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Quelle partie est en train de se jouer autour et au sein de la BCE ?
Mercredi dernier, une information non attribuée faisait état de la montée du
mécontentement au sein du conseil des gouverneurs. Avec comme intention
présumée, au prétexte de critiquer les méthodes de son président, d’encadrer
l’aggiornamento qu’il a annoncé à Jackson Hole cet été. Sans attendre, Mario
Draghi annonçait dès le lendemain que le conseil des gouverneurs avait pris
une décision « à l’unanimité », dans l’intention manifeste de
balayer la rumeur de la veille.
Son annonce était trop vite saluée et considérée (*) comme la démentant,
sans s’attarder sur une nuance essentielle : prévoir que les mesures prises
et à venir pourraient aboutir à l’injection de 1.000 milliards d’euros –
Mario Draghi employant le terme « expected », pour attendues –
n’est pas exactement la même chose que de s’en donner formellement l’objectif
! Relativisant encore la décision qui devrait y contribuer, en voici
d’ailleurs son énoncé précis : « confier aux services de la BCE et aux
comités concernés de l’Eurosystème la préparation en temps et en heure de
nouvelles mesures, au cas où elles s’avéreraient nécessaires ».
Il était simplement hors de question de laisser s’accréditer l’idée que la
banque centrale ne dispose plus du large consensus nécessaire à toute prise
de décision importante, en s’en contentant d’en prendre une qui ne mange pas
de pain. Car ni les mesures permettant d’atteindre une telle augmentation de
la taille du bilan de la BCE ni leur calendrier n’ont été de fait adoptés.
Or, c’est bien là toute la question ! La relance de la titrisation ainsi que
la nouvelle vague de prêts aux banques – désormais « conditionnés »
– ne feront le compte. Pas plus que d’éventuels achats d’obligations
d’entreprises, étant donné également la taille du marché, au dire des
connaisseurs. Ce qui laisse toujours entier le même lancinant problème de
l’achat des titres souverains…
Vendredi, au lendemain de la réunion du conseil des gouverneurs de la BCE,
une réunion des banquiers centraux était organisée à Paris par Christian
Noyer, le gouverneur de la Banque de France, occasion calculée de renforcer
la position de Mario Draghi. Venus des États-Unis, du Japon, du Royaume-Uni
et d’Inde, la plupart étaient là mais lui manquait à l’appel, comme si la
teneur appuyée des déclarations de Janet Yellen, ainsi que de Christine
Lagarde qui était invitée, était compromettante et susceptible d’expliquer
son absence. Appuyée par la directrice générale du FMI, la présidente de la
Fed a rappelé que « les banques centrales doivent être prêtes à utiliser
tous les outils en leur possession, y compris des politiques non-conventionnelles ».
Une déclaration qui rebondissait sur celle de l’OCDE de la veille, qui
appelait la BCE à « étendre son soutien monétaire au-delà des mesures
déjà annoncées », en précisant « cela devrait inclure un engagement
à acquérir un montant notable d’actifs jusqu’à ce que l’inflation revienne
sur de bons rails ». Mais de quels actifs s’agit-il donc ?
Les déclarations du Belge Luc Coene et du français Christian Noyer ont
suggéré l’intensité du débat interne à la BCE. Le premier a expliqué que
« il est indiqué de commencer à acheter des obligations d’État »,
tandis que le second estimait une telle mesure justifié « dans des
circonstances extrêmes », tous les deux brisant le tabou. La BCE court
après 1.000 milliards d’euros, comme Jean-Claude Juncker derrière les 300 milliards
d’euros de son plan d’investissement. Voilà ce qui arrive quand on cherche à
étourdir avec de grands chiffres : leur magie n’opère pas plus que celle des
mots. Mario Draghi n’est plus en mesure de rejouer l’épisode précédent,
lorsqu’il avait annoncé que la BCE ferait ce qu’il faut pour calmer le marché
obligataire sans mettre sa menace à exécution, et y être cependant parvenu.
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(*) Voir par exemple le titre de l’article du Monde accolé à une photo de
Mario Draghi hilare : « La BCE lâche 1.000 milliards pour la croissance
européenne ».
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