Le
titanesque chantier des réformes est lancé. Les bulldozers, les excavateurs,
les énormes camions sont là pour tout remuer, déplacer, réagencer. Et parmi
les innombrables idées géniales qui ont propulsé le président Hollande
jusqu’à la moitié de son quinquennat sans fatigue ni usure, on trouve une
pépite : celle de la simplification administrative dont le petit Macron,
frétillant d’aise et de compétence, s’est déjà emparé. Et c’est ainsi que les
coups de pelles derrière la nuque vont se transformer en coup de pelleteuse.
Et pour
une fois, les bonnes intentions ministérielles ont été devancées par une
initiative du gouvernement précédent que j’avais déjà évoquée dans ces colonnes. Eh oui, rappelez-vous de « Faire
Simple », le site officiel du Gouvernemaman laissé en pâture aux
internautes facétieux pour qu’ils puissent proposer quelques truculentes (mais pas trop, hein) idées de simplifications à mettre en
place !
Grâce à
ce site, quelques personnes dans les cabinets ministériels ont une idée,
vague, de ce que « simplifier » pourrait vouloir dire, puisque des
douzaines d’internautes leur ont fait part de leurs bouillantes propositions.
Rassurez-vous : seules les plus consensuelles seront prises en compte
dans la phase II, qui consiste après la phase I de collecte des gémissements,
à oublier les réformes possibles les plus audacieuses et qui donneraient le
plus de chance d’aboutir à un résultat concret pour se concentrer sur les
bricolages administratifs dont l’amélioration marginale pourra sans problème
passer inaperçue auprès du contribuable mais faire l’objet d’un rutilant
article en quadrichromie dans la gazette locale de tous les conseils
régionaux ou généraux du pays.
Pendant
ce temps, les lois, décrets et règlements continuent de s’empiler à un rythme
rarement soutenu, au point que même un gros dilettante comme Bartolone frise
le burn-out. Que voulez-vous, pour que la simplification s’insinue partout,
il faut ce qu’il faut et ce ne sont pas quelques centaines de pages de plus
aux multiples codes que les Français doivent connaître qui empêcheront les
députés de simplifier à tour de bras, non mais ! Au bilan, cette furieuse
simplification qui grignote du chaton dès potron-minet touche maintenant tous
les domaines, même ceux où on l’attendrait le moins.
Prenez
l’environnement. C’est pourtant déjà relativement simple, puisque
l’environnement, par définition, c’est simplement tout ce qui est autour, et
qui est composé, pour environ 53.7%, de petits oiseaux qui gazouillent, d’air
pur (± des particules fines de 10 microns) et de 34.8% de campagne avec des
arbres en bois, de la prairie qui verdoie, de la route qui poudroie et un
Agenda d’Accessibilité Programmée (Ad’AP) dont les vaches qui font
« meuh ! » et les cochons qui font « grouik
grouik ! » ne pouvaient apparemment pas se passer, tant il semble
important, pour nos administrations, de le mettre en place. Grâce a cette
nouvelle simplification administrative, tous les propriétaires ou exploitants
d’établissements recevant du public (ERP) qui ne respecteraient pas les
obligations d’accessibilités au 31 décembre 2014 (dans quelques jours, donc)
devront remplir cette copieuse paperasserie pour montrer qu’ils s’engagent
(financièrement et avec un calendrier palpable) à bien mettre leur
établissement aux normes, en remplissant des Cerfas dont le nombre ne cesse de
surprendre (ou presque, ceux-ci n’étant pas encore publiés, l’administration
étant semble-t-il elle-même ensevelie sous sa propre paperasse et son
habituelle indigence gestionnaire).
Vous
n’y comprenez rien ? Vous ne voyez pas le fichu rapport entre le fait
qu’on doive absolument mettre une rampe handicapé devant la boucherie de M.
Sanzot et le Ministère de l’Environnement ? Vous ne voyez pas comment
tout ce merdier apocalyptique de normes débiles, de contraintes
administratives et de cerfas dodus va pouvoir se traduire à la fois comme une
simplification de quoi que ce soit, et une relance, même vague, de l’activité
économique en berne dans ce pays ?
C’est
normal. C’est ça, la simplification administrative.
Et ne
comptez pas sur le gouvernement pour abandonner devant l’ampleur de la tâche.
