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Nous avons vu ce qui se passe
lorsque le gouvernement se mêle de vouloir fixer les prix au-dessus du
niveau auquel le marché libre les aurait amenés. Voyons
maintenant ce qui peut se produire si le Gouvernement les taxe au-dessous du
niveau normal.
Presque tous les gouvernements, de
nos jours, se livrent à cette dernière politique en temps de
guerre. Nous n'envisageons pas ici l'utilité de la fixation des prix
dans ce périodes anormales, les difficultés où un tel
sujet pourrait nous entraîner nous conduiraient trop loin de l'objet de
ce livre. L'économie tout entière tombe fatalement pendant la
guerre sous la direction de l'État [1].
Mais la politique de la fixation
des prix, qu'elle soit due à la guerre, qu'elle soit sage ou non, se
maintient dans presque tous les pays, durant de longues périodes, une
fois la guerre finie, alors que l'excuse initiale qu'on pouvait avoir en
l'instaurant a disparu.
Voyons d'abord ce qui se passe
quand l'État essaie de fixer le prix d'un produit, ou d'un ensemble de
produits, au-dessous de celui qu'il atteindrait sur un marché libre.
Quand il s'efforce de fixer le
prix maximum pour quelques denrées seulement, il choisit à
l'ordinaire des produits de base, affirmant qu'il y a un intérêt
capital à ce que les classes pauvres puissent les acquérir
à un « prix raisonnable ». Supposons que les
denrées choisies à cet effet soient le pain, le lait, la
viande.
La raison qu'on donne pour
maintenir un prix bas pour ces marchandises est à peu près
celle-ci. Si on laisse le prix du bœuf (par exemple) à la merci
du marché libre, la demande sera telle que le prix se fixera
très haut et seuls les riches pourront en acheter. Les gens se
procureront du bœuf, non pas en proportion du besoin qu'ils en ont, mais
à proportion de leur pouvoir d'achat. Tandis que, si nous établissons
d'autorité le prix à un taux plus bas, chacun pourra en obtenir
une quantité suffisante.
Remarquons tout d'abord, au sujet
de ce raisonnement, que s'il est juste, la politique adoptée en se
fondant sur lui est inconséquente et timorée. Car si c'est le
pouvoir d'achat, et non le besoin, qui règle la distribution du
bœuf au cours de 65 cents la livre sur un marché libre, il le
fixerait également, quoique sans doute à un degré
légèrement moindre, avec un prix de plafond légal de,
disons, 50 cents la livre. L'argument suivant lequel c'est le pouvoir
d'achat, plutôt que le besoin, qui commande la répartition d'une
denrée peut être soutenu aussi longtemps qu'on est obligé
de payer pour avoir du bœuf. Il n'aurait plus de raison d'être si
le bœuf était distribué pour rien. Mais les
systèmes de prix maximum taxés sont, en général,
des efforts faits « pour empêcher la vie de monter », si
bien que les protagonistes de ces mesures affirment inconsciemment que le
prix du marché libre est en quelque sorte normal ou
sacro-saint, au moment où leur contrôle commence. Ce prix
de départ est considéré comme raisonnable, tout autre
prix plus élevé comme déraisonnable, sans qu'on
s'inquiète de savoir si les conditions de l'offre ou de la demande ont
changé depuis que ce prix de départ s'était
établi sur le marché.
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Dans la discussion de ce
problème, il serait vain de prétendre qu'on peut établir
un contrôle sur les prix tel qu'il les obligerait à se fixer
constamment au niveau où, à chaque instant, les fixerait le marché
libre. Autant, alors, n'avoir pas de contrôle ! Nous sommes
obligés d'affirmer que le pouvoir d'achat du public est plus
élevé que la quantité de marchandises offerte sur le
marché, et que les prix sont maintenus par le contrôle au-dessous
du niveau où ils se placeraient si le marché restait libre.
Or, il est impossible de maintenir
le prix d'une denrée quelconque au-dessous de son prix de
marché sans qu'à un certain moment deux conséquences ne
s'ensuivent. La première est d'en accroître la demande. Si en effet
cette denrée baisse de prix, on aura à la fois plus de
tentation et plus de moyens d'en acheter davantage. La seconde est qu'alors
la dite denrée deviendra plus rare. Puisqu'on en achètera
davantage, on le verra disparaître des rayons des boutiques. Et de
plus, la production de cette denrée sera découragée. La
marge des profits en sera réduite ou même supprimée. Les
producteurs marginaux sont conduits à la faillite. Même les plus
habiles d'entre eux pourront se voir amenés à vendre leurs
marchandises à perte. C'est ce qui s'est produit pendant la guerre
lorsque l'Office des Prix fit appel aux abattoirs pour qu'ils mettent de la
viande sur le marché à un prix inférieur à ce que
valait le bétail sur pied, augmenté du coût de l'abattage
et des opérations accessoires.
