redressant, souvent déçu,
jamais découragé, il tend incessamment vers cette grandeur
immense qu'il entrevoit confusément au bout de la longue
carrière que l'humanité doit encore parcourir.
On ne saurait croire combien de faits découlent naturellement de cette
théorie philosophique suivant laquelle l'homme est indéfiniment
perfectible, et l'influence prodigieuse qu'elle exerce sur ceux même
qui, ne s'étant jamais occupés que d'agir et non de penser,
semblent y conformer leurs actions sans la connaître."
"[…] Les nations aristocratiques sont naturellement portées
à trop resserrer les limites de la perfectibilité humaine, et
les nations démocratiques les étendent quelquefois outre
mesure" (De la démocratie en Amérique, op.cit.,
pp.449-50).
Egalisation
des conditions, égalité et Sécurité Sociale de
France.
On ne saurait nier que la
Sécurité Sociale vise à l'égalisation des
conditions sociales. Mais on ne peut pas non plus nier que ses instigateurs
ont la prétention de se donner l'égalité.
A ce titre, le système exclut la perfectibilité humaine et
apparaît comme une organisation aristocratique et non pas
démocratique.
Démocratie et
Sécurité sociale des Etats-Unis.
Et je considère comme une illustration de ce que Tocqueville avait
avancé à propos des Américains, peuple
démocratique par excellence à ses yeux, qu'il y a une
quarantaine d'années, en 1964 (comme le raconte Milton Friedman en
1999), Barry Goldwater, candidat à la Présidence des Etats-Unis,
ait pris comme idée force de sa campagne électorale la
réforme du système de Sécurité sociale de 1935
finalement en opposition avec la parabole tocquevillienne du matelot
américain:
<
"Je
rencontre un matelot américain, et je lui demande pourquoi les
vaisseaux de son pays sont construits de manière à durer peu,
et il me répond sans hésiter que l'art de la navigation fait
chaque jour des progrès si rapides, que le plus beau navire
deviendrait bientôt presque inutile s'il prolongeait son existence au-delà
de quelques années.
Dans ces mots prononcés au hasard par un homme grossier et à
propos d'un fait particulier, j'aperçois l'idée
générale et systématique suivant laquelle un grand
peuple conduit toutes choses" (ibid.)
Tocqueville montre par cette parabole qu'il
considère que la perfectibilité est au centre des mœurs
des Américains.
Loin de pouvoir se perfectionner et changer, la Sécurité
sociale américaine, déjà trentenaire en 1965, ne pouvait
que connaître de graves difficultés: il fallait donc
réformer le système. Si Goldwater n'a pas été
élu, depuis lors néanmoins, il y a eu maints échanges de
vues sur la question, des réformes qui ont permis aux Américains
de se constituer des retraites complémentaires sur la base de
cotisations d'assurance en franchise d'impôt et, aujourd'hui,
approuvé en cela par Alan Greenspan, gouverneur du Fed, G. W. Bush
semble à deux doigts d'abroger le système Roosevelt.
A l'opposé, en France, les politiques ne se sont pas
préoccupés d'une réforme de la sécurité
sociale retraite instituée en 1945 jusqu'au début de la
décennie 1990 et depuis lors, ils ne font que modifier la valeur de
certains paramètres du système de répartition
obligatoire en vigueur, en particulier du "régime
général" sous prétexte de seulement
l'améliorer puisque "le monde entier nous l'envierait".
2. La privatisation
de la Sécurité Sociale de France.
Selon certains, la privatisation de la Sécurité sociale-maladie
serait possible, mais injuste. Selon d'autres, la privatisation de la
Sécurité sociale-retraite serait sinon impossible, au moins
très coûteuse. Je me propose de montrer schématiquement
qu'il n'en est rien après avoir fixé les idées sur
l'ancre de la démarche, à savoir la vérité sur le
prix du travail de celui qu'il est convenu de dénommer aujourd'hui
"assuré social".
2.A. Le prix du
travail de l'assuré social.
