Extrait du
chapitre I de mon livre, "Logement,
crise publique, remèdes privés". Déjà
publié sur "crise publique"
fin 2007.
Le logement social,
solution du problème du logement, ou problème sans solution
?
Il est
évident que la vocation première des organismes HLM devrait
être de loger en priorité les ménages aux revenus les
plus modestes. En croisant plusieurs données disponibles sur le site
internet de l'INSEE, on s'aperçoit que cet objectif est loin d'
être atteint. L'INSEE divise les ménages en catégories
(très modestes, modestes, autres), en fonction de la classe de revenus
par personne à laquelle ils appartiennent. Les ménages
très modestes sont ceux qui vivent en dessous du seuil de
pauvreté (50% du revenu médian), soit selon les derniers
chiffres publiés, les 11% les plus pauvres. Les ménages
"modestes" sont arbitrairement désignés comme les
ménages compris entre les 11% et les 30% plus modestes. En
approfondissant les recherches, on peut également trouver des
statistiques sur les ménages "moyens" (revenus
supérieurs aux 30% les plus pauvres et inférieurs à la
moitié la plus aisée) et les ménages « autres
», la moitié aux meilleurs revenus.
Il apparaît
que la répartition des ménages entre le parc locatif social
(HLM) et le parc locatif privé est la suivante (en 2003) :
|
Parc HLM,
en milliers
|
Parc locatif
privé,
en milliers
|
Ménages
très modestes,
P(0-11)
|
# 900
|
# 700
|
Ménages
modestes, P(11-30)
|
#1.15
|
# 900
|
sous total
TM+M
|
2.05 millions
|
1.6 Millions
|
Ménages
moyens,
P(30-50)
|
# 850
|
NC
|
Autres
ménages,
P(50-100)
|
# 1400
|
NC
|
Sous total
"ménages non modestes"
|
# 2.25 millions
|
# 3.25 Millions
|
Une
répartition pas très sociale ?
On constate que
2.25 millions de ménages qui ne devraient pas avoir besoin d'aide
publique pour se loger occupent un logement aidé, soit plus que le
nombre de ménages désignés comme modestes par les
critères de l'INSEE, alors que 1.6 millions de ménages supposés
modestes ou très modestes se logent plutôt dans le parc
privé.
Certes, il y a
des explications logiques partielles à ces observations. Ainsi, une
partie des ménages modestes recensés dans le parc privé
sont des étudiants ou des célibataires à faibles revenus
qui préfèrent habiter des studios et ''chambres de bonne'' dans
des centres urbains plutôt que des logements en quartier HLM.
Cela n'explique
pas pourquoi plus d'un tiers des occupants du parc "social"
appartiennent aux classes les plus aisées de la population, alors que
de toute part les médias retentissent de plaintes de ménages
modestes qui "ne trouvent pas de place" en HLM. Le rapport
Doutreligne-Pelletier cite le chiffre d'1,3 millions de demandes de logement
HLM non satisfaites en 20051.
Il est
évident qu'une différence de loyer, à surface
égale, de 80% à 140% entre HLM et secteur privé
constitue une incitation puissante à essayer d'obtenir un logement
HLM, surtout si celui ci est de qualité proche de celle que l'on peut
obtenir dans le secteur privé.
Or, il existe,
pour simplifier, deux grandes familles de HLM: d'une part, ceux qui sont
concentrés dans les « cités difficiles »
construites avant 1970 pour la plupart, qui ont été le lieu des
émeutes spectaculaires de novembre 2005, et d'autre part, ceux qui
sont intégrés, voire sciemment mêlés à des
programmes du secteur privé, qui présentent des
caractéristiques souvent équivalentes en terme de localisation
et de qualité de construction. Inutile de préciser que
l'attrait de ces deux types de programmes HLM n'est pas du tout le
même. Dans un cas, on peut supposer que l'état de
dégradation et les difficultés liées à la
disparition de l'état de droit dans les quartiers concernés
justifient amplement la différence de loyer avec ceux des logements en
secteur libre de même type dans d'autres quartiers. En revanche, il est
évident que les HLM ''intégrés'' dans des quartiers
où a été recherchée une certaine
''mixité sociale'' présentent un rapport qualité prix
sans aucune commune mesure avec ce qu'offre le secteur privé.
