Depuis que j’ai réalisé
il y a trente ans que le prix de l’or était manipulé sur le Comex, j’ai su
que la conséquence inévitable de la suppression artificielle des prix serait
finalement l’apparition d’une pénurie physique. Si le prix d’une marchandise
est maintenu trop bas pendant trop longtemps, les dynamiques de la loi de
l’offre et de la demande finissent par limiter l’offre et stimuler la demande
au point qu’une pénurie physique doive apparaître pour mettre fin à la
manipulation.
Je n’ai jamais vraiment
été un analyste géopolitique ou monétaire, ou encore un théoricien de la
conspiration, puisque je m’intéresse principalement à l’analyse de l’offre et
de la demande en marchandises. C’est pourquoi je sais que la force principale
qui influence les prix à la hausse est une pénurie physique. Si l’offre ne
suffit pas à satisfaire la demande, le prix doit grimper jusqu’à ce que la
demande puisse être satisfaite. C’est une force primaire de marché que très
peu oseraient contredire.
La raison pour laquelle
je me suis tourné vers l’argent en 1985 est que son prix me semblait trop bas
et conforme aux preuves crédibles selon lesquelles plus d’argent était
consommé qu’il en était produit, ce qui nécessitait un épuisement soutenu des
réserves d’argent du monde. Afin de réconcilier ces deux circonstances
contradictoires – un prix faible malgré une demande supérieure à la
production – je me suis intéressé aux positions à découvert concentrées sur
le Comex et, un peu plus tard, aux prêts. Je n’en ai été que plus convaincu
que la situation se terminerait sur une pénurie d’argent, puisque les
positions excessives à découvert sur le Comex et les prêts peu rentables de
métal physique ne pourraient pas durer indéfiniment ou continuer d’invalider
éternellement la loi de l’offre et de la demande.
Le déficit de
consommation de long terme a fini par prendre fin sur le marché de l’argent,
après avoir régné chaque année depuis la fin de la seconde guerre mondiale jusqu’en
2006, plus de vingt ans après mon épiphanie quant à la manipulation du prix
de l’argent. Mais à cette date, les inventaires d’argent avaient déjà subi
des dommages irréversibles, et ils sont aujourd’hui 90% inférieurs à ce
qu’ils étaient au début de la seconde guerre mondiale. En 2006, l’argent est
enfin passé au-dessus des 10 dollars l’once pour atteindre 20 dollars en 2008
et 50 dollars en 2011. Cette évolution a pris bien plus de temps que je
l’imaginais, et la baisse de prix survenue depuis ce pic a également été
supérieure à mes attentes. Je suis en revanche toujours persuadé qu’une
pénurie soit la force principale de détermination du prix d’une marchandise,
puisque le pic de prix de 2011 a été la conséquence de l’apparition d’une
pénurie d’argent. Il est vrai qu’une baisse de prix délibérée ait étouffé
cette pénurie dès son développement initial en faisant diminuer la demande
d’investissement, mais rien ne suggère que la situation puisse encore durer
longtemps.
Lorsque je parle de la
pénurie imminente d’argent ou de celle que nous avons effleurée en 2011, je
fais référence à la pénurie d’argent vendu au gros – aux barres industrielles
de 1.000 barres. Il existe actuellement une pénurie prononcée d’argent
physique vendu au détail, chose qui s’est déjà produite au cours de ces
dernières années. Mais par définition, une pénurie d’argent au détail
n’affecte que les premiums appliqués aux formes individuelles d’argent au
détail, et non le prix des barres industrielles de 1.000 onces.
Je n’essaie pas de dire
qu’il n’existe aucune connexion entre une pénurie d’argent au détail et une
pénurie d’argent au gros. Il s’agit en premier lieu du même matériau, mais
sous des formes différentes. Plus important encore, sur le marché de l’argent,
la nature de la demande d’investissement a un caractère unique. La demande au
gros et au détail est basée sur la demande d’investissement. Pour ce qui
concerne l’argent au détail, la demande est purement une demande
d’investissement, alors que la demande en argent au gros ne concerne qu’en
partie l’investissement.
