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Comme
on le voit depuis que Maxime Bernier a relancé le débat il y a
quelques jours, il semble bien difficile, pour ceux qui ne partagent pas la
philosophie libertarienne, de comprendre comment on
peut envisager d'éliminer ou même d'assouplir les restrictions
linguistiques prescrites par la Charte québécoise de la
langue française, ou Loi 101.
Leur
réaction immédiate est de conclure que le français
disparaîtra inévitablement. Et puisque nous préconisons
la disparition du français, nous sommes donc des traîtres
à la nation, des anglophiles, des colonisés, des semi-assimilés,
des vendus, ou au mieux des gens qui ignorent l'histoire et la situation
réelle du français à Montréal.
Pour ceux qui sont prêts à aller un peu plus loin dans l'analyse
(même s'ils ne sont pas de prime abord d'accord avec nous), il y
pourtant a une façon simple de comprendre les enjeux de ce
débat dans une perspective libertarienne: en
utilisant deux concepts simples que tout le monde comprend, soit la carotte
et le bâton.
Les avantages de l’anglais
La plupart des francophones qui ont exprimé leur
appui à Maxime Bernier, dans les commentaires sur son blogue ou
ailleurs, l'ont fait pour une raison bien précise: ils
déplorent qu'eux-mêmes ou leurs enfants n'aient pu faire au
moins une partie de leurs études dans une école anglaise ou
bilingue, ce qui leur aurait permis de vraiment maîtriser cette langue.
Même certains parmi ceux qui l'ont dénoncé
concèdent que les jeunes francophones sont défavorisés
parce qu'ils ne peuvent apprendre l'anglais correctement à un jeune
âge, alors que les enfants anglophones peuvent aller à
l'école française et devenir parfaitement bilingues.
Selon un sondage paru
l'an dernier, 61% des Québécois francophones souhaiteraient
avoir ce choix de la langue d'enseignement.
On comprend spontanément la raison de cette préoccupation:
c'est parce que la maîtrise de l'anglais est la clé de
l'avancement professionnel dans de nombreux domaines d'activités.
C'est aussi la seule façon d'accéder directement à la
culture populaire dominante dans le monde occidental, à l'essentiel de
la recherche scientifique internationale, de se faire comprendre partout en voyage,
etc. En bref, la « carotte », ou l'incitation positive à
apprendre l'anglais, est très grosse et appétissante.
Accorderait-on autant d'importance à la maîtrise de cette langue
si elle ne comportait qu'un avantage économique et autre marginal?
Évidemment pas. Les gens sont prêts à investir dans
l'apprentissage d'une langue uniquement si le rendement attendu en vaut la
peine. Ainsi, alors que l'avantage de connaître le mandarin est minime
aujourd'hui quand on vit au Québec, certains sont déjà
prêts à investir dans cette langue parce qu'ils
perçoivent qu'ils pourront en retirer un jour de gros
bénéfices, compte tenu de la croissance rapide de
l'économie chinoise et de l'influence grandissante de cette culture.
C'est justement parce qu'ils comprennent la force d'attraction de l'anglais
que les nationalistes veulent mettre des barrières à l'attrait
de cette carotte. La carotte française ne pouvant concurrencer dans
l'absolu avec la carotte anglaise, ils croient que la seule façon
d'assurer la survie du français est de recourir au bâton.
Selon ce point de vue, il est donc nécessaire d'empêcher les
francophones et les immigrants de trop bien apprendre l'anglais en allant
à l'école primaire ou secondaire anglaise à un jeune
âge, puisque ce serait un premier pas vers l'assimilation. Le Parti
Québécois propose d'aller encore plus loin en fermant aussi la
porte des cégeps anglais à ces enfants. La solution du PQ,
c'est qu'il faut manier un bâton encore plus gros pour imposer le
français.
Et l'on sait que pour les nationalistes les plus fanatiques, le bâton
devrait même s'abattre sur la tête de la minorité, dans le
but avoué ou non de carrément la faire
disparaître du Québec. Dans leur monde idéal, il ne
devrait plus y avoir d'institutions d'éducation ou de santé
fonctionnant en anglais au Québec. Le « droit collectif »
présumé de la majorité à imposer sa langue doit
primer sur toute autre considération.
Derrière le vernis de sophistication intellectuelle et culturelle
qu'ils peuvent exhiber, les nationalistes linguistiques ont encore des
réflexes de brutes du Paléolithique qui manient le gourdin.
Recourir à la violence pour imposer la volonté de la
majorité ou du plus fort à des citoyens pacifiques qui font des
choix différents dans leur vie privé est un signe de barbarie.
C'est cette façon de penser qui est responsable des guerres ethniques,
de religion, des persécutions de toutes sortes. Ce n'est pas parce que
nos nationalistes ont la décence de ne pas préconiser
l'expulsion ou l'extermination physique des anglophones qu'ils sont pour
autant civilisés.
On impose nécessairement ces restrictions linguistiques par la force;
si quelqu'un refuse de s'y conformer et tente de les contourner, il recevra
éventuellement une amende, une poursuite, sa propriété
sera saisie, il se retrouvera en prison. C'est la violence ou la menace de
violence qui maintient ce système en place.
La philosophie libertarienne découle
entièrement du principe de non-agression: on ne peut recourir à
la force que pour se défendre contre une agression. Pour les libertariens, utiliser le bâton pour imposer ses
désirs aux autres dans un domaine comme celui de la langue est
immoral. Ce n'est pas une question de bien connaître l'histoire ou la
situation du français à Montréal. Qu'on les connaisse ou
non, c'est immoral, point à la ligne.
