Avec un titre comme cela, je
devine ce que vous vous dites. Ce n’est pas le meilleur moment pour
vanter les mérites des États-Unis.
Politiquement
déchiré, le pays se donne en spectacle. Le gouvernement
fédéral est faussement mis entre parenthèses et la dette
publique est hors de contrôle. Beaucoup d'Américains souffrent
des effets de la Grande Récession.
Au même moment, la position
des États-Unis sur la scène internationale est au plus bas. Les
alliés traditionnels de l’Amérique se sont
étonnés de l’inaptitude de Washington à traiter la
crise syrienne. Il a même fallu que Moscou - entre tous - lui sauve la
mise.
Ce dernier fiasco arrive dans la
foulée des tromperies de l’administration de George W. Bush. L’ensemble
a durablement sapé l'un des plus grands atouts de l'Amérique :
la foi en sa compétence.
Et pourtant. Les migrants du monde
continuent de converger vers les États-Unis. Pourquoi ?
Comme un aimant
Là où j’ai
grandi et étudié, dans la France Atlantique et au Canada, le
désir de se rendre aux États-Unis était toujours au
moins légèrement honteux.
Les Français et les
Canadiens aimaient critiquer le voisin d’en face ou d’en dessous,
si sûr de lui, si belliqueux, tout en enviant son niveau de vie si
confortable et en absorbant sa culture populaire jusqu’à la
dernière goute.
Faire des études
supérieures aux États-Unis est encore vu comme une
opportunité ; y trouver un travail (dans l’informatique, la
communication, la finance) est toujours la promesse d’un avenir
professionnel prometteur.
Le rêve américain est
une promesse – ou plutôt quatre promesses en une seule : la
promesse de l’égalité en droit, de la liberté, d'une
prospérité matérielle et que les gains de la croissance soient partagés. Cette quadruple promesse attire
les espoirs et les critiques du monde entier.
Une défiance et un désir d’Amérique
Comment expliquer cette
ambiguïté ?
La cause est avant tout pratique. Oui,
l'économie américaine est encore faible. Mais elle reste
à la pointe dans des domaines comme l’énergie, la haute
technologie et l'enseignement supérieur.
En élargissant
considérablement les réserves accessibles de gaz naturel, la
fracturation hydraulique (fracking) peut faire
des États-Unis un pays exportateur de combustibles fossiles. Le
prototypage rapide (mieux connu sous le nom d’impression 3D), la
robotisation des automobiles et des poids lourds, le développement
prochain des drones civils commerciaux, l’éducation
supérieure en ligne sont des innovations passant rapidement du
laboratoire au marché. Le résultat sera une augmentation de la
prospérité et de la qualité de vie américaine
dans les décennies à venir.
Quid des trois autres
promesses ? Est-ce que les bénéfices du progrès
technologique ont été et seront largement
partagés ?
La base contre le sommet
L’Histoire américaine
semble montrer que la classe moyenne américaine doit sans cesse se
constituer en mouvements citoyens pour se battre contre l’oppression de
l’État et contre le capitalisme de copinage afin
d’accéder à la dignité et à la
prospérité.
Régulièrement, le
changement en Amérique est venu de mouvements populaires exigeant
l'inclusion des groupes exclus : les abolitionnistes, les syndicats
originaires, les suffragettes, les militants des droits civiques.
Ces mouvements s’opposaient
à l’appareil oppressif de l’État, à
l’inégalité en droit, aux intérêts
économiques favorisés par Washington, aux grands organes de
presse et aux élites universitaires qui étaient tous contre
toute extension de la richesse et du pouvoir politique aux Américains
ordinaires.
Aujourd’hui, l'impuissance
de la vaste majorité des Américains contre la fiscalité
oppressive, le capitalisme d’État et l’espionnage
domestique aboutit à leur exclusion du progrès
économique. Symptôme de cette impuissance, l’endettement
de l’État américain est la plus grande menace pour
l'avenir des États-Unis en tant que nation de classe moyenne.
La menace de l’endettement
Penchons-nous sur ce
problème d’endettement. Le gouvernement américain
dépense plus d'argent qu'il perçoit en taxes. Pour compenser cet
écart, il récolte des fonds en demandant aux investisseurs
d'acheter des obligations du Trésor américain. Les investisseurs,
tels que l’État chinois, l’État japonais et des
fonds de retraites, le font parce que ces obligations sont
considérées comme sûres pour y investir.
Si les États-Unis venaient
à faire défaut, ils cesseraient de payer l'argent qu'ils devaient
aux détenteurs d'obligations du Trésor américain. Personne
ne sait exactement ce qui se passerait, mais il est probable que les
États-Unis connaitraient une récession profonde, que les
marchés à travers le monde plongeraient et que les taux d'intérêt
augmenteraient (en effet, la valeur des obligations aurait diminué,
car elles seraient perçues comme un investissement moins sûr).
Mais l'impact sur les
créanciers des États-Unis pourrait être catastrophique.
Le Japon, par exemple, possède l’équivalent de 20% de sa
production économique annuelle en dette américaine.
Impossible de résoudre le
problème de l’endettement américain sans s’attaquer
à sa cause : l’écart entre les dépenses
publiques et les recettes fiscales – soit en diminuant les dépenses
de l’État (ce qui nécessiterait d’abord une prise
de conscience de la population américaine, on en perçoit
l’éclosion dans le mouvement des Tea Party), soit en augmentant les impôts (ce qui serait
défavorable à la croissance économique et au
progrès social comme on le voit aujourd’hui dans la
sclérose européenne).
Le rêve américain
pourrait se transformer en un cauchemar de stagnation économique et de
hiérarchie sociale permanente basée sur la proximité
avec le pouvoir.
Mais les difficultés
rencontrées par les Américains d'aujourd'hui sont
éclipsées par celles que d'autres Américains ont surmontées
avec succès dans le passé.
Encore et encore, du XVIIIème
au XXème siècle, la république américaine s'est
réinventée avec succès, par la base contre le sommet, en
se réclamant du rêve américain, renforçant donc
à chaque fois l’importance symbolique de cette quadruple
promesse.
“Parfois, insurrection, c’est résurrection”*
Plus concrètement, bon
nombre des manies américaines qui les font passer pour de doux dingues
auprès du reste du monde – que ce soit l’acharnement avec
lequel les Américains se battent contre le contrôle des armes
à feu ou contre l’imposition d’une couverture
médicale universelle – sont les manifestations visibles
d’instincts profonds qui font des États-Unis un pays en
renouvèlement permanent.
L’esprit frondeur qui les
pousse à se défier des réglementations invasives
alimente leur soif d’innovation sans égale dans le monde.
La croyance selon laquelle tout le
monde peut tenter sa chance aux États-Unis conduit les Américains
à rejeter l’introduction d’un filet de
sécurité social sous une forme redistributive
mais entraîne aussi un dynamisme de création d’entreprises
envié dans le monde entier.
Leur intense individualisme
produit une hostilité parfois irrationnelle envers leur gouvernement
mais aussi une acceptation des étrangers qui choisissent de devenir
citoyens américains.
Bref, les États-Unis sont
malades mais ont les bons anticorps pour s’en sortir.
Il est difficile de se souvenir de
cela lorsque l’on voit les États-Unis frôler
l’abime. Mais cela permet d’expliquer pourquoi tant de personnes continuent
d’y tourner le regard.
* Victor Hugo, Les
Misérables
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