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Initialement
publié sur "crise publique"
Les prix des
logements ont subi depuis 10 ans une hausse totalement
déconnectée du revenu des ménages, alors que dans les 30
années qui avaient précédé, ces deux variables
avaient, fort logiquement, évolué de concert. Ed Glaeser et
Joseph Gyourko, deux chercheurs de Harvard et Wharton, ont été
les parmi les premiers à mettre en évidence de façon
indiscutable le rôle de la réglementation foncière dans
la flambée récente des prix de l’immobilier (étude
Pdf).
Les travaux de
recherche de Gyourko et Glaeser sont peu connus (malgré la médiatisation
récente de Glaeser), car ils sont assez
hermétiques pour qui ne maîtrise pas les mathématiques de
haut vol. Essayons de les traduire en termes pédagogiques.
Ce n'est pas que la demande !
Fréquemment,
l’augmentation des prix immobiliers sur de nombreux marchés
mondiaux est expliquée par l’accroissement important de la
demande, solvabilisée par la chute des taux
d’intérêts constatée à peu près
partout dans le monde entre 1995 et 2004. La crise du subprime, où
l’on voit une remontée des taux américains provoquer une
authentique débâcle sur le marché immobilier US, conforte
les tenants de cette explication pourtant simpliste : les prix immobiliers
n’évolueraient qu’en fonction inverse de la
solvabilité de la demande, elle-même fonction des taux
d’intérêt. Quand les taux baissent, les prix montent,
quand les taux montent, les prix baissent, fermez le ban.
Seul
problème : la solvabilisation des ménages par le crédit
n’a provoqué aucune autre flambée des cours de produits
suscitant pourtant une très forte demande des ménages, comme
l’automobile ou la micro-informatique. En outre, aux USA, l’on
constate que la hausse n’est pas uniforme, des cités très
attractives économiquement et en fort progrès
démographique ne connaissent pas de boom sur les prix, alors
même que les taux d’intérêt y sont les mêmes
qu’ailleurs. L’explication des prix comme une fonction croissante
de la seule demande ne tient donc pas, il convient de se demander si il
n’y pas des facteurs qui limitent l’offre,
l’empêchant de s’adapter à des fortes variations de
la demande, créant ainsi une situation de pénurie.
Il convient donc
de se demander pourquoi sur certains marchés, l’offre parvient
manifestement à s’adapter à la demande, et sur
d’autres, elle ne le peut manifestement pas.
Sachant
qu’aux USA, il n’y a pas de pénurie de main
d’œuvre entrainant les coûts de construction à la
hausse, Glaeser et Gyourko ont cherché à vérifier si des
réglementations plus ou moins sévères du sol
n’étaient pas à la source des envolées de prix
constatées à certains endroits et pas ailleurs.
Pour ce faire,
ils ont disséqué la plus grande base de transactions
immobilières d’Amérique du Nord, celle de Coldwell
Bankers, un des plus gros réseaux d’agents immobiliers aux USA,
et ont cherché à calculer la part du foncier dans les
transactions de maisons de 26 agglomérations.
Ils ont pour cela
employé deux méthodes.
Calcul marginal:
Le prix hédonique du foncier
La
première consiste à calculer ce qu’ils appellent le prix hédonique
d’un terrain "moyen" d’environ 1/4 d’acre, soit
environ 1100m2, surface courante outre Atlantique. Pour ce faire, ils ont
analysé les prix de transactions de maisons identiques (surface,
équipement, emplacement, vétusté) sur des terrains de
taille différente. Les écarts observés correspondent
à la différence de prix que les acheteurs sont prêts
à mettre pour avoir un terrain plus ou moins grand. Cela permet de
calculer un prix marginal correspondant à l’agrément
qu’il y a, dans l’esprit des acheteurs, à posséder
un mètre carré de terrain supplémentaire, et donc de
déterminer le prix "hédonique" du terrain.
Calcul par les
prix de revient: le cout réel du foncier
Puis ils ont
calculé le prix du terrain selon une seconde méthode, plus
naturelle, c'est-à-dire en retranchant, sur des terrains d’un
quart d’acre, les coûts de construction et de viabilisation des
prix de transaction réels des maisons. Ce prix correspond au prix réel
du terrain.
On pourrait
supposer que le prix du terrain d’un quart d’acre obtenu par les
deux méthodes de calcul serait sinon identique, du moins proche. Et
bien, cela n’est vrai que dans certaines agglomérations, mais
pas dans d’autres. En 2003, alors même que la bulle
immobilière n’avait pas atteint les sommets de fin 2005 aux USA,
la différence entre les deux valeurs n’était que de
quelques milliers de dollars à Dallas, Boston ou Saint Louis, mais de
303.000 $ à Los Angeles, 350.000 à New York, et 600.000
à San Francisco ! Tout se passe donc, dans ces cités, comme si
le prix du terrain était égal à son prix
d’agrément plus "une marge mystérieuse",
parfois jusqu’à 12 fois supérieure ! (cf. graphe
ci-dessous)
A gauche, le prix
hédonique, à droite, le prix réel
Glaeser et
Gyourko ont donc cherché à isoler les facteurs qui faisaient
varier la "marge mystérieuse".