Si nous nous en tenions là,
les conséquences de la fixation d'un prix maximum pour une
denrée donnée entraîneraient nécessairement la
raréfaction de cette denrée. Mais cela est exactement le
contraire de ce à quoi les gens du contrôle économique
prétendaient arriver. Car ce sont ces produits mêmes, choisis
par eux et dotés d'une taxe maximum, dont ils voulaient justement
assurer l'abondance. Mais tandis qu'ils fixent une limite aux salaires et aux
profits de ceux qui produisent ces denrées de base, tout en laissant
libres de toute contrainte les producteurs de produits de luxe ou de demi-luxe, ils découragent la production des
denrées tarifiées et ils stimulent celles des denrées
moins essentielles.
Quelques-unes de ces
conséquences deviennent, chacune en son temps, sensibles aux
dirigistes, et pour les écarter ils font appel à d'autres
modalités de contrôle, parmi lesquelles le rationnement, le
contrôle des prix de revient, la taxe à la production, les
indemnités et allocations ou la tarification générale
des prix. Examinons chacun de ces procédés.
Lorsqu'il devient évident
que la rareté d'un produit s'intensifie, par le fait que son prix a
été fixé au-dessous du cours normal, on accuse les
clients riches d'en prendre plus que leur juste part, ou s'il s'agit d'une
matière première industrielle, on accuse certaines firmes de la
stocker. A ce moment alors, les pouvoirs publics prennent une série de
mesures instituant des priorités d'achat, des allocations par catégories
d'usagers et par quantités, des rationnements. Si l'on adopte le
système généralisé du rationnement, chaque
consommateur n'aura droit qu'à un certain maximum de la denrée
rationnée, même s'il désire et peut en acheter davantage.
En bref, dans le système de
rationnement, l'État adopte le système du double prix ou un
système de double monnaie : chaque consommateur doit être nanti,
non seulement de monnaie ordinaire, mais aussi d'un certain nombre de points
ou coupons d'achats. Autrement dit, ce gouvernement essaie de faire, par le
moyen des coupons d'achats, une partie du travail que le marché libre
réaliserait par le seul jeu des prix. Je dis qu'il ne fait qu'une
partie du travail, car le rationnement ne parvient qu'à contracter la
demande, sans pour cela stimuler l'offre, ce qu'un prix plus
élevé ne manquerait pas de faire.
Le Gouvernement peut d'ailleurs
essayer d'agir sur l'offre en étendant son contrôle sur le
coût de la production d'une denrée donnée. Pour maintenir
le prix du bétail du bœuf, par exemple, à un cours très
bas, il lui est loisible de fixer le prix de gros du bœuf, le prix
à l'abattoir, le prix de la viande sur pied, celui de la nourriture du
bétail et les gages des garçons de ferme. Pour maintenir
au-dessous du cours normal le prix du lait livré à domicile, il
peut aussi essayer de fixer les salaires des conducteurs de camions laitiers,
le prix des bidons, celui du lait pris à la ferme et celui de la
nourriture du bétail. Pour maintenir le prix du pain, il peut fixer
les salaires des ouvriers boulangers, le cours de la farine, le tarif des
meuniers, le prix du blé et ainsi de suite.
Mais à mesure que le
gouvernement remonte ainsi à la source dans le contrôle des
prix, il multiplie par là même les conséquences qui
à l'origine l'ont conduit à adopter cette politique. A supposer
qu'il assume la responsabilité de fixer tous ces prix et qu'il ait
assez d'autorité pour faire respecter ses décisions, alors, en
même temps, il crée la raréfaction des différents
services et produits — tels que le travail, la nourriture du
bétail, le blé lui-même qui contribuent à la
production des denrées essentielles. Aussi le Gouvernement est-il
contraint d'étendre ses contrôles de prix à des cercles
de plus en plus étendus, et cela revient finalement au même que
s'il érigeait un contrôle des prix sur tout l'ensemble de
l'économie.
