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Il aura fallu le dévoilement des
nombreuses « irrégularités » à la
Ville de Montréal, dont le contrôle
de la mafia sur les contrats de
construction, les enveloppes brunes
aux politiciens et bureaucrates et
les accointances douteuses de
l'ex-chef de l'opposition de la
Ville, Benoit Labonté, pour que le
mythe du « financement populaire » des
partis politiques vole enfin en
éclat.
Le financement populaire, c'est
la législation qui interdit au
Québec depuis son adoption par le
gouvernement péquiste en 1977 les
dons d'entreprises, qui limite ceux
des individus à un montant modeste
et qui force les partis à rendre
publique leur liste de donateurs.
Depuis, elle a été appliquée au
niveau municipal et une loi
similaire a été adoptée à Ottawa.
Ces lois visent ostensiblement à
éliminer l'influence des caisses
occultes et à remplacer le « pouvoir
de l'argent » par celui du citoyen.
En réalité, elles ont d'abord pour
effet de consolider la mainmise des
joueurs en place, ceux qui disposent
déjà d'une bonne organisation et
d'un membership assez large. Un
nouveau parti sans reconnaissance
médiatique, sans figure de proue
connue et qui n'a pas beaucoup de
membres, mais qui pourrait avoir
quelques donateurs généreux prêts à
le soutenir, ne peut en effet plus
utiliser le seul moyen à sa
disposition lui permettant de faire
une percée, soit l'argent (pour se
payer des publicités, etc.). La loi
est l'équivalent d'une barrière à
l'entrée dans le marché politique
qui protège les partis en place des
nouveaux venus. Lévesque, ce supposé
grand démocrate, dont le parti
recevait peu de dons d'entreprises à
l'époque de toute façon, a en
réalité subtilement manipulé la loi
électorale pour réduire la
concurrence politique, déjà limitée
dans un système électoral comme le
nôtre.
Autre avantage, les politiciens
peuvent se présenter comme des
personnes à la morale irréprochable,
dont l'engagement politique n'est
motivé que par l'intérêt public et
pas leur intérêt personnel. Cette
loi avantage les politiciens comme
classe, dans leurs efforts pour
améliorer leur image sociale. Depuis
trente ans, ils peuvent se vanter de
cette innovation majeure ayant mis
le Québec à l'avant-garde mondiale
pour ce qui est de « l'assainissement
des moeurs électorales ». Nous
aurions, au Québec, des politiciens
clean. Il faut les admirer
pour cela!
On le voit maintenant, tout ça
n'était fondé que sur un immense
mensonge. Mais qui se surprendra que
nos politiciens ne soient qu'une
bande d'hypocrites?
Pendant longtemps, il était tabou
de remettre en question l'héritage
sacré de notre Saint Ti-Poil
national, René Lévesque, qui
considérait cette loi comme sa
principale réalisation. Il est
intéressant de voir aujourd'hui nos
journalistes se mettre enfin à
discuter de ce que tous ceux qui
sont impliqués dans les milieux
politiques, y compris eux-mêmes,
savent pourtant depuis fort
longtemps, soit que ce financement
populaire est en fait une fiction.
Un organisateur péquiste m'avait
expliqué le stratagème des
prête-noms il y a déjà quinze ans,
en me laissant savoir que j'étais
bien naïf de ne pas savoir de quoi
il s'agissait puisque ça se faisait
couramment. Je ne me souviens
pourtant pas avoir lu quoi que ce
soit dans les journaux sur ces
combines pendant toutes ces années.
Mais enfin, plus personne ne pourra
maintenant nier la réalité.
Le 21 octobre dernier, le
chroniqueur Yves Boisvert de
La Presse écrivait:
Mais n'allez pas croire qu'on
a trouvé une solution aux
influences occultes en
renforçant la loi: on la viole
presque à l'unanimité. Actuellement, les partis
majeurs, au municipal comme au
provincial, sont souvent
incapables de financer à leur
goût leurs campagnes tout en
respectant la loi. Les campagnes
coûtent trop cher et il n'y a
pas assez de citoyens pour
donner aux partis politiques. Que font les organisateurs
quand ils en veulent plus, alors? Ils utilisent toute une série
de subterfuges pour respecter
les contours de la loi.
Officiellement, ils ne reçoivent
que des dons de particuliers.
Ils respectent les limites de
dépenses. Ils produisent des
rapports détaillés. Mais dans la vraie vie, ils
en violent tant l'esprit que la
lettre. C'est le sale secret que
partagent, de manière variable
selon les époques, libéraux,
péquistes, adéquistes et partis
municipaux un peu importants au
Québec. (...) le truc est assez
simple. Une firme d'ingénieurs,
ou d'avocats, ou de
publicitaires, ou une compagnie
de construction paie des
employés pour qu'ils fassent
eux-mêmes des dons "personnels".
Ces gens versent donc en leur
nom l'argent de telle ou telle
société. Ils reçoivent un reçu
et leur nom apparaît sur le
rapport de l'agent officiel.