Dans le langage officiel, la Sécurité sociale "ne prend
pas aux uns…", elle "prélève". Pendant
longtemps, elle a affirmé prélever aux patrons de l'industrie
et du commerce – des cotisations patronales – et aux
salariés de ce secteur économique – des cotisations
salariales -, le salarié recevant son "salaire brut"
diminué des "cotisations salariales". Mais cela est sinon un
mensonge volontaire, au moins une erreur économique. Economiquement,
le prix du marché du travail est le salaire brut de l'employé
augmenté des cotisations patronales. Conséquence, la
façon de voir les choses qu'imposent les hommes de la Sécurité
sociale conduit l'employé à sous-estimer le prix donné
à son travail, à considérer qu'il est lui-même
– ses compétences, ses talents, etc. - sous-estimé et
à demander un salaire plus élevé, le cas
échéant, via son syndicat préféré ! Cette
façon de voir la réalité ne peut qu'entretenir ou
susciter un conflit entre employeur et employé que "gèrent
les hommes des syndicats de travailleurs". Et cela d'autant plus que
pendant longtemps, le salarié n'a pas été informé
de ce que son employeur était obligé de verser. Celui-ci doit
apprendre que son travail vaut plus que ce qu'il pensait ou que ses
protecteurs syndicaux lui affirmaient valoir.
Prenons l'exemple du SMIC (salaire minimum interindustriel de croissance)
mensuel. Le "politiquement direct" dira qu'en août 2005, le
SMIC brut s'élevait à 1275,89 euros et le salarié
recevait sur son compte 1034,61 euros.
Mais quel était le vrai (8) prix du travail sur le marché du
travail en août 2005 ? Très exactement, 1900,16 euros (salaire
brut augmenté des cotisations patronales et non
"allégé" par la loi Fillon), soit près du
double de ce que le travailleur trouve sur son compte bancaire et qu'il peut
dépenser comme il l'entend !
En d'autres termes, le « smicard » croit – ou
"on" fait tout pour qu'il le croie - que son travail vaut 1034,61
euros et en déduit qu'il est sous-payé, aidé en cela par
les hommes des syndicats qui, toute honte bue, colporte la distinction, alors
que l'employeur a acheté le travail au prix de 1900,16 euros. Mais, on
dira que, "pour son bien et celui de sa famille", l'organisation de
la sécurité sociale (au sens large de "protection
sociale") le protège et, dans ce but, lui prend, sans l'en
informer explicitement, la différence, soit 865,55 euros, soit
près de la moitié de sa "valeur sur le marché du
travail".
A sa façon, ce fait contribue à avancer que, loin d'être
démocratique, l'organisation de la sécurité sociale est
aristocratique et pour la raison tocquevillienne suivant laquelle:
"Dans
les aristocraties, ce n'est pas précisément le travail qu'on
méprise, c'est le travail en vue d'un profit. Le travail est glorieux
quand c'est l'ambition ou la seule vertu qui le fait entreprendre. Sous
l'aristocratie cependant, il arrive sans cesse que celui qui travaille pour
l'honneur n'est pas insensible à l'appât du gain. Mais ces deux
désirs ne se rencontrent qu'au plus profond de son âme. Il a
bien soin de dérober à tous les regards la place où ils
s'unissent. Il se la cache volontiers à lui-même. Dans les pays
aristocratiques, il n'y a guère de fonctionnaires publics qui ne
prétendent servir sans intérêt l'Etat. Leur salaire est
un détail auquel quelquefois ils pensent peu, et auquel ils affectent
toujours de ne point penser.
Ainsi l'idée du gain reste distincte de celle du travail. Elles ont
beau être jointes au fait, la pensée les sépare." [chap. XVIII, p.532]
Et la sécurité sociale tend à
être une organisation aristocratique parce qu'elle a mis au
départ l'accent sur le travail, assiette des cotisations, et non pas
sur le prix de celui-ci, et a introduit la fausse distinction entre
cotisation patronale et cotisation salariale.
"Dans les sociétés démocratiques, ces deux
idées sont au contraire toujours visiblement unies. Comme le
désir du bien-être est universel, que les fortunes sont
médiocres et passagères, que chacun a besoin d'accroître
ses ressources ou d'en préparer de nouvelles à ses enfants,
tous voient bien clairement que c'est le gain qui est sinon en tout, du moins
en partie ce qui les porte au travail. Ceux mêmes qui agissent
principalement en vue de la gloire s'apprivoisent forcément avec cette
pensée qu'ils n'agissent pas uniquement par cette vue, et ils
découvrent, quoi qu'ils en aient, que le désir de vivre se
mêle chez eux au désir d'illustrer leur vie.
