« …les gens pensaient que tout ne pourrait toujours plus qu’aller bien.
Il y avait dans l’air un vent d’optimisme qu’on ne pourrait pas décrire
aujourd’hui. »
« Il y avait un espoir ambiant. Les Etats-Unis s’étaient
extirpés de la première guerre mondiale avec leur économie intacte. Ils
étaient le pays le plus puissant du monde. Leur dollar était roi. Ils avaient
eu un président très populaire au milieu de la décennie, Calvin Coolidge, et
en ont eu un plus populaire encore en 1928, Herbert Hoover. Tout semblait
aller pour le mieux. »
« L’économie traversait de grands changements dans
cette nouvelle Amérique. Nous étions à l’aube de la révolution de la
consommation. Nouvelles inventions, production de masse, usines qui
produisaient de merveilleux appareils comme des radios, des climatisations,
des déodorants… L’une des inventions les plus fabuleuses de l’époque a été le
crédit à la consommation. Avant 1920, le travailleur moyen ne pouvait pas
emprunter d’argent. En 1929, ‘acheter maintenant pour payer plus tard’ était
devenu un véritable mode de vie. »
« Wall Street s’est vu attribuer tout le mérite de
cette prospérité, et Wall Street était alors dominée par un petit groupe d’individus
fortunés. Très rarement, au fil de l’Histoire de cette nation, autant de
pouvoir avait été concentré entre les mains de si peu. »
« L’une des tactiques les plus communes était de
manipuler le prix d’une action particulière, comme celle de Radio Corporation
of America. De riches investisseurs mettaient leur argent en commun en secret
pour acheter une action, en faire gonfler le prix, puis vendre à un public
qui ne se doutait de rien. Dans les années 1920, une majorité des actions
étaient manipulées par les insiders. »
« Je dirais que pratiquement tous les journaux
financiers étaient dans le coup. Cela inclue les journalistes du Wall Street
Journal, du New York Times, du Herald Tribune, et de tous les autres. Si vous
étiez un gestionnaire de fonds communs, vous pouviez appeler votre ami du
Times et lui dire, ‘Ecoute, Charlie, j’ai une enveloppe qui t’attend ici, je
pense que tu devrais écrire quelque chose de favorable sur RCS’. Et Charlie ne
manquait pas de le faire. Un publiciste du nom d’A. Newton Plummer a annulé des
chèques envoyés aux plus gros journalistes de New York City. Les journalistes
se sont mis à, comment disait-on ? A dépeindre un portrait positif de
nombreuses actions. Ils s’entendaient entre eux, et publiaient des éloges des
actions RCA et des autres. Et les gens disaient ‘On dirait que beaucoup de
gens s’intéressent à RCA’. Et ils se joignaient au rang des acheteurs. Les
actions sont passées de 10 à 15 à 20. Et c’est là que les gens ont acheté. D’autres
ont acheté à 30, à 40. Mais le groupe original, le fonds commun, avait déjà
cessé d’acheter. C’est lui qui vendait désormais. Les actions ont atteint 50.
Les gros investisseurs sont tous sortis. Et les actions se sont effondrées. »
« Les fonds communs étaient un peu comme un jeu de
chaises musicales. Quand la musique s’arrêtait, ceux qui avaient encore des
actions souffraient. Si les petits investisseurs souffraient, il ne leur
fallait pas longtemps avant de revenir à la charge. Ils savaient que le jeu
était truqué, mais peut-être que la prochaine fois, ils pourraient déjouer le
système. Wall Street avait ses critiques, parmi lesquels figurait l’économiste
Roger Babson. Il a remis le boom en question et a été accusé de manquer de
patriotisme, de vendre l’Amérique à découvert. »
« Roger Babson nous a mis en garde contre la
spéculation, il nous a dit ‘Il va y avoir un effondrement, et les
conséquences en seront terribles’. Et les gens se sont jetés sur lui, ils s’en
sont pris à lui à tel point que ceux qui craignaient pour leur réputation et
ne souhaitaient pas s’attirer de calomnies ont choisi de se taire. »
« Les politiciens allaient et venaient, mais dans les années
20, les hommes d’affaires étaient rois. »
« Parce que tout le monde cherchait à emprunter de l’argent
pour couvrir le déclin de la valeur de ses actions, il y a eu une pénurie de
crédit. Les taux d’intérêt ont flambé. A 20%, très peu de gens pouvaient se
permettre d’emprunter davantage. Le boom était sur le point de s’effondrer
comme un château de cartes. »
« …la National City Bank a immédiatement fourni 25
millions de dollars de crédit, et la crise du crédit a pu être évitée. Au
cours des 24 heures qui ont suivi, les intérêts sont passés de 20 à 8% et la
panique a pris fin. Et puis, en mars 1929… »
« Tout n’allait pas pour le mieux dans l’économie
américaine. Les signes de troubles étaient nombreux. La production d’acier
était en déclin. L’industrie de la construction tournait au ralenti. Les
ventes de voitures avaient plongé. Les consommateurs se faisaient rares. Tout
ça à cause du crédit facile, parce que les gens étaient lourdement endettés. Des
pans entiers de la population avaient été appauvris. »
« De la même manière que Wall Street avait mis en
évidence une croissance soutenue de l’économie tout au long des années 20, le
marché devait désormais refléter un ralentissement économique. Mais il a
atteint des sommets. Les prix des actions n’avaient plus rien à voir avec les
profits des entreprises, l’économie, ou quoi que ce soit d’autre. Le boom
spéculatif enregistrait son propre élan de croissance. »
« Nous avons assisté à une illusion de masse. Les prix
grimpaient, les gens achetaient. Les prix grimpaient encore plus, et de plus
en plus de gens arrivaient. Finalement, le processus se perpétuait de lui-même.