Par
conséquent, obtenir ce genre de logement constitue pour l'heureux
bénéficiaire une chance. Pour que cette chance ne devienne pas
une rente de situation indue, la loi prévoit que toute personne
dépassant de 40% le plafond de ressources admissibles pour rentrer en
HLM paie un surloyer rapprochant le coût de son logement de celui
observé dans le secteur privé.
Un tel
règlement engendre inévitablement son effet pervers. Si
les plafonds de ressources nécessaires pour entrer en logement HLM
sont généralement inférieurs ou équivalents aux
revenus médians des ménages, il existe une frange
''intermédiaire'' de revenus comprise entre 1 et 1,4 fois le
plafond de ressources réglementaire dans laquelle les ménages
ne peuvent (en théorie) accéder à un logement HLM, et
donc ne peuvent espérer retrouver un logement HLM s'ils quittent le
leur, mais continuent de bénéficier de l'avantage
essentiel que leur confère leur loyer inférieur de moitié,
voire plus, à ce qu'il serait dans le secteur privé.
Rapport
qualité prix imbattable, et quasi impossibilité de retrouver un
tel privilège ailleurs: une telle combinaison incite fortement
à s'incruster coûte que coûte dans un bon logement social.
De nombreux témoignages publiés par la presse confirment
l'existence de ce phénomène.
Les chiffres
officiels confirment ils cette tendance conservatrice et ces
témoignages de professionnels du logement social ? Oui ! La
mobilité des ménages dans le parc locatif privé est de
l'ordre de 22% par an (2002), alors que la mobilité au sein du parc
HLM oscille entre 10,5 et 12,5% depuis 15 ans, les chiffres les plus bas se
rencontrant lors des périodes économiquement les moins
porteuses3. Selon Georges Mesmin, ce taux de mobilité était
encore plus faible à Paris du fait du différentiel très
élevé entre logement public et privé, puisqu'il a
oscillé entre 6 et 9% pendant les années 80. Rien ne permet de
croire que cela ait évolué aujourd'hui: Jean Yves Mano, adjoint
au logement à la mairie de Paris, déclarait dans les colonnes
du ''moniteur'' de novembre 2005 que le taux de rotation dans les HLM
parisiens intra muros était tombé à... 4%.
Et encore ces
chiffres ne constituent-t-ils que des moyennes. En l'absence de statistiques
permettant de distinguer les « bons programmes » HLM des autres
– politiquement trop incorrect, sans doute -, et de données
corrélant la mobilité des ménages à leurs
revenus, il est impossible de pousser plus avant les conclusions. Toutefois,
des témoignages recueillis lors de cette étude confirment que
les locataires les plus soucieux de conserver leur logement sont d'une part
ceux qui sont dans les situations financières les plus critiques,
même s'ils habitent en cité difficile, mais aussi les
ménages relativement aisés qui habitent dans de bons logements
sociaux intégrés dans des quartiers « mixtes », qui
pourraient partir dans le parc privé mais qui ne sont pas prêts
à multiplier par deux leur effort financier pour se loger dans
des conditions juste similaires.
Le
résultat est qu'une part non négligeable du parc HLM
bénéficie à des gens qui n'en n'ont pas la
nécessité, alors que les demandes en souffrance voient
leur durée de satisfaction s'allonger.
La gestion de la
file d'attente : confrontation entre des intérêts particuliers
au détriment de la mission sociale des organismes HLM.