Tout est O.K.! « Tous ces êtres chiants qui nous font la morale à
longueur d'année, qui adoptent loi après loi, règlement sur
règlement, taxe par-dessus taxe, pour nous forcer à adopter des
comportements « solidaires » et « responsables » dans à peu près
tous les aspects de nos vies, alors qu'ils sont eux-mêmes corrompus
jusqu'à l'os! »
Le 23
octobre, c'est Benoit Labonté,
qui dit ne pas vouloir être le seul
bouc émissaire,
qui confirmait que tout le monde a
recours au système:
M. Labonté a décrit en long
et en large les pratiques de
financement des partis. Quoique
légales, elles sont très
discutables du point de vue de
l'éthique. Il a confirmé
l'utilisation de prête-noms dans
le financement de Vision
Montréal pour permettre la
transformation de dons en argent
comptant en contributions
d'apparence légitime. « La
réalité, et c'est vrai dans tous
les partis, au municipal, au
provincial et au fédéral -- il
n'y a pas un parti qui fait
exception --, c'est qu'il y a de
l'argent qui se ramasse cash et
il est donné à des prête-noms
qui, eux, font un chèque
personnel. [...] Tout le monde
sait que ça se passe comme ça.
Ça fait partie des règles non
écrites. C'est un trou béant
dans la loi. » Cette pratique a
toujours cours à Vision
Montréal, affirme-t-il. Benoit Labonté soutient en
avoir discuté avec Mme Harel il
y a quelques jours. Celle-ci
aurait reconnu l'existence de
cette façon de faire dans sa
formation, à Union Montréal, au
Parti québécois et au Parti
libéral, a-t-il dit. « Le
financement populaire, c'est une
fiction, c'est un système
hypocrite. C'est vraiment un
cancer répandu » (...). C'est-y pas beau de lire ça!!!
Tous ces êtres chiants qui nous font
la morale à longueur d'année, qui
adoptent loi après loi, règlement
sur règlement, taxe par-dessus
taxe, pour nous forcer à adopter des
comportements « solidaires » et
« responsables » dans à peu près tous
les aspects de nos vies, alors
qu'ils sont eux-mêmes corrompus
jusqu'à l'os!
La loi sur le financement des
partis a été adoptée il y a trois
décennies précisément pour éliminer,
nous disait-on, les caisses
occultes. Aujourd'hui,
le ministre responsable de la loi
électorale, Claude Béchard, souhaite
l'amender et soutient que « la porte
sur les dons occultes serait
refermée ». On a donc perdu trente
ans dans ce prétendu combat contre
les caisses occultes?!! Comme si
d'autres restrictions pouvaient
maintenant résoudre quoi que ce
soit!
Le phénomène est en fait le même
que celui, permanent, du marché
noir. Lorsque la demande pour un
produit est très forte et que le
gouvernement impose des taxes ou
d'autres obstacles légaux à
l'obtention de ce produit, il se
développe un marché parallèle
illégal qui vise à contourner les
obstacles. La répression n'y fait
rien, ces marchés trouvent toujours
une façon de fonctionner tant que la
demande est là.
Avec les États énormes que nous
avons, beaucoup de gens ont intérêt
à siphonner la richesse immense (la
moitié du PIB, ne l'oublions pas)
soutirée aux contribuables et
distribuée à gauche et à droite sous
forme de programmes, subventions et
contrats juteux. Il existe
évidemment un « marché politique »
pour l'obtention de ces bénéfices et
privilèges. À cause de la loi sur le
financement, les partis politiques
ont toutefois des contraintes qui
les empêchent de participer
ouvertement à ce marché,
c'est-à-dire de monnayer les
subventions et les contrats en
échange de dons. Il se crée donc de
la même façon un marché noir du
financement qui permet de contourner
les obstacles.
Quelle est la solution pour
mettre fin à cette corruption? La
seule qui éliminerait le problème à
sa racine est une réduction
draconienne du rôle et de la taille
de l'État, ce qui limiterait
l'ampleur des avantages étatiques
monnayables et étoufferait ce
marché. Mais c'est bien évidemment
dans une autre direction qu'on
risque d'aller. D'abord vers plus de
répression et de contrôle, qui
seront éventuellement contournés, et
peut-être carrément vers une
« nationalisation » totale du
financement des partis politiques.
C'est l'État qui assurerait alors
l'entièreté du financement des
partis (la subvention n'est
aujourd'hui que partielle). C'est ce
que proposent Benoit Labonté et le
maire Gérard Tremblay.
On peut être certain d'une chose:
la corruption se transporterait
alors encore plus profondément au
sein de l'État au lieu d'être à sa
périphérie dans les partis
politiques. Cela créerait aussi une
autre barrière à l'entrée pour les
partis qui s'opposent entièrement à
ce système: imaginez un parti
libertarien aller quêter son budget
de fonctionnement à un bureaucrate.
Les étatistes y gagneraient sur
toute la ligne.
L'avantage de toutes ces
révélations, c'est que seuls les
naïfs les plus indécrottables
continueront bientôt de croire que
la politique est un « noble métier »
qui vise à « s'impliquer dans notre
devenir collectif ». La réalité, de
plus en plus perceptible au grand
jour, c'est que c'est un système
pourri permettant de distribuer à
des parasites le butin volé à ceux
qui travaillent, sous prétexte de
faire des bonnes oeuvres.
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