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1.
Les dés ont été jetés.
Il y a soixante ans, c’est-à-dire au départ de l’organisation
de la sécurité sociale obligatoire que nous connaissons
encore aujourd’hui en France, la «cotisations vieillesse de
base» n'était pas individualisée.
Le salarié qui travaillait dans une firme du secteur économique
dit « de l’industrie et du commerce » et avait ainsi
l'obligation d'appartenir au « régime général
» de l'OSSO versait une cotisation globale - dite alors d'
«assurances sociales», en mémoire de la décennie
1930 - , dont le taux était :
16% du salaire brut
sous "plafond",
la notion de "plafond" étant un autre souvenir de la
décennie 1930 : elle désignait le revenu en deçà
duquel l'employé avait l'obligation de souscrire une assurance maladie
et une assurance vieillesse. Au delà, il gardait sa liberté.
Ce taux de 16% est le résultat de l'addition du taux de la cotisation
«employé» et de celui de la cotisation
«employeur».
Rien ne justifie cette distinction ni par conséquent de ne pas les
additionner. En effet, ces taux donnent lieu à des montants de
monnaie qui sont déduits du vrai prix en monnaie du travail du
salarié - son salaire
complet - que paie en définitive le client en achetant les
produits fabriqués par la firme.
De plus, le législateur avait décidé que, pour pouvoir
espérer obtenir une retraite « à taux plein » -
soit, au maximum, 50% du plafond de salaire brut -, il devrait cotiser un
certain temps, exactement :
30 années.
2. Les cartes ont
été biseautées.
Il y a quarante ans, à partir de 1967/68, le législateur a
individualisé la cotisation vieillesse de base de sorte que le
salarié d’une firme du secteur de l’industrie et du
commerce a versé à la Caisse nationale d’assurance
vieillesse des travailleurs salariés– créée pour
l’occasion, CNAVTS– une cotisation dont le taux affiché
était de :
8,5% du salaire brut
sous plafond.
Soit dit en passant, si le législateur a pris cette décision,
c'est que l'OSSO allait mal et démontrait son absurdité.
Dans la foulée, début de la décennie 1970, le
législateur a décidé que pour pouvoir espérer
obtenir une retraite « à taux plein », ce
n’était plus trente ans qu’il devrait cotiser, mais
désormais :
37,5 années.
3. La « rue de
la Paix » a été retirée du jeu.
Aujourd'hui, en 2010, le salarié d’une firme du secteur de
l’industrie et du commerce - voire d'autres dont le secteur
économique a rejoint le "régime
général", de gré ou de force - verse
périodiquement :
* une cotisation sous plafond dont le taux est :
14,95%
* et une autre "hors plafond" - notion originale introduite entre
temps (i.e. si le salaire brut est supérieur au plafond) - dont le
taux est :
1,7%
S’il a un salaire brut supérieur au plafond, son taux de
cotisation est donc :
16,65%
Tout cela pour ne pas parler du taux de la CRDS - "contribution"
introduite elle aussi entre temps, en relation, en partie seulement, avec des
déficits des "régimes de retraite de base" (cf.
ci-dessous) passés que tout salarié doit payer -, à
savoir :
0,5% sur son salaire
ou sur le revenu de son épargne investie.
Autre réforme encore entre temps, celle de la durée de
cotisation pour espérer une retraite "à taux plein" :
le législateur l’a fait passer de 37,5 années à :
40 années
puis
41 années.
En d’autres termes, aujourd’hui, pour la seule
"sécurité sociale vieillesse de base", le
salarié d’une firme du secteur de l’industrie et du
commerce (ou désormais de certains autres secteurs) - dont le salaire
brut est supérieur au plafond de salaire brut - verse une cotisation
vieillesse obligatoire dont le taux est supérieur au taux de la
cotisation globale qui était payé à l’origine de
l'OSSO:
16,65% contre 16%.
Par rapport à la fin de la décennie 1960, le législateur
a tout simplement doublé le taux de cotisation vieillesse de base que
doit payer le même salarié :
16,65% contre 8,5%.
tandis qu’il a augmenté d’un tiers la durée de
cotisation obligatoire que ce dernier devrait avoir pour
bénéficier d’une retraite "à taux
plein", elle est passée :
de 30 ans à
41 ans.