Les villes bon
marché ne sont pas toutes en déclin, bien au contraire !
Cette marge
n’est pas corrélée à la croissance
économique du lieu considéré, l’on trouve des
villes chères en pleine croissance, des villes chères en
déclin relatif, des villes bon marché en plein boom, des villes
bon marché en déclin. De même, une croissance
démographique très forte, induisant une demande de logements
très soutenue, ne provoque pas nécessairement de flambée
des prix. Houston, Dallas, Atlanta sont dans ce cas de figure. En
contrepartie, des villes démographiquement peu actives peuvent
être très chères, ou pas. De même, le niveau de
prix n’est absolument pas corrélé à la
densité urbaine, des quartiers ou des villes denses pouvant être
bon marché, et des villes ou des banlieues peu denses très
chères.
Le seul
indicateur qui corrèle de façon consistante la "marge
mystérieuse" est l’indice de sévérité
de la réglementation foncière établi par
l’université de Wharton, indicateur établi à
partir des délais nécessaires observés pour obtenir
l’autorisation de développer un terrain afin d’y construire
50 logements ou plus, et des probabilités de voir le projet
rejeté.
La
"mysterious margin" apparaît donc bien comme le prix de la
réglementation et de la difficulté qu’il y a bâtir
en certains endroits. Le "droit à construire" sur un
terrain, qu’il ait déjà été exercé
ou qu’il soit en devenir, vaut d’autant plus qu’obtenir ce
droit est difficile. Il constitue le ticket d’entrée, la
"pénalité réglementaire" payée par tout
acheteur au profit du vendeur, tout comme, de façon analogue, le
rationnement des licences de taxi augmente le ticket d’entrée
dans la profession.
L’étude
de Glaeser et Gyourko a reçu un accueil plus que mitigé des
professionnels de la planification spatiale, qui ne
voient pas d'un bon oeil ce qui peut remettre en cause les dogmes qui les
font vivre, mais des économistes même très marqués
à gauche, comme le très médiatique Paul Krugman, ont
reconnu que la réglementation foncière était un élément
déterminant de la formation des bulles immobilières.
Bien qu’il
n’y ait à ma connaissance rigoureusement aucune étude du
même type qui ait été conduite en France, il n’y a
aucune raison de penser que la hausse brute de 130% de l’immobilier ces
dix dernières années provienne d’autres causes : la
réglementation du sol rend impensable la réalisation
d’opération de croissance urbaine significative en moins de
trois ans, et ce délai peut plus que doubler si certains
intérêts tentent de s’y opposer, avec l’appui des
administrations en charge de faire appliquer telle ou telle
réglementation malthusienne, ce qui arrive souvent.
Point n’est
besoin d’être chercheur à Harvard pour ressentir ce
phénomène : tout professionnel du lotissement, tout maire, sait
qu’actuellement, lorsqu’une opération de plusieurs
dizaines de lots de taille variable est mise sur le marché, les petits
terrains de 500-600m2 partent presqu’au même prix que les plus
gros, sans qu’il y ait proportionnalité entre le prix et la
surface. Ce phénomène est d'autant plus sensible ces
dernières années, alors que les prix des terrains constructible
en Euros sont pratiquement identique à ce qu'ils étaient en
Francs 10 ans auparavant !
Chez nous aussi,
il existe un ticket d’entrée réglementaire qui agit comme
une taxe forfaitaire versée par les entrants sur le marché du
logement aux sortants, indépendamment de la taille du terrain. Attendu
que statistiquement, ceux qui vendent sont en moyenne plus fortunés
que les acheteurs, et notamment les primo-accédants, la
règlementation foncière restrictive agit bel et bien comme un
outil de redistribution du capital des plus modestes vers les plus
aisés, et la flambée des prix qui en découle est
dévastatrice notamment pour les familles qui ne peuvent espérer
un accès au crédit.
Vincent
Bénard
Objectif Liberte.fr
Egalement par Vincent Bénard
Vincent Bénard, ingénieur
et auteur, est Président de l’institut Hayek (Bruxelles, www.fahayek.org) et Senior Fellow de Turgot (Paris, www.turgot.org), deux thinks tanks francophones
dédiés à la diffusion de la pensée
libérale. Spécialiste d'aménagement du territoire, Il
est l'auteur d'une analyse iconoclaste des politiques du logement en France, "Logement,
crise publique, remèdes privés", ouvrage publié
fin 2007 et qui conserve toute son acuité (amazon), où il
montre que non seulement l'état déverse des milliards sur le
logement en pure perte, mais que de mauvais choix publics sont directement
à l'origine de la crise. Au pays de l'état tout puissant, il
ose proposer des remèdes fondés sur les mécanismes de
marché pour y remédier.
Il est l'auteur du blog "Objectif
Liberté" www.objectifliberte.fr
Publications :
"Logement: crise publique,
remèdes privés", dec 2007, Editions Romillat
Avec Pierre de la Coste : "Hyper-république,
bâtir l'administration en réseau autour du citoyen", 2003, La
doc française, avec Pierre de la Coste
Publié avec
l’aimable autorisation de Vincent Bénard – Tous droits
réservés par Vincent Bénard.
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