Du moment où, d'une part, le travail semble à tous les citoyens
une nécessité honorable de la condition humaine, et où,
de l'autre, le travail est toujours visiblement fait, en tout ou en partie,
par la considération du salaire, l'immense espace qui séparait
les différentes professions dans les sociétés
aristocratiques disparaît. Si elles ne sont pas toutes pareilles, elles
ont du moins un trait semblable.
Il n'y a pas de profession où l'on ne travaille pas pour de l'argent.
Le salaire qui est commun à toutes, donne à toutes un air de
famille.
Ceci sert à expliquer les opinions que les Américains
entretiennent relativement aux diverses professions.
Les serviteurs américains ne se croient pas dégradés
parce qu'ils travaillent; car autour d'eux tout le monde travaille. Ils ne se
sentent pas abaissés par l'idée qu'ils reçoivent un
salaire; car le président des Etats-Unis travaille aussi pour un
salaire. On le paie pour commander, aussi bien qu'eux pour servir.
Aux Etats-Unis, les professions sont plus ou moins pénibles, plus ou
moins lucratives, mais elles ne sont jamais ni hautes, ni basses. Toute
profession honnête est honorable" (ibid., pp. 532-533).
Si la sécurité sociale était une organisation
démocratique, elle n'oserait pas cacher au travailleur le prix de son
travail, a fortiori le convaincre d'un prix inférieur à la
réalité.
Il convient d'ajouter que, jusqu'à 1967-68, il y a eu deux types de
cotisation ayant pour assiette le faux prix du travail qu'est le salaire
brut: l'une pour les allocations familiales "payée par
l'employeur" et l'autre pour, à la fois, l'accident du travail,
la maladie et la retraite "payée à la fois par l'employeur
et l'employé". C'était encore relativement clair.
A partir de cette période et jusqu'à la fin de la
décennie 1980, il y en aura désormais quatre du fait de
l'individualisation de ces trois dernières (9). L'obscure
clarté commençait à s'épaissir.
Depuis lors, il y a eu non seulement création de types
supplémentaires de cotisation (CSG, CRDS) mais encore les revenus de
l'épargne sont devenus assiettes de cotisations. Pour sa part, le
bulletin de salaire du "smicard" se compose de vingt deux lignes
(cf. ci-dessus) !
L'abrogation de l'assujettissement aux cotisations de sécurité
sociale, c'est donc d'abord dévoiler à chacun la
vérité sur le prix de son travail, c'est la fin d'une
immoralité certaine instaurée en 1945. C'est aussi la
disparition d'une occasion de dresser les salariés contre le patron
prédateur, alors que le vrai prédateur était la
Sécurité sociale. Ils apprendront alors que leur travail vaut
plus que ce qu'ils pensaient ou que leurs protecteurs syndicaux leur
affirmaient valoir.
La privatisation de la sécurité sociale, c'est enfin et en
conséquence rendre à l'employé la propriété
des fruits de ses efforts, de son travail, pour qu'il en fasse un usage
"selon son cœur" étant donné la
vérité enfin dévoilée. Ce sera pour lui une
augmentation substantielle du pouvoir d'achat périodique qu'il
reçoit sur son compte en banque. Compte tenu de l'expérience,
de l'information désormais sincère sur sa propre valeur, il
comprendra qu'il a l'obligation morale de s'assurer – lui et les siens
- contre des accidents du travail, des maladies, la vieillesse… auprès
de l'assureur qui lui semble bon. S'il ne le comprend pas, il faudrait bien
sûr l'y obliger. Mais pourquoi ne le comprendrait-il pas ? Voici
l'aristocratisme qui pointe de nouveau…
En toute hypothèse, ce sera pour lui l'occasion de faire des
dépenses d'un genre nouveau mais qui lui correspondront mieux et qui,
au total, lui laisseront un "salaire net de ces dépenses"
largement supérieur à son "salaire net actuel, i.e. net de
cotisations sociales", pour les raisons qu'on va donner ci-dessous.