Atteindre
les mêmes objectifs autrement
Cela dit, même ceux qui refusent de tirer les
conclusions logiques du principe de non-agression, et donc de rejeter
catégoriquement le recours au bâton pour atteindre des objectifs
sociaux ou culturels, comprendront que la carotte peut elle aussi servir de
moyen pour atteindre des objectifs similaires.
Pour cela, il faut toutefois aller au-delà de sa réaction
immédiate (« le français va disparaître devant la
force d'attraction de l'anglais ») et envisager la solution libertarienne de façon plus globale.
Mettez-vous à la place d'une famille
d'immigrants non francophones à Montréal. Dans la
majorité des cas, ils ont quitté leur pays et sont venus chez
nous pour avoir plus de possibilités de prospérer et de s'épanouir
librement. Ils ont certaines obligations, comme envoyer leurs enfants
à l'école française, mais doivent tout de même
faire différents choix dans leur vie privée et professionnelle
pour ce qui est d'investir dans l'apprentissage du français et de l'anglais.
Plusieurs d'entre eux choisissent de privilégier le français ou
les deux langues également. Il est évident qu'on a plus de
chances de prospérer et de s'épanouir, à tous
égards, si l'on connaît aussi le français lorsqu'on vit
au Québec, y compris à Montréal, où la
majorité de la population est francophone.
Toutefois, on constate que même en tenant compte de cet avantage, et
même avec l'obligation d'aller à l'école
française, beaucoup d'immigrants se détournent du
français dès qu'ils en ont la possibilité. Ils
choisissent le cégep et l'université en anglais et
préfèrent vivre et travailler dans cette langue.
Est-ce si surprenant? Le Québec est l'un des endroits les plus
taxés, réglementés et endettés en Amérique
du Nord. Nous sommes l'une des populations les plus vieillissantes dans le
monde. Nous avons proportionnellement moins d'entrepreneurs et moins
d'investissements privés qu'ailleurs au Canada. Tout ce qui bouge au
Québec semble avoir besoin d'une béquille étatique, que
ce soit des subventions ou des protections quelconques. Les nationalistes sont
constamment en train de lancer des cris d'alarme pour nous mettre en garde
contre notre disparition prochaine.
La carotte française est loin d'être bien appétissante.
Elle l'est d'autant moins que beaucoup de gens rejettent instinctivement ce
qu'on tente de leur imposer à coups de bâton, même s'ils
pourraient en voir l'intérêt autrement.
Dans un tel contexte, il n'est pas si surprenant qu'une partie des immigrants
ne voient pas clairement l'avantage d'apprendre et d'utiliser le
français. Nombre d'entre eux ont, de toute façon, le projet
d'aller s'établir ailleurs au Canada plus tard. Pourquoi investir dans
une langue, le français, qui ne rapportera pas grand-chose?
Si l'on se contentait d'abolir la Loi 101 puis d'observer ce qui
arrive, il est fort possible en effet qu'avec les taux actuels d'immigration
(un débat connexe mais qui déborde le cadre de cet article),
l'anglais finirait par prendre le dessus à Montréal, puis
graduellement dans le reste du Québec. Le français deviendrait
une langue folklorique et survivrait pendant quelques
générations dans une société en déclin.
La
solution libertarienne
Ce n'est évidemment pas cela, la solution libertarienne.
Imaginez plutôt un Québec plus libre (y compris un
système d'éducation libéralisé où l'on peut
choisir la ou les langues d'enseignement), avec une fiscalité, une
bureaucratie et un endettement beaucoup moins lourds, des entrepreneurs plus
nombreux, une population mieux éduquée (y compris sur le plan
de la maîtrise de l'anglais et des autres langues), bref, une
économie plus dynamique à tous égards. Une
société où l'on a confiance en soi et en sa
capacité de concurrencer les autres. Une société
où l'on est responsable et l'on se prend en main pour réaliser
des choses au lieu de constamment se tourner vers l'État. Une
société où l'on cherche à attirer les gens vers
nous au lieu de leur donner le choix entre se conformer et aller voir
ailleurs.
Le calcul de notre famille d'immigrants serait sûrement
différent. L'anglais restera bien sûr toujours un important
atout de plus, mais on aurait augmenté significativement l'attrait du
français comme outil d'avancement personnel. Même sans
obligation d'aller à l'école française, il est probable
qu'un grand nombre d'immigrants choisiraient d'envoyer leurs enfants dans des
écoles entièrement bilingues, ou dans des écoles offrant
à tout le moins un enseignement beaucoup plus poussé de l'autre
langue.
On aurait de plus éliminé le sentiment de rejet que plusieurs
de nos concitoyens anglophones ressentent envers une langue qui leur est
imposée alors que la leur est officiellement réprimée.
Le français serait vu comme un atout incontournable dans une
société dynamique, libre et tolérante, et non comme une
relique qu'on tente de maintenir en vie de force dans une société
en déclin.
Si, 35 ans après l'adoption de la Loi 101, on a encore
l'impression que le français reste menacé de disparition au
Québec, c'est peut-être parce qu'on s'y est pris de la mauvaise
façon. La méthode du bâton brime les droits de tout le monde,
francophones comme non-francophones. Elle n'est pas non plus efficace. C'est
une méthode de barbares, celle d'une société
irrémédiablement sur son déclin.
Nous avons le choix entre continuer à vivoter et à
décliner avec cette méthode, ou en essayer une autre, celle de
la carotte. Pour qu'elle fonctionne, il faudrait l'appliquer
intégralement, non seulement en remettant en question la Loi 101,
mais en rejetant globalement cet étatisme étouffant dans tous
les domaines qui est la véritable cause du déclin du
Québec. Cette méthode ne garantirait certes pas elle non plus
à 100% la survie et l'épanouissement du français, mais
elle ferait au moins de nous des gens plus libres, plus prospères et
plus civilisés.
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