Le Gouvernement peut tenter de
parer à ces difficultés par l'octroi de subventions. Il
constate par exemple que lorsqu'il impose un prix plus bas que celui du
marché normal pour le lait ou pour le beurre, une pénurie de
ces produits peut s'ensuivre par le fait que les salaires et les profits dans
cette production sont devenus trop bas, comparés à ceux que
procure la production d'autres denrées. C'est pourquoi le Gouvernement
tente de compenser ces pertes en donnant une allocation aux producteurs de
lait ou de beurre. Sans parler des difficultés administratives
inhérentes à ce système, et en supposant que ces
allocations seront tout juste suffisantes pour assurer une relative
production de ces produits, il est évident que, bien que l'allocation
soit payée aux producteurs, ce sont les consommateurs qui en
réalité sont bénéficiaires de la subvention. Car
les producteurs ne perdent ni ne gagnent : ils ne reçoivent pas plus
pour leur lait ou leur beurre que s'ils étaient restés libres
de demander le prix du marché normal, tandis que les consommateurs
achètent leur lait et leur beurre à un prix bien
inférieur à celui du marché normal. Ils se trouvent
subventionnés pour la différence entre ces deux prix, ce qui a
lieu par le moyen des subsides versés, en apparence, aux producteurs.
Et alors, à moins que cette
denrée subventionnée ne soit elle-même aussi
rationnée, ce sont les clients doués du plus fort pouvoir
d'achat qui pourront en acquérir le plus. Ce qui signifie qu'ils recevront
une subvention plus grande que les économiquement faibles.
Quant à savoir qui, en fin
de compte, supportera la charge de ces subsides, cela dépend de
l'incidence des impôts. Les contribuables paieront pour se
subventionner en tant que consommateurs. Il est assez difficile dans ce
dédale de savoir qui paie et qui reçoit. Ce que l'on oublie
trop, c'est que ces allocations, il faut nécessairement que quelqu'un
les paye, car on n'a encore découvert aucune méthode qui
permettrait à une collectivité de recevoir quelque chose pour
rien.
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Il se peut que le contrôle
des prix puisse paraître réussir pendant un certain temps. Cela
arrive particulièrement en temps de guerre, lorsqu'il est soutenu par
le patriotisme et par la conscience qu'on a de l'état de crise. Mais
plus il dure, plus les difficultés de son application apparaissent.
Quand les prix sont maintenus artificiellement bas sous la pression du
gouvernement, c'est d'une manière chronique que la demande l'emporte
sur l'offre. Nous avons vu que si le gouvernement s'efforce de parer au
manque d'une denrée en réduisant le salaire, le prix des
matières premières et des autres facteurs qui constituent les
éléments de coût du produit, ces services et produits se
raréfieront à leur tour. Si le Gouvernement s'obstine dans
cette voie, non seulement il sera contraint d'étendre son
contrôle des prix de plus en plus loin « verticalement »,
mais il devra également étendre son contrôle sur les
prix, de plus en plus proche « horizontalement ». Si l'on rationne
une denrée, et qu'ainsi le public ne puisse se la procurer en
quantité suffisante, alors, en supposant qu'il lui reste du pouvoir
d'achat, il se retournera vers un succédané. Le rationnement
d'une denrée en voie de disparition exerce une pression de plus en
plus forte sur les denrées encore non rationnées. A supposer
que le gouvernement soit capable d'empêcher le marché noir, ou
du moins puisse l'empêcher de se développer au point de rendre
illusoires les prix égaux, il lui faudra de plus en plus
étendre son contrôle, et rationnement de plus en plus de
denrées. Ce rationnement ne saurait s'arrêter aux consommateurs
; il en fut ainsi en temps de guerre, car, en fait, il s'appliqua d'abord aux
matières premières, atteignant ainsi d'abord les producteurs.
Un contrôle des prix ainsi
étendu et minutieux, qui cherche à maintenir un tel niveau des
prix, s'oriente nécessairement, à un moment donné, vers
une économie entièrement dirigée. Il faudra empêcher
les salaires de monter aussi rigoureusement qu'on le fait pour les prix. Il
faudra rationner la main-d'œuvre aussi impitoyablement que les
matières premières. Si bien que le gouvernement aura, non
seulement à fixer à chaque consommateur le montant de sa
ration, mais il aura également à mesurer au fabricant le montant
de ses bons matières ainsi que le nombre de ses ouvriers. La
concurrence ne saurait pas plus être tolérée pour le
recrutement de la main-d'œuvre que pour l'achat des matières
premières. La conclusion de tout ceci est que l'économie se
pétrifie et devient totalitaire, chaque entreprise, chaque travailleur
salarié est à la merci du gouvernement et toutes les
libertés traditionnelles que nous avons connues s'évanouissent.