Ce qui m’amène à mon
idée principale quant à la future pénurie d’argent physique. Parmi toutes les
matières premières que nous consommons, qu’il s’agisse du pétrole, du cuivre,
du maïs ou de toute autre marchandise, seul l’argent fait l’objet d’une
demande d’investissement en plus de la consommation utilitaire qu’il partage
avec toutes les autres. L’or ne peut pas en dire autant, parce qu’il n’est
que très peu utilisé par l’industrie, et que la quasi-totalité de sa demande
concerne l’investissement ou la bijouterie. En tant que tel, alors que l’or
est susceptible d’être fixé à n’importe quel prix sur lequel tombent d’accord
acheteurs et vendeurs, il est difficile pour moi de comprendre comment il pourrait
faire l’objet d’une véritable pénurie.
Pour ce qui concerne les
marchandises consommables, à chaque fois que survient une pénurie, elle tire
ses origines d’une perturbation en matière d’offre. Notons par exemple la
pénurie de pétrole survenue en conséquence de la réduction unilatérale de la
production de l’OPEP, ou encore les réductions de production agricole
survenues pour des raisons météorologiques. Il y a plusieurs années, je me
suis trouvé impliqué, suite à un gel inattendu, sur le marché du jus
d’orange. Il y a quelques jours, j’ai pu lire dans le Wall Street Journal
qu’une pénurie de vitres de gratte-ciels se développait actuellement, en
raison de la faillite de sociétés de production de verre dans le cadre de
l’effondrement du marché immobilier.
L’une des raisons pour
lesquelles il est rare pour une pénurie de marchandises de se développer en
raison de la demande est que la demande en marchandises ne grimpe que
rarement sans crier gare. La consommation de café par tête n’a que peu de
chances de se transformer aussi radicalement que l’offre dans l’éventualité
de gels au Brésil ou en Colombie. Ainsi, les perturbations liées à l’offre
ont plus de chances de produire des pénuries que les perturbations liées à la
demande.
Ce n’est pas le cas de
l’argent. Pour dire les choses simplement, la demande mixte en argent – en
tant que marchandise industrielle et en tant qu’actif d’investissement –
offre à l’argent quelque chose qui n’est pas visible chez les autres
marchandises, la possibilité d’une hausse de la demande susceptible de créer
une pénurie physique. Je suppose que l’argent puisse également être l’objet
de perturbations liées à l’offre, de la même manière que les autres
marchandises. Mais seul l’argent a le potentiel de voir se développer une
pénurie liée à la demande.
Nous pouvons le voir
actuellement au travers de la pénurie de nombreuses formes d’argent physique.
Ce n’est pas que l’atelier monétaire des Etats-Unis a soudainement décidé de
réduire sa production de Silver Eagles, puisqu’il en a produit plus au cours
de ces cinq dernières années (200 millions) qu’il n’en a produit au cours des
vingt-quatre premières années de son programme de frappe de pièces d’argent
(150 millions). L’atelier monétaire a également produit plus de Silver Eagles
cette année qu’au cours de n’importe quelle autre année auparavant. Mais nous
faisons l’expérience d’une pénurie de Silver Eagles. Cette pénurie est
clairement la conséquence de la hausse de la demande en investissement, et
non d’une perturbation de l’offre.
On nous dit que la
hausse de la demande en investissement enregistrée par l’argent au détail est
différente de celle qui concerne les barres de 1.000 onces. Vraiment ?
Je ne pense pas. Bien que je sois d’accord sur le fait qu’une hausse brutale
de la demande d’investissement en pousses de soja, en pétrole, en cuivre ou
en bétail soit peu plausible, une hausse de la demande en barres d’argent de
1.000 onces est non seulement inévitable, nous avons déjà assisté à de tels
phénomènes par le passé. Tout ce qui s’est déjà produit a le potentiel de se
reproduire un jour, notamment pour ce qui est du marché de l’argent, qui est
aujourd’hui plus susceptible que jamais de voir se développer une hausse de
l’investissement.
