L’école autrichienne
d’économie a développé un concept appelé « crack-up boom », qui
correspond au moment où un grand nombre d’individus réalisent que leur
gouvernement tente activement de dévaluer sa devise.
Les consommateurs y
répondent en devançant les actions du gouvernement, ce que l’on appelle le
front-running, en dépensant immédiatement leur salaire afin de transformer
leur monnaie qui ne vaudra bientôt plus rien en biens palpables. Les
marchands, qui ne sont pas satisfaits par cet afflux soudain de devises
suspectes (et qui ressentent la panique de leurs clients) font grimper leurs
prix, faisant ainsi gonfler l’inflation. Une inflation très spéciale,
influencée non pas par une hausse de la masse monétaire, mais par
l’effondrement de la confiance des propriétaires de devises.
Dans sa version
condensée, la théorie veut que l’offre de biens disponibles à l’achat
diminue, que les prix entrent en hyperinflation, et que l’économie
s’effondre.
Bienvenue en
Grèce :
Greeks spend in droves, afraid of
losing savings to a bailout
(CNBC) –
Les affaires vont à vive allure dans le magasin de produits électroménagers
Kotsovolos, situé dans un quartier de classe moyenne supérieure d’Athènes.
Nous pourrions presque croire que les soldes ont commencé.
Mais ce n’est pas le
cas. Il s’agit simplement d’une panique d’achats. De plus en plus inquiets
face à l’avenir économique de leur pays et incapables de retirer tout
l’argent qu’ils voudraient des banques, les Grecs utilisent leurs cartes de
crédit pour acheter des fours, des frigidaires, des lave-vaisselle –
n’importe quel produit tangible susceptible de maintenir sa valeur en période
de troubles.
« Nous avons beaucoup
vendu », explique Despina Drisi, qui travaille dans le magasin depuis
douze ans. « Nous avons même vendu les modèles d’exposition. Les gens
m’ont littéralement tiré sur les manches ».
Aux yeux de
l’observateur occasionnel, rien ne semble avoir changé. Les Grecs, dont
beaucoup ont il y a longtemps échangé leur voiture pour un scooter, bouchent
les routes aux heures de pointe pour se rendre au travail ou rentrer chez
eux. Les touristes peuplent l’Acropole. Des amis se rencontrent, se saluent
et s’installent en terrasse, de préférence sous l’ombre d’un arbre pour se
protéger de la chaleur.
Mais sous la surface,
les Grecs luttent contre la peur qui les prend au ventre, face aux étranges
ramifications nées de la fermeture des banques, et face à une situation qui
pourrait devenir bien pire encore. Ils pourraient faire face aux conséquences
inconnues d’une sortie forcée de l’Union européenne aussi tôt que la semaine
prochaine si la Grèce et ses créditeurs ne parvenaient pas à se mettre
d’accord.
Certains ont les yeux
rivés sur l’écran de leur télévision ou de leur smartphone. D’autres refusent
de suivre ce qui se passe à Bruxelles. Quoi qu’il en soit, la plupart des
Grecs font ce qu’ils peuvent pour se protéger financièrement. Ils achètent
des appareils ménagers et des bijoux, ou paient leurs impôts en avance pour
être certains d’avoir rempli leur obligation financière dans l’éventualité
d’une réduction de leur épargne ou d’un effondrement bancaire, comme l’ont
vécu les citoyens de Chypre en 2013.
« Le terme panique
ne suffit pas à décrire comment se sentent les gens », explique Antonis
Mouzakis, un comptable installé à Athènes. « J’ai un grand nombre de
clients qui cherchent à compléter leur déclaration fiscale tout de suite,
avant une possible saisie de leurs fonds. Même s’ils doivent payer 40 à
50.000 euros d’impôts, ils règlent tout en une fois. »
George Papalexis, un
bijoutier grec, a expliqué avoir reçu un client mercredi qui cherchait à
acheter 1 million d’euros de marchandises. Mais M. Papalexis, directeur de
Zolotas, a refusé sa demande, parce qu’il préfère lui-même posséder des
bijoux que de l’argent dans des banques grecques.