Alexandre Hamilton, il y a un siècle, écrivait dans le Fédéraliste
: « Tout pouvoir qui réglemente la vie matérielle de
l'homme s'empare du même coup de son âme. »
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Telles sont les
conséquences de ce qu'on pourrait décrire comme étant la
réglementation des prix la plus « perfectionnée »,
la plus « tenace » et la moins « politique » qui soit.
Après la seconde guerre mondiale, dans tous les pays, l'un
après l'autre, surtout en Europe, le marché noir atténua
quelques-unes des bourdes les plus monumentales dues aux bureaucrates.
Dans la plupart des pays d'Europe,
ce fut le sort commun de ne pouvoir trouver le minimum vital qu'en faisant
appel au marché noir. En certains pays, le marché noir subsista
en marge et aux dépens du marché légal jusqu'à ce
qu'il devienne, en fait, l'unique marché. Mais en maintenant, ne
fût-ce que pour la forme, les prix officiels, les pouvoirs du jour
essayaient de montrer que leur cœur était à la bonne
place, même si leurs brigades de contrôle n'y étaient pas.
Mais du fait que le marché
noir supplanta finalement le marché officiel, il n'en faut pas
conclure qu'il n'y ait pas eu de mal de fait. En réalité il y
eut dommage, tant économique que moral. Pendant la période de
transition les grandes firmes, depuis longtemps établies avec un
important capital et une clientèle fidèle, durent ralentir ou
cesser leur production. De petites entreprises, nées en une nuit,
dotées de très petits capitaux et de peu d'expérience,
prennent leur place avec moins d'efficience. Incapables de produire des
objets finis et à des prix bien étudiés comme le
faisaient leurs aînées, elles sortent des marchandises
grossières et de qualité peu loyale à un prix beaucoup
plus élevé. Il y a prime à la malhonnêteté.
Ces nouvelles firmes n'ont pu naître ou grandir que parce qu'elles
consentent à violer la loi ; leurs clients conspirent avec elles, et naturellement
les procédés malhonnêtes se généralisent,
la démoralisation s'étend sur toute la vie commerciale.
Au surplus, il est rare que les
autorités chargées du contrôle des prix aient fait tous
les efforts nécessaires pour maintenir le niveau des prix au taux qui
existait quand on a commencé la taxation. Elles proclament qu'elles
entendent maintenir le niveau des prix. Toutefois, très vite, et sous
prétexte de corriger des inégalités ou des injustices
sociales, on se met à établir des distinctions dans la
méthode de taxation des prix, de telles sorte que les groupes
politiquement puissants se voient avantagés au détriment des
autres. Comme, de nos jours, le pouvoir politique d'un groupe se mesure au
nombre des votes, ce sont surtout les ouvriers et les cultivateurs qui
connaissent la faveur gouvernementale.
Au début, on affirme que
les salaires n'ont rien à voir avec les prix, qu'on peut facilement
faire monter les salaires sans toucher aux prix. Mais quand il devient
évident que les salaires ne sont réellement augmentés
qu'aux dépens du profit, les bureaucrates commencent alors à
argumenter et à prouver que, en tout état de cause, les
bénéfices étaient exagérés, et que même
si on augmente les salaires tout en contenant les prix, les
bénéfices seront encore très « convenables
». Comme en réalité il n'existe rien de tel qu'un taux de
bénéfices uniforme, comme ce taux varie dans chaque cas, cette
politique aboutit finalement à mettre hors de jeu les entreprises qui
réalisaient le plus faible taux de profit, et à
décourager ou à arrêter complètement la
fabrication de certains produits. Ce qui se traduit par du chômage, un
arrêt dans la production et une baisse généralisée
du niveau de vie de tous.
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Quelles sont donc les raisons
profondes qui incitent les pouvoirs publics à fixer des prix maximum ?
Tout d'abord, c'est qu'ils ne comprennent pas pourquoi les prix ont
été amenés à monter. Or la cause véritable
est, soit la rareté des marchandises, soit une inflation de monnaie.