2.B. La privatisation
de la Sécurité Sociale maladie.
Depuis la réforme du gouvernement Juppé (1995-97),
l'Etat a mis la main sur la Sécurité sociale-maladie et
établit des liens juridiques, certes assez flous, entre lui, celle-ci
et le marché des produits de recouvrement de la santé –
dénommé aussi "marché de la santé"
– moyennant la création de nouveaux organismes,
"autorités" ou autres.
Qu'à cela ne tienne, du jour au lendemain, sans coût
particulier, l'assujettissement aux cotisations d'assurance-maladie peut
être abrogé car le propre de l'organisation de la
sécurité sociale est de contraindre les gens à vivre au
jour le jour et car, dans ce domaine de l'assurance-maladie, les "droits
sociaux acquis" la période de revenu précédente
pour la période de revenu future remplace ceux qui ont
été acquis la pénultième. Pour pouvoir
bénéficier des RIRES, il n'est pas nécessaire
d'accumuler au préalable des droits sociaux sur une longue
période de temps.
Il appartiendra à l'ancien "assujetti" de verser à la
place de la cotisation obligatoire de sécurité sociale (part
patronale et part salariale additionnées) une prime
d'assurance-maladie à l'assureur de son choix. Toutes les
études sur la question font apparaître des économies pour
le nouvel assuré – compte tenu des siens - de l'ordre de 10%
à 30%, i.e. une augmentation de pouvoir d'achat de son revenu de 10%
à 30% toutes choses égales par ailleurs. Bien
évidemment, de même que ni les cotisations de
sécurité sociale-maladie ni les organismes ne supportent d'impôt
ou taxe, de même, il s'agira que ni les primes d'assurance-maladie ni
les compagnies d'assurance n'en supportent !
L'ancien assujetti réalisera des économies plus substantielles
si, à la place de ce contrat d'assurance-maladie qu'on peut qualifier
"au jour le jour", il convient avec l'assureur d'un contrat
à plus long terme avec abonnement ou non, avec clause de sortie de tel
ou tel type. Avec ces types de contrat, sa prime d'assurance-maladie sera
plus ou moins nivelée: schématiquement, "jeune", il
paiera "plus" que l'espérance mathématique de ses risques
pour, une fois "vieux", payer "moins" que celle-ci. Et
ainsi il ne s'entendra pas dire par ceux qui aujourd'hui veulent la justice,
l'égalité, son bonheur à sa place, que,
"vieux", il coûte cher à la société !
2.C. La privatisation
de la Sécurité Sociale-vieillesse.
A la différence de la Sécurité sociale-maladie,
la Sécurité sociale-vieillesse (ou –retraite) est une
organisation toujours indépendante en grande partie de l'Etat et
très hétérogène. Elle se compose d'un grand
nombre de "régimes" dont le principal (en nombre de
cotisants et en cotisations perçues) est dénommé
"régime général" (organisation
hiérarchique centralisée avec à son sommet la CNAV). En
conséquence, la privatisation de la Sécurité sociale
vieillesse, c'est la privatisation de ces régimes de retraite,
l'abrogation de l'assujettissement aux cotisations à ceux-ci.
A la différence de la Sécurité sociale-maladie, pour
pouvoir bénéficier des RIRES d'un régime de retraite, il
y a une accumulation de droits sociaux préalable nécessaire
jusqu'à l'âge légal de retraite. Pour cette raison, a
priori, l'abrogation est problématique sauf pour les jeunes, pour les
"entrés récemment dans la vie active" à
supposer qu'on les dispense totalement d'entrer dans le système. Mais
précisément, si les jeunes s'en vont, qui épongera les
droits à la retraite qui courent pour les autres plus
âgés ou déjà retraités ?
Il suffira en fait de leur faire souscrire une assurance-vie "en cas de
vie" selon l'expression consacrée et verser une ou plusieurs
primes d'assurance vie de sorte que leur retraite soit, quand ils auront
atteint l'âge légal de la retraite, ce qu'elle serait
aujourd'hui s'ils étaient "à la sécurité
sociale". Comme pour l'assurance-maladie, toutes choses égales
par ailleurs, l'ancien assujetti fera une économie sensible. Une
partie sera affectée au service de la dette sociale, l'autre
représentera une augmentation de pouvoir d'achat. Il importe aussi que
les primes d'assurance et les compagnies d'assurance ne supportent pas
d'impôt ou taxe.