Chaque hausse attirait plus de gens, convaincus de leur droit divin de
devenir riches. »
« Les années 20 ont été une décennie de combines d’enrichissement
éclair. Trois ans plus tôt, tout le monde achetait une maison en Floride. A
mesure que les prix des terres flambaient, de plus en plus de gens
achetaient, dans l’espoir de faire rentrer de l’argent. Et puis du jour au
lendemain, le boom a pris fin et les investisseurs ont tout perdu. »
« Le 5 septembre, l’économiste Roger Babson a donné un
discours devant un groupe d’investisseurs. ‘Tôt ou tard, un effondrement se
produira qui aura de terribles conséquences’. Voilà deux ans qu’il répétait
la même chose. Mais ce jour-là, les investisseurs l’ont écouté. Le marché a
piqué du nez. On a parlé de Babson Break. Le lendemain, les prix se sont
stabilisés, mais quelques jours plus tard, ils ont recommencé à baisser. Les
investisseurs ne pouvaient pas le savoir, mais l’effondrement avait déjà
commencé. »
« …le marché a enregistré de grosses fluctuations à la
hausse et à la baisse. Le 12 septembre, les prix ont perdu 10%. Ils ont de
nouveau plongé le 20. Les marchés boursiers du monde étaient tous en baisse.
Le 25 septembre, le marché est soudainement remonté. »
« Reuben L. Cain, vendeur d’actions, 1929 : Je me souviens
m’être demandé ‘Mais pourquoi est-ce que le marché fait ça ?’, et puis
je me suis dit ‘Je suis nouveau ici, et ces gens…’ Tous les jours dans les
journaux, Charlie Mitchell avait quelque chose à dire, les gens de chez JP
Morgan avaient quelque chose à dire. Et je me suis dit ‘Ils en savent
beaucoup plus que moi. Je suis nouveau ici et je ne comprends pas pourquoi le
marché est en hausse’. Et puis ils disent que le marché ne peut pas baisser,
et que s’il le fait, il remontera demain. Et alors vous vous dîtes ‘Peut-être
sont-ils vraiment comme des Dieux. Ils savent tout sur tout, et tout se
passera comme ils le disent’. »
« Alors que le marché commençait à s’effondrer, les
leaders financiers étaient plus optimistes que jamais. Cinq jours avant le
krach, Thomas Lamont, directeur de la très conservative Morgan Bank, a écrit
au président Hoover. ‘L’avenir s’annonce brillant. Nos titres sont les plus
désirables du monde’. »
« Tous les chefs d’entreprise et les banquiers des
Etats-Unis ne cessaient en 1929 de faire l’éloge de l’économie et de dire que
tout ne pouvait plus que grimper. »
« Est ensuite venu le mercredi 23 octobre. Le marché s’est
montré un peu tremblant, faible. Impossible de dire si la cause en a été une
légère vague de pessimisme. Beaucoup se sont dit que le temps était venu de
sortir. Le jeudi 24 octobre – le premier jeudi noir – le marché, dès le
matin, a enregistré un terrible déclin. Le marché a ouvert en chute libre, et
certains n’ont même pas pu trouver d’acheteurs pour leurs actions. La panique
était totale. Et puis une foule s’est réunie devant la bourse, à faire des
bruits étranges et menaçants. C’était de loin la pire journée qu’on avait
encore traversée. »
« Il y a eu une lueur d’espoir le premier jeudi noir. A
environ 12h30, une annonce a été faite. Un groupe de banquiers rendraient
disponible des sommes substantielles pour apaiser le manque de crédit et
soutenir le marché. Juste après, Dick Whitney a traversé la salle des marchés
de la bourse de New York. A 13h30, alors que la panique était à son comble,
il a traversé la salle et d’une voix forte et intelligible, il a demandé à
acheter 10.000 actions US Steel à un prix considérablement plus élevé que la
dernière enchère. Il a ensuite hurlé d’autres ordres d’achat d’actions clés. »
« Nous avons eu la preuve que les banquiers s’étaient
engagés à mettre fin à la panique. Et ils y ont mis fin ce jour-là. Le marché
s’est stabilisé et a commencé à remonter. »
« Mais le lundi suivant a été terrible. Apparemment,
les gens avaient réfléchi à la situation pendant le weekend, et le dimanche,
en étaient venus à la conclusion qu’il vaudrait mieux pour eux de sortir. C’est
là qu’est survenu le vrai effondrement. Le mardi. Quand les marchés ont
plongé, et plongé, sans pouvoir s’arrêter. Les banquiers de Morgan ne
pouvaient plus contenir la panique. C’était comme essayer d’arrêter les
chutes du Niagara. Tout le monde voulait vendre. »
« Dans les salles de courtage du pays, les petits
investisseurs – tailleurs, épiciers, secrétaires – fixaient des yeux les prix
en chute libre dans un silence de plomb. Leurs espoirs d’une retraire aisée,
d’une nouvelle maison, d’une éducation pour leurs enfants… tous se sont
trouvés réduits à néant. »
« A la fin de l’année 1929, à l’approche de la nouvelle
année, tout était question d’avenir. Personne ne savait que la Grande
dépression approchait à grands pas – chômage, longues queues pour du pain,
faillites bancaires – une telle chose était inimaginable. Mais la bulle avait
éclaté. L’optimisme avait disparu, ainsi que la confiance, l’illusion de pouvoir
devenir riche sans travailler. Une ère était révolue. On buvait aux années
30, mais on savait, au plus profond de soi, que la fête était terminée. »