OH !
PERFECTION : C’est étrange, mais la plus populaire et la plus citée des
anecdotes que j’aie écrites ne concerne pas le marché des actions, mais l’entreprise,
et plus particulièrement ce que j’appelle l’entreprise idéale théorique. Je
l’ai publiée pour la première fois dans les années 1970. Je l’ai répétée dans
ma lettre numéro 881, puis dans ma lettre numéro 982. Je lui ai ajouté
quelques points suite à chaque édition. Mais rarement un mois ne passe sans
que des souscripteurs ou d’autres maisons de publication me demandent
l’autorisation de publier mon anecdote sur l’entreprise idéale. La voici donc
à nouveau – avec quelques nouveaux commentaires.
J’ai
un jour demandé à mon ami, un grand avocat d’entreprise de New York, quel
était au cours de toutes ses années d’expérience le meilleur modèle
d’entreprise qu’il ait pu observer. Sans hésitation, Dave m’a répondu avoir
eu un client dont le seul objectif était de manufacturer un produit chimique
nécessaire à la fabrication de caoutchouc synthétique. Ce produit chimique
est utilisé en de très petites quantités par l’industrie du caoutchouc, mais
est absolument essentiel, et ne peut être utilisé que sous sa forme la plus
raffinée.
« Mon
client est le seul à produire ce matériau. Il dirige donc un monopole,
puisque ce produit chimique est extrêmement difficile à fabriquer, et n’est
pas suffisamment utilisé pour qu’une autre entreprise ne risque d’entrer en
compétition avec lui. Puisque les sociétés de l’industrie du caoutchouc n’ont
besoin que de très petites quantités de ce produit, elles se moquent aussi du
prix qu’elles paient pour en obtenir – tant qu’il correspond aux
spécifications requises. Mon client est un multimillionnaire, et sa société
le meilleur modèle d’entreprise que j’aie pu observer ». J’ai été
fasciné par ce que m’a dit cet avocat, et n’ai jamais oublié cette anecdote.
Quand
j’étais jeune et que je sortais tout juste du lycée, mon père m’a donné
quelques conseils. Il avait beaucoup d’expérience, il avait travaillé dans
l’industrie du papier et a été l’assistant de Mr. Sam Bloomingdale (des
magasins Bloomingdale), il avait travaillé dans la construction en tant
qu’ingénieur du génie civil, et avait aussi été un expert de la gestion
immobilière.
Et
voici ce qu’il m’a dit : « Richard, gardes tes distances avec
l’industrie de la vente au détail. Les heures de travail sont trop longues,
et tu aurais à gérer toutes les variables possibles et imaginables. Ne
t’approche pas de l’immobilier. Quand les temps sont durs, le marché
immobilier s’immobilise et puis s’effondre. Et puis les biens immobiliers ne
sont pas liquides. Quand un effondrement survient, tu ne peux pas te
débarrasser de tes actifs. Lances-toi dans la manufacture. Crée quelque chose
que dont les gens ont besoin, et que tu pourras vendre au monde. Mais
Richard, mon fils, si tu veux vraiment gagner de l’argent, lances-toi dans
les affaires monétaires. Tu pourras utiliser ton cerveau et balayer tes
inventaires et tes erreurs en 30 secondes. Mieux encore, ton produit,
l’argent, ne deviendra jamais démodé ».
Voici
à quoi ressemblait la sagesse de mon père (qui a bien évidemment été
influencée par la Grande dépression). Mais mon père était un homme
intelligent. Pour ma part, j’ai travaillé dans un certain nombre de secteurs
– depuis le design textile jusqu’à la publicité, en passant par la
publication. J’ai même été gérant de boîte de nuit et conseiller en
investissement.
On
dit souvent que toutes les entreprises nécessitent 1) un rêveur, 2) un homme
d’affaires, et 3) un enfoiré. Je ne sais pas grand-chose à propos du
troisième, mais les entreprises à succès ont pour la plupart un numéro 1,
voire un numéro 2 et un numéro 1 combinés.
Bill
Gates est connu pour être l’homme le plus riche des Etats-Unis. Mais
savez-vous ce qu’a été le plus gros coup de Gates ? Il a signé un
contrat avec IBM, Big Blue avait besoin d’un système d’exploitation pour ses
ordinateurs. Gates n’en avait pas, mais il savait où en trouver un. Une
petite société de Seattle savait comment en fabriquer. Gates a acheté le
système pour 50.000 dollars et l’a présenté à IBM. C’était le début de la montée
en puissance de Microsoft. Leçon : il ne suffit pas d’avoir un produit,
il faut aussi connaître et comprendre son marché. Gates n’avait pas le
produit, mais il connaissait le marché – et il savait où acheter le produit.
