Ce texte est un « article presslib’ » (*)
Sans
désemparer, la ronde des grandes réunions internationales se
poursuit. Le Canada va successivement accueillir un G8 puis un G20 à
partir de jeudi prochain. Fait significatif du peu de résultats que
l’on en attend, celui de Séoul qui suivra les 11 et 12 novembre
prochains est déjà évoqué. Comme le veut une
routine désormais installée, Barack Obama a téléphoné en ce début
de semaine à Angela Merkel et José
Luis Rodriguez Zapatero pour le préparer.
La
question mérite être posée : sur quoi donc les
membres du G20, salué en son temps comme l’expression
achevée de la nouvelle gouvernance
mondiale, vont-ils bien pouvoir se mettre d’accord à
Toronto ? Car ils sont en désaccord ouvert sur chacun des grands
dossiers sur lesquels ils sont censés sortir de la réunion
unis. Dans ces conditions, risque-t-on à se demander, comment les marchés
vont-ils réagir à ce qui pourrait apparaître comme une
guignolade, pour de ne pas parler des opinions publiques dont l’opinion
semble déjà faite ?
A
propos de la relance et des restrictions budgétaires, Barack Obama vient
d’écrire à ses collègues du G20 pour leur demander
de ne pas s’engager trop résolument et rapidement dans
celles-ci, en totale contradiction avec la position martelée
d’Angela Merkel. Ainsi qu’avec celle
des Britanniques, qui pour une fois se démarquent publiquement de
leurs cousins
et annoncent un plan d’austérité comme on n’en a
jamais vu depuis l’après-guerre. Tandis que la perspective
d’une restructuration de la dette grecque est envisagée à
haute voix par les autorités russes et que le sort de l’Espagne
(de ses caisses d’épargne en détresse et de sa
gigantesque bulle immobilière, avec de 700.000 à 1,2 millions
de logements neufs en stock), inquiète à ce point les
Américains qu’ils ont envoyé à Madrid en mission
dont le secret a été éventé un secrétaire
adjoint du Trésor, Charles Collins. L’Espagne, c’est le
pont trop loin.
Jean-Claude
Trichet en est venu – du jamais vu, là aussi – à
morigéner les banques, admettant rétrospectivement qu’elles
avaient toutes failli s’effondrer en 2008. « Elles auraient
toutes disparu si nous ne les avions pas sauvées », a-t-il
déclaré à Welt am Sonntag. C’est que,
pour lui, elles ne jouent pas le jeu. Une amère constatation que font
les uns après les autres les dirigeants européens, ne parvenant
pas à reprendre la main. Le précédent était
Jean-Claude Junker, chef de file de l’Eurogroupe,
qui s’est plaint publiquement de l’incompréhension
manifestée par les
marchés, décidément bien ingrats.
Se
reprenant, le même Jean-Claude Trichet expliquait lundi
après-midi, devant la commission des affaires économiques et
monétaires du Parlement européen, que « La BCE
estime qu’un véritable bond en avant est nécessaire sur
le cadre de surveillance et d’adjustement des
politiques budgétaires, ainsi que sur les politiques
macroéconomiques en rapport avec la compétitivité de
l’Europe ». Détaillant un menu indigeste de mesures
de surveillance et de sanctions allant au-delà de ce que les 27
avaient convenu lors de leur dernier sommet. Ne traitant pas du passage le
plus scabreux de la note de la BCE du 10 juin dernier, qui envisageait
qu’une structure européenne financée par les Etats puisse
prendre la relève de l’achat des obligations souveraines
qu’elle continue mais dont elle voudrait se débarrasser. Le
climat, sans doute, ne s’y prêtait pas en ce décevant
solstice d’été.
La
Fed se faisait déjà du souci à propos de la poursuite de
la reprise américaine, craignant désormais de surcroit les
effets négatifs d’une récession européenne
globale. Les désaccords à propos des plans
d’économie budgétaire à mettre en oeuvre vont devoir être gommés le temps
d’un communiqué final et d’une photo de groupe.
Présentés au pire comme relevant d’une simple question de
calendrier – quand faudra-t-il serrer la vis ? – ou
escamotés au nom de la diversité des situations, qui permettra
à chacun d’en faire à sa guise et de préparer le
pire.
S’efforçant
de dévier les critiques qui convergent vers sa politique, Angela Merkel vient d’ailleurs de déclarer que
« personne ne pouvait dire que l’Allemagne ne fait pas assez
pour la croissance », avec un tel aplomb que cela devrait
interdire de la contredire au moins d’ici la fin de la semaine. Pour
revenir à la Fed, elle ne devrait pas être nécessairement
rassurée par la déclaration de José Manuel Gonzalez-Paramo, membre espagnol du directoire de la BCE qui a
déclaré sans attendre les résultats des stress test des
banques européennes : « Tout pays a ses forces et
faiblesses mais je ne m’attends à aucune surprise de la
publication des tests de résistance ». D’autant que
toutes les demandes d’éclaircissement qui ont été
formulées à leur égard n’ont à ce jour
suscité aucun commencement de réponse.