Quiconque vivant en France aujourd'hui devrait connaître ces chiffres
avant de dire quoi que ce soit à propos d'une nouvelle réforme
des retraites.
4. A quel jeu
joue-t-on ?
L'évolution que fixent les chiffres n’est-elle pas effarante ?
Laissons de côté ceux qui répondront « non »
et y verront la permanence d’un acquis social.
Quant à toutes les conséquences économiques qu'ils
peuvent faire valoir, je les renvoie au livre cité
précédemment mais aussi à ces trois livres pour les
connaître :
Futur
des retraites et retraites du futur. I. Le futur de la répartition.
Futur
des retraites et retraites du futur II. Les retraites du futur : la
capitalisation
Futur des
retraites et retraites du futur. III. La transition.
Ils sauront tout sur la question.
L’évolution signalée est d’autant plus effarante
qu’il ne faut pas croire qu’entre la fin de la décennie
1940 et la fin de la décennie 2000 où nous nous trouvons, le
plafond du salaire brut n’a pas augmenté.
Non seulement le législateur l'a augmenté périodiquement,
mais encore il l’a accru dans une mesure en moyenne supérieure
à l’augmentation du niveau des prix (cf. livres cités).
En d’autres termes, le plafond de salaire brut, en termes de pouvoir
d’achat, a été lui aussi augmenté.
En conséquence, cette augmentation accroît encore
l’augmentation de taux signalée ci-dessus.
Jusqu’où
une telle "spoliation" - il n'y a pas d'autre terme raisonnable -
peut-elle aller ?
Frédéric
Bastiat, en 1850, signalait que :
" Cependant, à la longue (ainsi le veut la nature
progressive de l'homme), la Spoliation développe, dans le milieu
même où elle s'exerce,
- des résistances qui paralysent sa force et
- des lumières qui dévoilent ses impostures."
Y serions-nous ?
Et Vilfredo Pareto soulignait cinquante ans plus tard :
"Ce qui limite la spoliation, c'est rarement la
résistance des spoliés ; c'est plutôt les pertes qu'elle
inflige à tout le pays et qui retombent sur les spoliateurs.
Ceux-ci peuvent, de la sorte, finir par perdre plus qu'ils ne gagnent
à l'opération.
Alors ils s'en abstiennent s'ils sont assez intelligents pour se rendre
compte des conséquences qu'elle aurait.
Mais si ce bon sens leur manque, le pays marche de plus en plus à sa ruine,
comme cela s'est observé pour certaines républiques de
l'Amérique du Sud, le Portugal, la Grèce moderne, etc."
(Pareto, 1896/7, §1049).
Y serions-nous ?
5. Le jeu
n’est plus jouable.
Le président de la République a annoncé vendredi 15
janvier 2010 la tenue d'une "réunion d'agenda social" le 15
février pour définir un calendrier des mesures à prendre
en 2010, notamment en matière de retraites, lors de ses voeux aux
partenaires sociaux.
"Les Français, qui sont sages, ne s'y trompent pas : près
de trois quarts d'entre eux se disent inquiets pour leur retraite, et s'ils
sont inquiets on doit s'en occuper", a estimé Nicolas Sarkozy.
Soit dit en passant, j'ai préféré le mot
"spoliation" au mot "inquiétude", mais je ne suis
pas non plus président de la République.
Nicolas Sarkozy a cité l'adaptation de la protection sociale au
défi du vieillissement - défi d'autant plus grand que la crise
a mis à mal les finances sociales de la France, a souligné le
chef de l'Etat.
"Ça fait cinquante ans que nous gagnons un trimestre
d'espérance de vie par an", a-t-il dit. "Mais cette 'bonne
nouvelle' doit conduire à se pencher sur le système de
retraite".
"Les Français ne s'y trompent pas: plus des trois quarts d'entre
eux se disent inquiets pour leurs retraites", a ajouté le chef de
l'Etat. "Il serait irresponsable de ne pas leur apporter de
réponse."
Il a rappelé qu'il s'était engagé en juin, devant le
Parlement réuni en congrès à Versailles, à
organiser un rendez-vous sur les retraites en 2010, qui inclura la question
de la pénibilité du travail.