On soulignera aussi que ce système permettra aux nouveaux assujettis
de laisser un capital ou une rente à leurs enfants s'ils n'atteignent
pas l'âge légal de la retraire : un avantage dont les prive la
Sécurité sociale vieillesse aujourd'hui (et les hérauts
ont un certain cynisme en vantant la solidarité entre les
générations alors qu'ils sont en train de ruiner et les jeunes
et les retraités – c'est la solidarité dans la faillite
!).
La privatisation aura encore pour conséquence que le conjoint
survivant n'aura pas droit à une pension de réversion de 50%
comme dans le système actuel, mais de 100% ! Dernière
conséquence essentielle, ils pourront mettre en caution tel ou tel
aspect de leur contrat d'assurance-vie pour s'endetter à des
conditions plus favorables auprès d'une banque. Aujourd'hui, les
droits sociaux acquis ne sauraient être acceptés en caution par
qui que ce soit.
L'abrogation de l'assujettissement aux cotisations d'assurance-vieillesse
semble problématique pour les assurés sociaux actuellement
à la retraite: comment leur retraite leur sera-t-elle versée
s'il n'y a plus de cotisations perçues ? Il en est de même, pour
la même raison, pour les assurés sociaux "proche" de
l'âge légal de la retraite. C'est ce que certains
dénomment le "coût de la transition". Je ne rentrerai
pas dans le détail des façons de résoudre le
problème, tant elles sont nombreuses étant donnés en
particulier les progrès obtenus dans le domaine financier depuis une
trentaine d'années.
On peut affirmer néanmoins sur la base des expériences
concrètes et des études théoriques sur le sujet (les
Américains travaillent sur la question depuis la décennie 1960)
que le coût est dérisoire comparé à celui qui sera
supporté si le législateur tend à faire perdurer
l'assujettissement aux cotisations par tous les moyens (augmentation de
celles-ci, allongement de la durée légale de travail, report de
l'âge légal de retraite, diminution du montant de la retraite).
Au cœur du processus, se trouvent l'augmentation de pouvoir d'achat des
"anciens assujettis", celle de l'épargne de ceux-ci, la
réduction du coût des investissements du fait de
l'épargne plus abondante et, par conséquent, la croissance et
le développement.
Et on doit aussi prendre en compte un élément majeur de la
privatisation. L'épargne collectée par les compagnies
d'assurances est un fonds d'investissement sérieux pour
l'économie nationale. La croissance se trouve ainsi
accélérée, et il est moins douloureux d'éponger
la dette sociale. Au Chili, tout le système a été
rééquilibré en 10 ans alors que l'on avait
anticipé une transition sur 14 ans. Les taux de croissance y ont en
effet été durablement supérieurs à 8%.
Conclusion:
privatiser l'organisation de la sécurité sociale, c'est la
démocratiser.
Dans De la
démocratie en Amérique, Tocqueville avait donc en
ligne de mire l'alternative politique "aristocratie" ou
"démocratie" et d'identifier ce qui avait
émergé aux Etats-Unis.
D'après ce qu'il a écrit et si on le transpose, la
sécurité sociale de France apparaît comme une organisation
aristocratique et non pas démocratique. Elle est un système de
privilèges – de droits donnés ou acquis - qui, par
conséquent, a les défauts qui y sont inhérents et qu'a
décrits Tocqueville (à commencer par la vaine recherche
d'améliorations). Elle ne présente pas les avantages d'un
système démocratique (à commencer par celui de reposer
sur la perfectibilité et le changement).
Contrairement aux idées reçues, privatiser l'organisation de la
sécurité sociale, ce ne serait pas la détruire, ce
serait tout simplement clarifier l'hésitation constitutionnelle
française entre "aristocratie" ou
"démocratie".
Notes.
(1) Cf. Cour des Comptes (1995), Rapport
annuel au Parlement sur la sécurité sociale, Cour
des Comptes, Paris, septembre.