En
réalité, c’est le royaume de l’improvisation
permanente qui continue de règner dans
l’ensemble du camp occidental. Il s’avère même que
plus on se rapproche des échéances, moins l’on semble
avoir de solution, sauf à suivre la ligne de plus grande pente. Tandis
que Sophie Desmaret, Charles Trenet et Pierre
Fresnay, rigolait-on autrefois…. A ce compte, si une récession
occidentale généralisée n’est pas certaine, elle
s’annonce être une hypothèse de plus en plus plausible.
Elle pourrait être accompagnée d’une véritable
déflation. Une épreuve dont on sait quand on s’y engage
mais jamais quand on va pouvoir en sortir.
En
ce qui concerne la taxe sur les établissements bancaires,
l’éventail des positions ne pourrait pas être plus large
à l’occasion de ce sommet. Entre ceux qui y sont formellement
opposés – les hôtes canadiens et la plupart des pays
émergents (Russie compris) – les Italiens qui ne sont pas contre
à condition que leurs banques ne soient pas concernées, les
Britanniques qui sont toujours pour et les Allemands qui ont
déjà légiféré en sa faveur. Avant
même que d’autres questions qui fâchent ne soient
abordées : quel serait le montant de la taxe et la destination de
son produit ? Angela Merkel et Nicolas Sarkozy
viennent pour leur part de peaufiner leur médiocre opération de
communication en écrivant à leur futur hôte canadien,
Stephen Harper, afin de proposer que soit engagée une réflexion
à propos d’une taxe sur les transactions financières, en
plus d’une taxe sur les banques. Au prochain G20, ils proposeront de
taxer les taxes, comme en France la TVA appliquée sur la TIPP (taxe
intérieure de consommation sur les produits pétroliers).
Enfin,
les dirigeants chinois viennent de désamorcer à peu de frais ce
qui s’annonçait être un sujet de discorde. La Banque
populaire de Chine a donné un peu de grain politique à moudre
à l’administration Obama en
annonçant un peu de souplesse de sa part à propos de la
parité du yuan par rapport au dollar. Bien que les commentaires aient
vite tourné au vinaigre à Washington, quand il est apparu que
la direction chinoise n’était pas unanime à ce propos et
qu’il ne fallait probablement pas attendre de concrétisation
significative de ce changement de position. On parle de 5% maximum de
réévaluation progressive d’un côté, on
attend 40% de l’autre. L’affaire est donc en suspens, les membres
du Congrès qui avaient annoncé vouloir prendre des mesures de
rétorsion ont donc gardé l’arme au pied, dans une
ambiance qui ne s’améliore pas mais qui ne devrait pas trop
ternir la fête du G20.
Mais
toute question mérite sa réponse. Que va-t-il pouvoir
être retenu du G20 de Toronto ? La réponse s’impose:
qu’il va s’être tenu en même temps
qu’était serré le dernier boulon de la réforme de
la régulation financière américaine, sous les auspices
réunis du Congrès, de l’administration Obama et des lobbies des mégabanques.
Un parrainage qui ne sera pas revendiqué – encore que, on ne
sait jamais – mais qui symbolisera dans l’avenir la radicale
incapacité dans laquelle ont été les
représentants du capitalisme financier de faire face à sa
propre implosion. Celle d’aujourd’hui, ainsi que sa suite
qu’ils programment dans ce que l’on va leur accorder dans notre
grande mansuétude être de l’ingénuité.
De
petites inconnues subsistent encore, mais ce n’est pas trop
s’avancer que de dire que ce monument de loi de quelques 1.600 pages
est un véritable désastre de plus, comme s’il en manquait
dans ce pays dont on découvre progressivement ce qui l’attend.
Qui ne sera annoncé qu’une fois passé
le cap des mid-terms
de novembre, ces élections de mi-mandat redoutées, selon une
étonnante loi – toujours vérifiée – qui veut
que les consultations électorales doivent être
dépassées pour que les mauvaises nouvelles soient
annoncées.
Jour
après jour, on apprend en effet combien le pays est miné par la
crise que Washington tient à coup de déficit budgétaire
à bout de bras. On comprend comment cette énorme bad bank
que représentent Fannie Mae et Freddy Mac (qui garantissent
près de la moitié de l’encours du crédit
immobilier américain, le dernier chiffre connu étant de 5.300
milliards de dollars) est ce que les Américains appellent une time bomb,
une bombe à retardement dont ils ne savent pas arrêter le
mécanisme. Traînant une dette de 900 milliards de dollars qui
n’est pas comptabilisée dans le déficit public
américain. On redoute, pour finir, non seulement la poursuite de la
crise immobilière mais surtout la profondeur et
l’intensité de la crise sociale qui s’annonce, assortie de
conséquences politiques imprévisibles.
Cette
question n’est pas à l’ordre du jour de Toronto, qui va
s’occuper des affaires sérieuses. L’encadrement des bonus
par exemple, selon un document de vingt pages pour ne rien dire de
l’administration américaine, sorti juste à temps pour
meubler le G20.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
(*) Un « article presslib’
» est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que
le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’
» qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos
contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait
aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut
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Paul Jorion,
sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix
dernières années dans le milieu bancaire américain en
tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié
récemment L’implosion. La finance contre l’économie
(Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ?
(La Découverte : 2007).
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