« Je n’arrive pas à
croire que j’ai refusé une offre d’un million d’euros, a-t-il dit. Mais je
n’avais pas le choix. Voilà à quel point le risque est grand. »
M. Mouzakis a expliqué
que de nombreuses sociétés tentent également de rembourser leurs dettes le
plus vite possible, afin de ne pas se retrouver endettées si leurs dépôts
étaient frappés par un plan de sauvetage de banques grecques. D’autres
refusent d’accepter des paiements pour les mêmes raisons. Quand les banques
chypriotes ont été refinancées en 2013, les déposants propriétaires de plus
de 100.000 euros ont perdu 40% de leur argent.
Un contracteur de
société énergétique, qui a demandé à rester anonyme, a expliqué que sa firme
a payé la semaine dernière l’intégralité de ses impôts pour l’année, afin de
réduire les fonds susceptibles d’être sujet d’une taxe sur les dépôts.
« Je pense même à
m’acheter une voiture, même si je n’en ai pas besoin, juste pour réduire mes
fonds, a-t-il dit. Les gens cherchent à placer leur argent sur des actifs
physiques, et plus en banque. »
Même ceux qui n’ont que
peu de chances de perdre une partie de leurs dépôts dépensent leur argent.
Vassilis Bekiaris, âgé de 29 ans, a dit connaître deux frères qui, de peur de
voir disparaître leur épargne, se sont lancés dans une véritable folie
d’achats. Celui qui n’avait que 1.000 euros sur son compte a acheté un
iPhone. L’autre avait 10.000 euros, mais de peur de perdre 20% de son argent,
a acheté pour 2.000 euros de vêtements. « Tout ce qu’ils ont fait, c’est
soutenir un peu l’économie », a ajouté M. Bekiaris.
Alors que les retraités
et ceux qui avaient le plus besoin de liquide faisaient face à de grandes
difficultés, certains employés qui n’avaient pas encore reçu leur chèque ont
eu la bonne surprise de voir leurs employeur piocher directement dans les
coffres pour les payer en liquide plutôt que de risquer une saisie en passant
par les banques.
Un certain nombre de
sociétés, préparées à une fermeture de banques, ont payé leurs employés en
liquide. Le groupe familial Petsas, qui fabrique toute une série de produits
depuis le biodiesel jusqu’à des vêtements en coton, a versé le salaire de ses
130 salariés en liquide.
Quand les Grecs commencent
à prépayer leurs impôts, c’est que la fin est proche.
Mais observé au travers
de lunettes keynésiennes plutôt qu’autrichiennes, ce processus semble plutôt
positif. Un peu comme un programme de stimulus hautement efficace. Les Grecs
semblent avoir découvert comment convaincre un peuple surendetté de continuer
d’emprunter et de dépenser : mentionnez la destruction de leur épargne,
et regardez les petites gens consommer.
A une heure où anciennes
comme nouvelles théories économiques sont mises à l’épreuve chaque semaine,
la Grèce est peut-être le laboratoire le plus intéressant de tous. Si cette
flambée soudaine de la consommation donnait lieu à un renouveau de la
« croissance » ainsi qu’à un « rééquilibrage du budget »,
ne soyez pas surpris de voir les dirigeants de la zone euro, du Japon et
peut-être même des Etats-Unis en arriver à la conclusion logique que, loin
d’avoir échoué, l’Allemagne a contribué à la renaissance de la Grèce.
Peut-être le reste du monde annoncera-t-il ensuite de nouveaux contrôles de
capitaux et bail-ins pour forcer leurs citoyens hors de leur canapé et dans
les rayons des magasins.
En y repensant, c’est
peut-être exactement là l’objectif de la guerre contre
l'argent liquide.