Selon que l'on
considère les revenus nécessaires pour pouvoir entrer dans un
logement aidé, ou le revenu plafond maximal pour pouvoir s'y maintenir
sans pénalité financière, ce sont entre 6 et 9 millions
de ménages non propriétaires de leur résidence
principale qui ont vocation à pouvoir occuper un logement HLM, alors
qu'il y a 4,3 millions de logements disponibles.
Lorsqu'un tel
phénomène se produit sur un marché libre, les prix des
biens en pénurie tendent à monter, ce qui incite de nouveaux
entrants à fournir le service demandé sur le marché, et
à rééquilibrer les prix tout en effaçant la
pénurie. Mais les loyers des HLM ne peuvent monter, car ils sont réglementés.
En conséquence, le prix artificiellement bas de l'offre ne peut
que générer une demande excédentaire, d'où
maintien de la pénurie.
Dans ces
conditions, comment cette file d'attente peut-elle être
gérée par les commissions d'attribution d'HLM, et quels effets
pervers sont observés ? Il convient ici d'étudier plus
précisément les comportements des différentes parties
prenantes.
En
théorie, seuls les ménages les plus modestes devraient occuper
des logements aidés. Toutefois, nous avons vu que lorsqu'un
ménage modeste entrait dans un HLM puis voyait son revenu augmenter,
il continuait coûte que coûte à occuper son logement si
celui ci était correctement situé. Les ménages
demandeurs ont donc intérêt à utiliser tous les moyens en
leur possession pour placer leur dossier en « tête de pile
», tant en minorant leur revenu imposable déclaré qu'en
utilisant leurs connaissances au sein des commissions d'attribution pour
espérer décrocher le sésame d'un logement
bonifié.
Voici un petit
exemple concret de manipulation opérée par une personne sachant
ne pas appartenir à la cible normale des organismes HLM: cette
personne touchait environ un tiers de sa rémunération sous
forme de primes versées au titre de l'année
précédente. Cette personne ayant le choix de déclarer
ses primes au titre de l'année de perception ou à celui de
l'année de rattachement, elle choisissait de cumuler deux
années de primes sur une seule déclaration, de façon
à ce que l'année suivante, elle puisse faire état d'un
revenu déclaré inférieur à son revenu
réel, et, de par son quotient familial, à se retrouver
nettement en dessous du plafond d'admission dans les logements HLM.
Ainsi, cette personne pouvait en toute légalité passer le
premier obstacle qui la séparait d'un logement aidé. Ce genre
de manipulation pour faire correspondre les revenus des personnes aux
plafonds d'admission dans les logements HLM n'est pas marginale, mais il
n'existe naturellement aucune statistique permettant de quantifier le
phénomène.
Tricher sur ses
revenus n'est qu'une des méthodes pour améliorer la prise en
compte de son dossier. Obtenir l’appui d’un élu influent
au sein des commissions d'attribution peut également aider.
Dans ses rapports
annuels, la MIILOS, mission interministérielle d'inspection du
logement social - qui est en quelque sorte la ''cour des comptes du logement
social''- pointe de façon récurrente des
''irrégularités'' dans les procédures d'attribution des
logements dans environ 1/3 des organismes qu'elle contrôle. Ces
procédures sont en principe collégiales entre élus
d'horizon divers, organismes HLM et services préfectoraux, la
collégialité étant censée limiter les
possibilités de détourner les règles. Mais les
contrôles de la MIILOS montrent que cet objectif n'est pas toujours
atteint.
Naturellement,
toutes ces irrégularités ne présument pas systématiquement
d'un manquement déontologique. Elles résultent parfois de
simples erreurs humaines. Toutefois, la révélation
régulière de scandales entourant l'attribution de logements
publics montre que ces pratiques, pour n'être pas majoritaires, n'en
sont pas moins assez courantes.
