La Banque centrale européenne a
forcé ses taux de dépôt jusqu’à -0,4% en avril 2016. Depuis lors, les banques
de la zone euro ont eu à verser 0,4% d’intérêts par an sur leurs excès de
réserves déposés auprès de la BCE. Ce qui n’a pas été sans conséquences. Pour
commencer, les banques ont cherché à échapper à ce taux punitif, notamment en
se tournant vers les obligations gouvernementales.
Ces achats ont inévitablement
forcé les prix des obligations à la hausse et réduit leurs rendements. La BCE
a également continué de monétiser la dette gouvernementale. En conséquence,
les rendements ont subi de fortes pressions baissières. Par exemple, les
rendements réels (ajustés à l’inflation) des obligations allemandes à court
terme sont actuellement de -2,5% par an.
Les taux d’intérêt négatifs (à
la fois en termes nominaux et en termes réels) contribuent à la réduction du
fardeau de la dette des banques et des Etats surendettés. Les taux d’intérêt
négatifs forcent le ratio dette/PIB à la baisse. De telles politiques
monétaires bénéficient aux emprunteurs, aux dépens des créditeurs. Ce sont
ces derniers qui en paient les frais.
Les entreprises bancaires de la
zone euro sont aussi affectées par la politique de taux d’intérêt négatifs de
la BCE. D’une part, elles trouvent de plus en plus difficile de demeurer
profitables dans un environnement de suppression des taux d’intérêt, et d’autre
part, leurs coûts augmentent en raison des taux de dépôt négatifs (et leurs
coûts augmentent à mesure que la BCE injecte davantage d’excès de réserves
dans le système bancaire).
Les banques n’auront bientôt d’autre
choix que d’imposer des taux négatifs aux comptes bancaires de leurs clients.
Mais face à des taux de dépôt négatifs, ces clients auront toutes les chances
de retirer (au moins une partie de) leurs dépôts pour les conserver en
espèces, laissant ainsi les banques face à un énorme écoulement de capital,
et donc à un déficit de financement. Il est donc probable que ces dernières
fassent pression sur la BCE afin qu’elle mette fin à ses politiques de taux
de dépôt négatifs.
Une expérience nouvelle
Si la BCE cédait à leur demande
(c’est probablement ce qu’elle fera), les taux de dépôt repasseront
certainement à zéro, pour porter tous les rendements des obligations
au-dessus de ce niveau. Afin d’empêcher les taux d’intérêt de grimper de
manière excessive, en revanche, la BCE devra continuer de manipuler les
rendements des obligations à long terme, ce à quoi elle pourra parvenir en
poursuivant ses achats d’obligations.
La BCE est en mesure de fixer
les rendements des obligations à long terme au niveau désiré. Il lui suffit
pour cela d’établir un prix minimum pour les obligations. Les prix marchés
des obligations convergeront peu à peu vers ce prix minimum, et ne pourront
pas tomber en-dessous. En monétisant la dette, la BCE élargit la quantité de
monnaie en circulation, et fait dans le même temps grimper l’inflation.
Le nouveau régime ressemblera
certainement à ça : les rendements des obligations de la zone euro
grimperont légèrement en termes nominaux. L’inflation grimpera également,
jusqu’à atteindre voire excéder des rendements nominaux. Ce qui forcera les
rendements réels (les taux nominaux moins l’inflation) en territoire négatif.
Si l’inflation reste limitée, une majorité des déposants et des investisseurs
choisiront probablement de conserver leurs avoirs à revenus fixes.
Ce nouveau régime de taux d’intérêt
s’avèrera positif pour les banques en difficulté de la zone euro : la
courbe des rendements demeurera suffisamment raide, ce qui s’avèrera
profitable pour les banques en termes de prêt. Dans le même temps, les taux d’intérêt
négatifs à court terme leur permettront de dévaluer leurs passifs à l’encontre
des déposants et des investisseurs. La politique de la BCE reviendra donc à
un plan de refinancement de grande échelle.
Face au désir politique de
préserver l’euro, nous pouvons nous attendre à voir l’industrie bancaire de
la zone euro refinancée par la BCE. Il est donc possible que la BCE mette fin
à ses politiques de taux de dépôt négatifs d’ici peu de temps, en faveur d’une
inflation accrue. Une telle politique impliquera une dévaluation continuelle
des dépôts bancaires et des obligations libellés en euros.
C’est là la
vérité malheureuse de l’expérience de monnaie commune de l’Europe. Les
citoyens de la zone euro sont sur le point d’apprendre une leçon vieille
comme le monde : la monnaie papier non garantie – ce que représente l’euro
– n’est pas digne de notre confiance. Comme l’a dit Thomas Paine, « le
papier-monnaie constitue à première vue une grande économie ou plutôt ne
semble rien coûter, mais c’est la monnaie la plus chère qui soit ».