"Nous en arrêterons ensemble le calendrier et les modalités
à l'occasion de notre réunion d'agenda social", a-t-il
précisé.
Pour sa part, le Conseil d’orientation des retraites (COR) va se
réunir le 20
janvier 2010 pour examiner la "première partie du
rapport" qu’il doit publier prochainement
A sa dernière réunion du 16 décembre 2009
préparatrice du rapport de janvier 2010, il s'était
penché sur "la faisabilité technique et juridique du
passage éventuel à un régime en points ou en comptes
notionnels".
Sa réflexion avait reposé sur un certain nombre de documents
dont ceux-ci :
* Préparation du rapport sur les modalités techniques d'un
passage éventuel à un régime en points ou en comptes
notionnels : problématiques
techniques et de gestion ;
* Questionnaire
sur la faisabilité technique et les problématiques de gestion
d'un passage éventuel à un régime en points ou en
comptes notionnels, envoyé aux régimes de base
* Préparation du rapport sur les modalités techniques d'un
passage éventuel à un régime en points ou en comptes
notionnels : problématiques
juridiques ;
* Transition vers un système en comptes notionnels : quelques scénarios
exploratoires portant sur le cœur du système (Didier Blanchet
INSEE ) ;
* Pilotage de
systèmes de retraite en annuités, en points ou en comptes
notionnels : comparaisons à partir d'une maquette stylisée du
système de retraite.
6. Quelques chiffres
officiels donnés actuellement par la CNAVTS en guise de conclusion de
ce billet.
En 2008, derniers chiffres officiels donnés par la CNAVTS sur son site,
il y avait :
17,2 millions de cotisants à la CNAVTS, soit 71,26 % des actifs (soit
24,1 millions d’actifs pour une population totale de l'ordre de 63
millions de personnes), pour
12,1 millions de retraités ;
soit
1 retraité à couvrir par 1,4 cotisant.
Convenons que, si ce rapport peut inquiéter, il ne veut pas dire grand
chose…, ce sont les montants en monnaie des cotisations et des
retraites – prestations de retraite – versées qui
importent.
Soit dit en passant, en France, deux grandes catégories de
régimes de retraite obligatoires de base autre que le
"régime général" existent :
* les régimes spéciaux des salariés du secteur public
(État, collectivités locales, entreprises publiques) qui
représentent 19,03 % des actifs, soit 4,6 millions de personnes ;
* les régimes des non-salariés (artisans, commerçants,
professions libérales et agriculteurs) qui concernent 9,71 % des
actifs, soit 2,3 millions de personnes.
Et tout cela pour ne pas parler des régimes de retraite obligatoires
complémentaires
- à qui le salarié doit verser des cotisations
"complémentaires",
- qui versent des prestations de retraite "complémentaires"
(je vous renvoie aux livres cités) et
- qui sont mis en difficulté chaque fois que l'exécutif
élève le plafond de salaire brut et dès lors que les
salaires brut s'accroissent moins que l'augmentation.
Il reste que la CNAVTS informe qu’elle a versé en 2008, en prestations
de retraite de base :
€ 86,9 milliards.
Ce qui fait ressortir une "retraite de base moyenne par
retraité" de :
€ 7182 par an,
soit
€ 598 par mois.
Ce chiffre calculé est pour le moins étrange car il est de
l’ordre de celui du "minimum
vieillesse", pour ne pas dire inférieur.
"Y
a comme un défaut" aurait dit un humoriste du XXème
siècle. A propos de ce défaut et pour tenter de le
comprendre, on pourra se reporter à ce
texte ou à celui-ci.
Reste que le maximum de la "prestation de retraite de base",
égal à 50% du plafond de salaire mensuel depuis l'origine, soit
€ 2773 par mois, est donc :
€ 1387.
Mais qui le touche ? A défaut qu'il y ait un défaut, il n'y a
aucune information sur le sujet, un sujet oh combien important.
Georges
Lane
Principes de science économique
Georges Lane
enseigne l’économie à l’Université de
Paris-Dauphine. Il a collaboré avec Jacques Rueff, est un membre du
séminaire J. B. Say que dirige Pascal Salin, et figure parmi
les très rares intellectuels libéraux authentiques en France.
Publié avec
l’aimable autorisation de Georges Lane. Tous droits
réservés par l’auteur
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