La sociologue
Sylvie Tissot, membre du Groupement d’étude et de lutte
contre les discriminations a participé à un rapport
sur les discriminations à l'entrée dans le logement social
rendu en mai 2001. Dans une interview
à l'Humanité, journal peu suspect
d'antipathie à l'égard de la politique du logement social, elle
déclarait:
« Le processus d’attribution du logement social
est complexe et opaque. Il est géré par le maire,
l’office HLM et le préfet, avec au final, l’exclusion de
ceux qui devraient être les premiers bénéficiaires de ces
logements. Au sein des communes, il y a une " préférence
locale ", pour des raisons d’images et de clientélisme.
Côté offices d’HLM, au nom de la rentabilité, on
fait la chasse aux mauvais payeurs. Quant aux préfets, ils ont peu
à peu intégré les critères des deux autres
acteurs. D’où cette sélection à
l’entrée. »
Il convient de
revenir sur chacun des points évoqués par ce court paragraphe.
Les Organismes
HLM ont intérêt à accepter un pourcentage
élevé de « bons dossiers »
Nous avons vu que
la ressource d'exploitation des organismes HLM était composée
à 98% des loyers encaissés. Les subventions qu'ils touchent ne
concernent que l'investissement. Par conséquent, les offices HLM ont
une obligation de faire la chasse aux mauvais payeurs, comme le dit Mme
Tissot. Mais mieux vaut prévenir que guérir. Les organismes
HLM, même lorsqu'ils tentent avec honnêteté de faire face
à leur mission sociale, savent qu'ils doivent maintenir parmi leurs
locataires un pourcentage élevé de bons payeurs et sont donc
obligés d'établir un profilage plus ou moins formel des
dossiers qui leur parviennent. Ainsi, des dossiers présentant un bon
potentiel de stabilité financière, voire de progression dans
l'échelle des revenus, pourront être acceptés même
si des dossiers de personnes moins favorisées s'accumulent dans la
liste des demandes en souffrance. Et pour que ces locataires indispensables
à la santé financière des organismes HLM soient
incités à rester dans les logements que les offices leurs
proposent, il vaut mieux leur attribuer un « bon » HLM, construit
dans le cadre d'une opération bien intégrée à un
quartier existant.
Ces choix sont
renforcés par la nécessité, pour les aspirants
locataires, de trouver des moyens de faire grimper leur dossier vers le
sommet de la pile des demandes, et par là même, de se faire
favorablement connaître auprès des élus qui
siègent dans les instances dirigeantes ou les commissions
d'attribution des HLM. Et selon vous, qui est mieux placé pour jouer
ce jeu : les immigrés pauvres, ou bien les populations locales
disposant d'un niveau d'éducation correct, si possible bien
connectées au monde politique par le biais d'activités
associatives ?
Pire même,
pour anticiper sur d'éventuels préjugés de type ethnique
prêtés par défaut aux populations locales, certains
offices vont faire en sorte de limiter l'accès à ces bons
logements à des familles issues de l'immigration, afin d'éviter
que le voisinage ne soit source d'insatisfaction pour les locataires stables.
Ces pratiques , qui étaient largement subodorées, ont
été confirmées par les révélations
récentes sur le
« Profilage ethnique » des demandeurs d'HLM
opérées par l'OPAC de Saint-Etienne et révélées
par un contrôle de la MIILOS. Même si ce profilage n'est pas
nécessairement aussi marqué dans tous les organismes, le
rapport Tissot confirme l'existence de cette pratique, ne la mettant pas sur
le compte d'un racisme délibéré, marginal, mais sur la
sociologie propre au fonctionnement interne du mouvement HLM:
« Loin de se
réduire aux seules discriminations intentionnelles, sans doute
marginales ou limitées à quelques organismes ou mairies et
certains sites, les traitements inégalitaires sont principalement le
fruit d’un système local auquel participe une multitude
d’institutions installées dans des routines gestionnaires et pas
toujours conscientes des effets produits par la culture de la norme
implicite. »
Qu'en termes
élégants ces choses là sont dites... Le rapport va plus
loin en affirmant clairement que les populations immigrées sont
devenues des populations à risque pour les organismes HLM:
«
A côté d’autres groupes (familles monoparentales, Rmistes,
travailleurs précaires...), l’image de l’immigré
des années 70, « bon locataire » car bon travailleur
payant régulièrement son loyer, s’est muée en une
catégorie redoutée car synonyme de dévalorisation
du parc immobilier et de fuite des « bons » candidats. Ces
représentations ont fini par guider les pratiques des agents qui
distinguent entre les « bons » et les « mauvais »
groupes au mépris des critères formels d’attribution des
logements. »
Le
résultat concret de ces incitations à la
ségrégation est une accumulation de populations
immigrées plus largement touchées par le chômage que les
autres dans les cités HLM concentrationnaires des années 50 et
60, accumulation dont les conséquences sociologiquement
désastreuses, que nous ne détaillerons pas, sont apparues
clairement lors des émeutes de novembre 2005.