Il y a du gigapain sur la mégaplanche, il le sait et il ira jusqu’au bout
(tant pis pour vous). C’est ainsi qu’il a déjà commencé à insinuer cette
simplification dans tous les interstices, toutes les craquelures ou les
fissures des murs bétonnés de l’administration en proposant des améliorations
palpables de leurs relations avec les administrés. Par exemple, et cela a
fait plusieurs copieux articles de presse, maintenant, le silence vaut
acceptation ! Autrement dit, lorsqu’interrogée par vos soins,
l’administration ne répond pas dans les délais, c’est qu’elle accepte votre
proposition. Youpi. Enfin, disons, dans certains cas. Bien précis. Très minoritaires (un tiers environ). Et le délais est de
deux mois. Enfin, normalement. Disons 4 mois. Ou 3. Ou 14 jours. Mais pas
toujours. Parfois. Pour certains trucs dont la liste, disponible en PDF, entraîne la prise d’un abonnement chez
Alka-Seltzer.
Ah ça,
pour sûr, la simplification administrative, quand elle arrive en ville, tout le monde change de
trottoir ça facilite grave le transit intestinal !
D’autant qu’elle s’est insinuée aussi
dans les tâches quotidiennes pour accélérer encore la productivité des
administrations à répondre aux attentes des assujettis et autres
citoyens-contribuables / petits patrons.
Vous
avez noté que les parents cherchent (parfois désespérément) des crèches pour
leurs bambins et la mairie, débordée (par la paperasserie ?) n’arrive
plus à suivre ? Qu’à cela ne tienne, vous décidez d’en ouvrir une.
Service local, création d’emploi, joie retrouvée des parents, bambins qui
trottinent gaiement, tout le monde est content. Heureusement, la
simplification administrative passe par là pour calmer un peu les ardeurs des
uns et des autres parce que tout ce bonheur citoyen du vivre-ensemble câlin
sans contrôle, c’est rapidement n’importe quoi. Quelques petites démarches
plus tard (avec moult Cerfas, miam miam), et l’aventure s’arrête.
Vous
avez une activité de pointe, dans un domaine extrêmement technique, qui
demande réactivité, précision, et compréhension de la part des
administrations ? Grâce à la simplification administrative, votre
cauchemar quotidien devient un délicieux enfer de tortures chinoises, et
voilà votre entreprise, de renommée internationale, qui se mange 1.000.000
d’euros par jour de retard, jours de retards que vous empilez avec la joie et la bonne humeur évidente lorsqu’on roule sur
l’or.
Comme
si on avait besoin de créer de l’emploi au pays du Lait et du Miel en
abondance. Pfft.
Oui, je
sais, ces exemples (parmi des milliers d’autres) tendent à prouver que la
simplification administrative a souvent poney, piscine, judo et cours de
guitare. Et l’Agence Française pour les Investissements Internationaux, dans
son « Tableau de bord de
l’attractivité de la France » pour 2014, note
pudiquement que la position de la France au sein des 14 pays de l’OCDE n’est
pas exactement la meilleure en terme de complexité administrative et de
pression fiscale, au point que cela pourrait créer un petit frein…
Mais
tout de même.
Est-ce
là une raison de rouspéter aussi ouvertement comme le font certains Français
et tout particulièrement ceux qui se prennent cette simplification administrative
de plein fouet, à savoir les petits patrons ? Est-ce bien nécessaire
de défiler dans la rue alors que la situation du pays s’améliore visiblement,
que les élus se battent tous les jours, à coups de lois, de décrets, de
règlements, de procédures, d’amendements et de petits alinéas pour simplifier
encore tout ça ? Est-il vraiment utile, les yeux déjà humides des larmes
d’une colère sourde qui monte lentement chez ceux que l’espoir abandonne, de
s’écrier – je cite :
« Nous
sommes obligés de descendre dans la rue, car nous ne sommes pas entendus.
Nous ne demandons pas d’argent au gouvernement, mais simplement d’abroger les
nouvelles mesures impossibles à mettre en œuvre comme la pénibilité, le temps
partiel 24h et l’information préalable des salariés en cas de cession. »
Quoi,
petits patrons, vous voulez qu’on abroge toutes ces belles idées, ces
magnifiques avancées, ce progrès social en shrink-wrapped et palettes
standardisées, au motif (qu’on sait fallacieux) qu’elle ne vous
simplifieraient pas assez la vie ? Mais enfin, ce n’est pas possible,
voyons !
La
simplification est en marche : ne restez pas sur son passage. Ou vous
serez écrasé.
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