Il est important de
définir le terme « pénurie ». La première définition donnée par
Google est une situation dans laquelle un bien qui est nécessaire ne peut
être obtenu dans des quantités suffisantes. Sur le marché libre, lorsqu’une
marchandise traverse une pénurie, son prix grimpe jusqu’à ce qu’elle soit
disponible à ceux qui sont prêts à payer plus que les autres. C’est notamment
vrai pour les actifs d’investissement, parce que les achats potentiels ne
sont pas limités à ceux qui achètent des marchandises pour leurs activités
commerciales quotidiennes.
C’est ce que signifie la
dualité de la demande en argent – le métal est demandé par ceux qui en ont
besoin à des fins industrielles, et par ceux qui le recherchent en tant
qu’investissement. Cette demande mixte a un effet multiplicateur sur la
demande, chose dont aucune autre marchandise ne jouit. Lorsque la demande
d’investissement en barres de 1.000 onces grimpera, la demande industrielle
ne disparaîtra pas jusqu’à ce que la demande en investissement diminue. Une
demande mixte signifie que deux types de demandes existent en parallèle l’une
de l’autre.
Nous trouvons en face de
cette dualité de la demande une dualité de l’offre – l’offre nette de métal
produit et recyclé, et l’offre rendue disponible par les inventaires
existants. Les véritables quantités d’argent « nouveau » sont celles
qui sont disponibles pour les investisseurs après satisfaction de la demande
industrielle. Ce « reste » ne représente selon mes calculs pas
moins de 100 millions d’onces par an, ou 1,5 milliards de dollars au prix
actuel. Il est important de souligner que cette nouvelle offre d’argent
devient disponible sur une base quotidienne, à mesure que du métal est
produit et affiné. La demande ne connaît quant à elle aucune limite
quotidienne. Pour ce qui est de l’argent plus ancien, parmi le 1,3 milliard
d’onces d’argent qui représentent les barres de 1.000 onces, seule une petite
quantité est disponible à la vente aux prix actuels.
L’idée importante à
retenir ici est que la demande d’investissement est susceptible d’exploser à
tout instant (comme nous avons récemment pu le voir sur le marché de l’argent
au détail), alors que l’offre est plus soutenue et ne s’élargit qu’avec le
temps et suite à une hausse des prix. L’habitude humaine qu’est de se ruer
vers un investissement lorsque son prix grimpe semble garantir la hausse de
la demande d’investissement en argent à mesure que son prix grimpera.
Nous avons donc d’une
part une explosion potentielle de la demande d’investissement en barres de
1.000 onces, puisque ce sont vers elles que se rueront les utilisateurs
industriels lorsque la pénurie deviendra apparente et que leurs livraisons
subiront des délais. D’autre part, nous avons une offre potentielle limitée.
La recette parfaite d’une pénurie historique.
Si une pénurie de
l’argent est aussi inévitable que je le pense, pourquoi ne s’est-elle pas
encore présentée ? La réponse la plus concise est que le négoce de
contrats à terme sur le Comex domine aujourd’hui le prix de l’argent (et
d’autres marchandises) au point que le moindre signe de pénurie se trouve
étouffé. Le prix de l’argent n’est pas supprimé en raison d’un surplus de
métal physique, au détail comme au gros, ou d’une demande insuffisante. Il
est supprimé par le surplus de contrats dérivés. Le prix artificiel qui émane
du Comex court-circuite la loi véritable de l’offre et de la demande.
Pendant combien de temps
encore la suppression du prix de l’argent par le Comex pourra-t-elle
repousser la pénurie d’argent physique à venir ? Je n’en sais rien, mais
c’est pourtant la bonne question à se poser. Je suis également certain que
lorsqu’une pénurie physique se développera sur le marché au gros, elle ne
pourra pas être contenue par le négoce de produits dérivés et devra
disparaître à la manière traditionnelle – en laissant le marché découvrir le
prix d’équilibre. L’idée est bien évidemment de prendre position avant que la
pénurie ne soit reflétée par les prix.