En contrepartie,
une classe de locataires ultra-privilégiés se développe
dans les quartiers où les programmes HLM ont été
mêlés au parc privé. Pour justifier cet état de
fait dont le caractère de justice sociale échappera à
tout observateur de bon sens, le concept de « mixité sociale
» des quartiers a été inventé. Ce concept
technocratique est une justification commode pour la fourniture d'une rente
de situation à des catégories sociales électoralement
recherchées par les élus, et indispensables à
l'équilibre financier des organismes HLM.
Le surloyer, un
mécanisme en pratique peu opérant
En
théorie, l'application d'un surloyer est censée contraindre les
ménages « trop riches » à quitter leur logement HLM
« de luxe ». Or, la MIILOS, encore elle, constate que dans
certains offices, l'application de ces surloyers ne va pas de soi, et doit
souvent être arrachée à l'issue de contrôles.
De
surcroît, lorsqu'un office HLM lance une enquête auprès de
ses locataires pour connaître leurs ressources, il n'est pas rare que
ceux qui savent que leur revenu se situe au dessus des 140% fatidiques
du plafond de ressources « fassent les morts » pour payer le
surloyer forfaitaire de... 18%, lorsque la différence entre leur loyer
« social » et un loyer privé excède 80, voire
140%...
Roger Quilliot,
président de l'union nationale des fédérations d'HLM de
1985 à 1991, ancien ministre du logement du gouvernement Mauroy,
avait, à la fin des années 80, choqué l'opinion en
déclarant au journal télévisé que les offices HLM
freinaient sciemment l'application des surloyers pour conserver les
locataires, et qu'un durcissement des lois en ce domaine condamnerait les
organismes de logement social à faire un appel massif à des
subventions d'exploitation payées par le contribuable, ce qui est
inenvisageable au vu de l'état des finances publiques, ou, pire
encore, les mènerait à la faillite.
Cette
dernière hypothèse est insupportable aux yeux de la classe
politique française. Les locataires aisés du parc social
« supérieur » peuvent dormir tranquilles.
Logement social
et clientélisme
Face à une
telle avalanche de critiques, parfaitement connues de tous les
décideurs politiques, on pourrait imaginer qu'une partie importante du
personnel politique français milite pour une refonte complète
des modalités de l'aide au logement des plus démunis. Or, force
est de constater qu'à part quelques personnalités atypiques
comme Georges Mesmin, ou comme Raymond Barre, dont un rapport de 1975 fut
à l'origine de la création de l'APL, personne n'ose
remettre en cause le modèle HLM comme outil essentiel de la politique
du logement en France.
Au contraire,
droite et gauche convergent sur ce sujet, en annonçant
régulièrement une relance des programmes de construction
sociale, même s'il savent cette relance irréaliste - à
40.000 euros d'aides par logement. La droite ne remet pas en cause
l'obligation créée par la loi SRU, élaborée par
un ministre du logement communiste, Jean Claude Gayssot, de posséder
20% de logements sociaux sur le territoires des grandes
agglomérations. 20% de pauvres par décret, tel semble
être l'horizon de notre classe politique unanime. Quelle ambition !