(2) Toutes les références à Tocqueville proviennent de
Lamberti, J.C.et Mélonio, F. (eds), Alexis
de Tocqueville (De la démocratie en Amérique, Souvenirs,
L'Ancien régime et la Révolution), Robert Laffont
(coll. Bouquins), Paris, 1986.
(3) Livre inachevé en raison de la mort de l'auteur.
(4) Cf. Mises, L. (von) (2003), La Bureaucratie, Editions Institut Charles
Coquelin, 1ère éd. 1944, Paris.
(5) Cf. perfectibilité
et Bastiat et en particulier Chapitre XXIV des Harmonies Économiques:
"Que
l'humanité soit perfectible; qu'elle progresse vers un niveau de plus
en plus élevé; que sa richesse s'accroisse et s'égalise;
que ses idées s'étendent et s'épurent; que ses erreurs
disparaissent, et avec elles les oppressions auxquelles elles servent de
support; que ses lumières brillent d'un éclat toujours plus
vif; que sa moralité se perfectionne; qu'elle apprenne, par la raison
ou par l'expérience, l'art de puiser, dans le domaine de la
responsabilité, toujours plus de récompenses, toujours moins de
châtiments; par conséquent, que le mal se restreigne sans cesse
et que le bien se dilate toujours dans son sein, c'est ce dont on ne peut pas
douter quand on a scruté la nature de l'homme et du principe
intellectuel qui est son essence, qui lui fut soufflé sur la face avec
la vie, et en vue duquel la révélation Mosaïque a pu dire
l'homme fait à l'image de Dieu.
Car l'homme, nous ne le savons que trop, n'est pas parfait. S'il était
parfait, il ne refléterait pas une vague ressemblance de Dieu, il
serait Dieu lui-même. Il est donc imparfait, soumis à l'erreur
et à la douleur; que si, de plus, il était stationnaire,
à quel titre pourrait-il revendiquer l'ineffable privilége de porter
en lui-même l'image de l'Être parfait?"
(6) Cf. chapitre VIII intitulé «Comment l'égalité
suggère aux Américains l'idée de la
perfectibilité indéfinie de l'homme», p. 449 dans le tome
III, première partie intitulée "Influence de la
démocratie sur le mouvement intellectuel aus Etats-Unis".
(7) Selon lui, une égalisation est de fait une forme de perfectibilité
"Si
les Français qui firent la Révolution étaient plus
incrédules que nous en fait de religion, il leur restait du moins une
croyance admirable qui nous manque : ils croyaient en eux-mêmes. Ils ne
doutaient pas de la perfectibilité, de la puissance de l'homme; ils se
passionnaient volontiers pour sa gloire, ils avaient foi dans sa vertu. Ils
mettaient dans leurs propres forces cette confiance orgueilleuse qui
mène souvent à l'erreur, mais sans laquelle un peuple n'est
capable que de servir; ils ne doutaient point qu'ils ne fussent
appelés à transformer la société et à régénérer
notre espèce. Ces sentiments et ces passions étaient devenus
pour eux comme une sorte de religion nouvelle, qui, produisant quelques-uns
des grands effets qu'on a vu les religions produire, les arrachait à
l'égoïsme individuel, les poussait jusqu'à
l'héroïsme et au dévouement, et les rendait souvent comme
insensibles à tous ces petits biens qui nous possèdent.
" (L'Ancien
Régime et la Révolution, livre troisième,
chapitre 2).
(8)
Même si ce prix minimum est réglementé et fixé par
l'Etat et les syndicats.
(9) Cf. Lane, G. (1997), "Les paradoxes de la sécurité
sociale", Liberté
économique et progrès social, n°82, juillet,
pp.2-11.
Georges
Lane
Principes de science économique
Tous les articles
publiés par Georges Lane
Georges Lane
enseigne l’économie à l’Université de Paris-Dauphine.
Il a collaboré avec Jacques Rueff, est un membre du séminaire
J. B. Say que dirige Pascal Salin, et figure parmi les très
rares intellectuels libéraux authentiques en France.
Publié avec
l’aimable autorisation de Georges Lane. Tous droits
réservés par l’auteur
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