Et ce n'est point par une taxation légale que l'on pourra modifier ces
causes. En fait, comme nous venons de le voir, cela contribue tout simplement
à raréfier encore la marchandise. Quant aux dispositions
à prendre pour l'inflation de monnaie, nous les étudierons au
chapitre suivant. Mais l'une des erreurs qui se cache derrière le
contrôle des prix est le sujet même de ce livre. De même,
en effet, que les plans sans cesse remis sur le chantier pour faire monter
les prix de certaines denrées prouvent que l'on ne pense qu'aux
intérêts de certains producteurs, oubliant totalement ceux des
consommateurs, de même, lorsqu'on édicte le maintien des prix
bas, on ne pense qu'aux consommateurs, oubliant tout à fait que ces
mêmes consommateurs peuvent être aussi des producteurs. Et
l'appui politique qu'obtiennent ces systèmes provient d'une même
confusion dans les esprits. Le public ne veut pas débourser plus que
le prix auquel il est habitué pour le lait, le beurre, les chaussures,
les meubles, l'impôt, les billets de théâtre ou les
diamants. Lorsque l'une quelconque de ces choses augmente, il s'indigne et
pense qu'on l'a trompé. Chacun n'admet d'exception que pour les
marchandises dont il est lui-même producteur. Alors il comprend et il
explique pourquoi le prix de telle denrée a monté. Mais il est
toujours porté à croire que son propre travail forme, en
quelque manière, une sphère d'exception. « Voyez-vous,
dit-il, mon travail est particulier et le public ne peut pas comprendre cela.
Les salaires ont monté, les matières premières
coûtent plus cher ; on ne peut plus importer tel ou tel produit et il
faut le faire faire ici, ce qui augmente le prix de revient. Et puis, on
demande de plus en plus cet article, il est donc raisonnable de laisser
monter son prix afin d'en développer la fabrication et satisfaire
ainsi la demande ». Et ainsi de suite. Chacun de nous, comme
consommateur, achète une centaine de produits variés. Comme
producteur, il n'en fabrique généralement qu'un. Il
s'aperçoit de l'injustice qu'il y aurait à maintenir
inchangé le prix de ce produit-là. De même chaque
fabricant demande qu'on élève le prix de son produit, de
même chaque salarié désire que ce soit son salaire
à lui qui soit relevé. Chacun individuellement ne manque pas de
constater que le contrôle des prix réduit la production dans son
domaine particulier, mais personne ne consent à
généraliser cette observation, car cela signifierait qu'il lui
faudrait acheter plus cher tous les produits des autres.
Chacun de nous, en
réalité, se compose d'une personnalité économique
multiple. Chacun de nous est producteur, consommateur et payeur
d'impôts. Et la politique qu'il préconise varie selon l'aspect
de soi-même qu'il considère au moment où il la
prône. Car il est tour à tour le Dr. Jekill
ou Mr. Hyde. En tant que producteur, il souhaite l'inflation (en pensant
surtout à son propre produit), en tant que consommateur, il veut un
plafond aux prix (car il pense surtout aux produits des autres qu'il lui faut
acheter). Comme consommateur, il se fera l'avocat des allocations ou simplement
y consentira, et comme payeur d'impôt, il renâclera à les
payer. Chacun, finalement, pense qu'il pourra utiliser les combinaisons
politiques, de manière qu'il gagne plus, avec la subvention, qu'il ne
perdra par l'impôt ; ou bien qu'il tirera un bénéfice de
la montée du prix de son produit (dès lors que les prix d'achat
des matières premières nécessaires à sa
fabrication sont maintenus artificiellement au-dessous des cours), en
même temps qu'il gagnera comme consommateur grâce au
contrôle des prix.
Mais l'ensemble de la
communauté se dupe elle-même. car non seulement cette politique
de manipulation des prix égalise à peine la perte avec le gain,
mais dans l'ensemble, la perte l'emporte de beaucoup sur le gain, parce que
le contrôle des prix décourage et désorganise la
main-d'œuvre comme la production.
Note
[1]
Ma propre conclusion, cependant, est que, même si certaines
priorités, allocations ou rationnements de la part du gouvernement
sont peut-être inévitables, le contrôle des prix par le
gouvernement est probablement particulièrement néfaste
en situation de guerre totale. Alors que le contrôle par fixation d'un
prix maximum implique le rationnement pour marcher, même
temporairement, le contraire n'est pas vrai (Note de l'édition de
1979, traduite par Hervé de Quengo).
Remerciements :
Hervé de Quengo, et traduction par Mme Gaëtan Pirou
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