Pour comprendre
cet attachement au logement social, il faut hélas en arriver à
faire le procès d'intention de certaines élites politiques
à l'aide des théories du « choix public »
élaborées et popularisées par James Buchanan, prix Nobel
d'économie 1986. Celui ci a montré que lorsqu'une entité
publique était supposée travailler pour l'intérêt
général, celui ci étant défini de façon
arbitraire, alors cette entité tendait à ne s'atteler à
sa mission qu'après s'être assurée pour elle même
de confortables avantages, et que les groupes de pression gravitant autour de
cette entité avaient un intérêt économique fort
à détourner la notion d'intérêt
général à leur profit, pour bénéficier des
largesses dispensées par l'organisme public en question.
Dans le domaine
du logement social, les dévoiements de l'action publique ont
été monnaie courante.
Des OPAC bien
opaques ?
En
commençant par quelques peccadilles, signalons que la MIILOS épingle dans son
rapport 2001, toujours dans un langage technocratique
châtié, des ''comptabilités lacunaires'' dans environ 1/3
des organismes contrôlés, des avantages extra légaux
accordés aux dirigeants sous forme de note de frais
injustifiées, d'avantages en nature non prévus par les textes,
de voyages d'étude dont le caractère studieux n'apparaît
guère évident, de cumuls de rémunérations non
réglementaires, etc...
Les chiffres
officiels montrent que les frais de gestion des offices HLM
représentent 19% des loyers encaissés, là ou une agence
privée de gestion locative sérieuse demandera 5 à 6%
à un bailleur privé pour le décharger de tout souci de
gestion, assurance pour loyers impayés comprise. Certes, les loyers du
privé étant environ 2 fois plus élevés,
l'écart de performance ne se situe qu'entre 7 et 9%. Mais tous ces
chiffres en disent long sur la qualité plus que médiocre
de la gestion -publique- des organismes HLM.
Naturellement,
ces frais de gestion n'incluent pas les coûts des bureaucraties
nationales (ministères, ANRU, etc...) et locales chargées de
co-piloter les organismes de logement social.
Tout ceci n'est
que petite bière à côté des affaires de corruption
qui ont émaillé la presse à scandales depuis 1985.
L'affaire des logements du domaine privé de la ville de Paris,
attribués par l'ancienne municipalité (1976-2001) à des
amis proches (pratique semble-t-il perpétuée par la
majorité municipale de gauche issue du scrutin de 2001 malgré
ses prétentions éthiques9), qui aurait dû coûter sa
carrière politique à Alain Juppé, fait figure d'anecdote
à côté de l'affaire des marchés publics de
construction (qui concernait entre autres les
marchés de construction d'HLM, mais pas
uniquement) en Ile de France, révélée dans les
années 90 et mise en jugement fin 2006: l'enquête a
révélé qu'un pacte de répartition des pots de vin
payés par les entreprises attributaires permettait d'arroser toutes
les formations politiques, du RPR au PCF en passant par l'UDF et le PS.
Les débats
du procès Schuller, ancien directeur de l'office HLM des hauts de
seine, conseiller général de ce département, sont
évocateurs des détournement de bien public opérés
par certains politiciens peu scrupuleux. Selon les réquisitions du
procureur, l'audience a montré que M. Schuller se servait de l'office
HLM, sur lequel il disposait des « pleins pouvoirs », non
seulement pour financer un train de vie tout à fait fastueux, une
campagne électorale coûteuse en vue de s'emparer de la mairie de
Clichy, mais aussi pour promettre logements et emplois à des
électeurs et relais d'opinion intéressants.
Naturellement, il
est hors de question de prétendre que ces pratiques sont
générales, mais régulièrement la presse se fait
l'écho d'irrégularités, voire de pratiques douteuses,
dans le milieu HLM. Ainsi, entre autres exemples, l'Humanité du 10
octobre 2003 expose certaines pratiques discutables à l'OPAM de Nice.
Le « cri du contribuable » de septembre 2005 évoque dans
un entrefilet des turpitudes survenues à l'OPAC de Lyon... Et ce ne sont
là que quelques exemples qu'une simple recherche sur internet
permet de trouver rapidement.
Cette
répétition ad nauseam d'affaires troubles autour du mouvement
HLM montrent que l'argent du logement social, à défaut de
bénéficier en majorité à ceux qui en auraient le
plus besoin, n'est pas perdu pour tout le monde.
L'impact
politique des HLM : des banlieues rouges à la loi SRU
Si les HLM sont
aussi populaires auprès d'une partie de la classe politique, ce n'est
pas uniquement parce qu'ils représentent pour les moins honnêtes
d'entre eux un espoir de gain facile. C'est aussi parce que, comme l'affaire
Schuller l'a montré, ils constituent un moyen d'achat de votes
susceptibles de faire basculer une élection.
Revenons un
instant à la théorie du choix public de Buchanan. Sachant
qu'une élection se gagne généralement à la marge
grâce aux voix d'un électorat indécis que l'on
désigne comme « flottant », Buchanan a montré que,
pour se faire élire, les politiciens ont intérêt à
mettre en place des mesures dont les coûts sont répartis sur le
plus grand nombre (financement public sur budget national) et les
bénéfices répartis sur une frange étroite de
l'électorat dont la séduction sera primordiale en vue du
prochain scrutin.
Lors de la mise
en place, à la fin des années 50 puis 60, des grands programmes
concentrationnaires de logements sociaux, dans les banlieues de Paris, la
gauche ne s'opposa nullement à cette action, même lorsque
Charles De Gaulle en fut le promoteur, sauf pour en critiquer
l'insuffisance dans le cadre du jeu de rôles que droite et gauche
affectionnent depuis si longtemps. Il faut dire que cette politique a permis
à la gauche, et notamment au PCF, de s'assurer des majorités
confortables d'électeurs dans la fameuse ceinture rouge (Bobigny, Créteil,
Aulnay, Trappes, Montreuil, entre autres...) , alors que la droite pouvait
préserver la tranquillité de ses électeurs de la
bourgeoisie moyenne et haute, et par là même ses fiefs
électoraux, en concentrant les classes ouvrières et moyennes
inférieures hors de ses bastions.
Aujourd'hui
encore, alors que son influence électorale générale sur
le territoire est devenue négligeable, le PCF réussit à
conserver une vingtaine de députés, presque tous élus
dans des banlieues dites difficiles, car ses rares électeurs y sont
fortement concentrés. Toutefois, le raisonnement qui donnait
automatiquement aux communes de gauche les voix des classes modestes des
banlieues sont en train de faire long feu. La participation plus faible
à la vie politique, l'exaspération vis à vis des
questions d'insécurité poussent une part croissante des
électeurs de ces partis vers les extrêmes. La gauche dite
« de gouvernement » doit impérativement trouver des
stratégies de rechange pour enrayer un déclin que les
changements structurels de la société rendraient autrement
inéluctable.
Voilà
pourquoi M. Jean Claude Gayssot, ministre communiste d'un gouvernement
à majorité socialiste, a fait voter en décembre
2000 une loi dite loi SRU (solidarité et renouvellement urbain), qui
impose aux communes de plus de 3500 habitants dans des agglomérations
de plus de 50000 habitants la présence de 20% de logements sociaux
dans leur parc locatif.
Ce seuil de 20%,
totalement arbitraire, procède d'une logique purement
démagogique. Tout d'abord, reconnaître implicitement que dans un
pays comme la France, 20% des foyers devraient avoir besoin d'une aide pour
se loger est témoigner d'une confiance bien faible de ce pays à
créer par lui même les richesses dont ses habitants ont besoin.
Mais surtout, il
est révélateur de l'incurie économique de certains
décideurs. Tout d'abord, les services de proximité qui
s'installent dans les communes « très bourgeoises »
s'adaptent à leur clientèle: importer de force des populations
pauvres dans ces communes ne permettra pas à ces dernières
d'accéder facilement à des services adaptés à
leur budget, au moins dans un premier temps.
Ajoutons que les
communes pauvres en logement sociaux sont souvent des communes
où le foncier est cher soit parce qu'il est rare, soit parce que la
commune a su, au cours des temps, se spécialiser dans l'accueil de
familles aisées. Imposer à ces communes 20% de logements
sociaux revient à augmenter considérablement la subvention
permettant de financer ces logements afin que leur loyer puisse
rester sous les plafonds légaux imposés aux HLM. Voilà
qui ne peut qu'accroître la charge pesant sur le contribuable.
De
surcroît, ces programmes publics, en augmentant la demande
foncière sur des communes onéreuses, renchérissent
encore le coût d'habitation pour les classes moyennes dont nous avons
vu qu'elles pouvaient de moins en moins accéder soit au logement
social, soit au parc privé. La loi SRU, en prétendant se
focaliser sur les 20% de familles les plus modestes, agit de fait comme un
instrument d'exclusion des classes moyennes-basses des quartiers de standing
moyen et supérieur.
Il n'est pas
certain que cette conséquence prévisible de la loi SRU afflige
outre mesure la gauche. En effet, il est vraisemblable que cette
dernière espère que dans les territoires où les scores
politiques sont serrés, un afflux supplémentaire de familles
modestes et assistées permettra de faire basculer à gauche ou
de raffermir des majorités de gauche au sein des communes
concernées. Qu'une partie de la droite politique française
soutienne la loi SRU aujourd'hui paraîtra plus surprenant au premier
abord, mais se comprendra aisément si l’on songe au calcul
exposé par Buchanan: certains politiciens espèrent ainsi faire
financer par des contribuables dilués un cadeau dont ils pourront se
prévaloir auprès d'une frange fluctuante de leur
électorat.
A ce stade, nous
pouvons affirmer que si
l'écosystème du logement social n'assure pas correctement
sa mission sociale, c'est parce qu'aucune des parties prenantes de cet
écosystème n'y a intérêt –
à l'exception des familles pauvres, qui comptent peu
électoralement, puisqu'elles tendent à déserter les
urnes, voire n'y ont pas accès en raison de leur
nationalité.
Vincent
Bénard
Objectif Liberte.fr
Egalement par Vincent Bénard
Vincent Bénard, ingénieur
et auteur, est Président de l’institut Hayek (Bruxelles, www.fahayek.org) et Senior Fellow de Turgot (Paris, www.turgot.org), deux thinks tanks francophones
dédiés à la diffusion de la pensée
libérale. Spécialiste d'aménagement du territoire, Il
est l'auteur d'une analyse iconoclaste des politiques du logement en France, "Logement,
crise publique, remèdes privés", ouvrage publié
fin 2007 et qui conserve toute son acuité (amazon), où il
montre que non seulement l'état déverse des milliards sur le
logement en pure perte, mais que de mauvais choix publics sont directement
à l'origine de la crise. Au pays de l'état tout puissant, il
ose proposer des remèdes fondés sur les mécanismes de
marché pour y remédier.
Il est l'auteur du blog "Objectif
Liberté" www.objectifliberte.fr
Publications :
"Logement: crise publique,
remèdes privés", dec 2007, Editions Romillat
Avec Pierre de la Coste : "Hyper-république,
bâtir l'administration en réseau autour du citoyen", 2003, La
doc française, avec Pierre de la Coste
Publié avec
l’aimable autorisation de Vincent Bénard – Tous droits
réservés par Vincent Bénard.
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