Avec
le Mac, Apple avait de loin le meilleur produit. Mais Apple a fait une erreur
monumentale en refusant d’autoriser les fabricants de PC à utiliser le
système d’exploitation Mac. Si Apple en avait décidé ainsi, Apple pourrait
aujourd’hui être Microsoft, et Gates essaierait encore d’inventer quelque
chose d’utile (Microsoft a toujours été un suiveur et un as du marketing,
mais pas un innovateur). « Trouvez un besoin, et répondez-y ».
Peut-être devrions-nous désormais dire « Rêvez un besoin et
répondez-y ». C’est ce qu’il s’est passé dans le monde informatique. Et
ce qui continuera de se passer, encore et encore.
Mais
revenons-en au monde merveilleux de la perfection. Je passe beaucoup de temps
à réfléchir à ce que j’ai appelé l’entreprise idéale. Il est évident que
l’entreprise idéale n’existe pas, et qu’elle n’existera jamais. Mais si vous
êtes sur le point de lancer votre entreprise ou de joindre celle de quelqu’un
d’autre, ou que vous pensez acheter une entreprise, la liste suivante devrait
pouvoir vous aider. Mieux vous satisferez ces critères, mieux vous vous
porterez.
(1)
L’entreprise idéale vend un produit au monde entier, plutôt qu’à un quartier,
une ville ou un pays. En d’autres termes, son marché est global et illimité
(chose qui est aujourd’hui plus importante que jamais, puisque les marchés
sont désormais plus ouverts qu’ils l’ont été tout au long de ma vie). Combien
de fois avez-vous vu un magasin s’en sortir très bien pendant plusieurs
années avant qu’un autre ne vienne s’installer à côté de lui et le force à
fermer ?
(2)
L’entreprise idéale offre un produit dont la demande est inélastique.
L’inélasticité fait référence à un produit que les gens désirent ou dont ils
ont besoin – peu importe son prix.
(3)
L’entreprise idéale vend un produit qui ne peut pas facilement être substitué
ou copié. Cela signifie que son produit est un original, ou qu’il peut faire
l’objet d’un dépôt de brevet ou d’un droit d’auteur.
(4)
L’entreprise idéale a un besoin limité d’employés. Ce dont on parle beaucoup
aujourd’hui sont les corporations virtuelles, qui consistent en un bureau
depuis lequel travaillent trois directeurs, et dont tous les services liés à
la manufacture sont confiés à d’autres sociétés.
(5)
L’entreprise idéale a des frais généraux peu élevés. Elle n’a pas besoin
d’une infrastructure coûteuse, ne requiert pas d’importantes quantités
d’électricité, de publicité ou de conseils légaux. Elle n’a pas besoin
d’employés qui coûtent cher, ni d’énormes inventaires.
(6)
L’entreprise idéale n’a pas besoin de faire de gros empruntes ou d’investir
sur trop d’équipement. En d’autres termes, elle ne lie pas votre capital
(l’une des raisons pour lesquelles les nouvelles entreprises font faillite
est souvent la sous-capitalisation).
(7)
L’entreprise idéale ne lie pas votre capital à des termes de crédit
complexes.
(8)
L’entreprise idéale est relativement libérée de toute forme de régulation
gouvernementale et industrielle, mais aussi de restrictions (si vous dirigez
votre propre entreprise, vous savez certainement ce que je veux dire par là).
(9)
L’entreprise idéale est portable ou peut être déplacée. Cela signifie que
vous pouvez l’installer (ainsi que vous-même) où vous le voulez – dans le
Nevada, en Floride, au Texas, dans le Dakota (aucun de ces Etats n’a d’impôts
sur le revenu), ou encore à Monte Carlo, en Suisse ou dans le sud de la
France.
(10)
Point crucial qui est souvent laissé de côté, l’entreprise idéale satisfait
vos besoins intellectuels (et souvent émotionnels). Rien de tel que d’être
fasciné par ce que vous faîtes. Si c’est votre cas, alors vous ne travaillez
plus, vous vous amusez.
(11)
L’entreprise idéale vous offre du temps libre. En d’autres termes, elle n’a
pas besoin de votre attention pendant douze, seize ou dix-huit heures par
jour (ma femme, qui est avocate, part de la maison à 6h30 tous les matins et
rentre à 18h30 tous les soirs. Elle sait de quoi je parle).
(12)
Point important : l’entreprise idéale ne laisse pas vos revenus être limités
par votre production personnelle (un problème qu’ont les médecins et les
avocats). L’entreprise idéale vous permet de vendre à 10.000 clients aussi
simplement que vous pouvez vendre à un seul (l’édition est un autre exemple).
Et
c’est tout. En utilisant cette liste, vous pourrez parvenir à contourner
l’hypocrisie, les souhaits et les rêves de ce que vous recherchez vraiment
dans la vie et dans le travail. Aucun d’entre nous ne dirige ou ne travaille
pour une entreprise idéale. Mais il est bon de savoir ce que nous cherchons.
Comme l’un de mes amis l’a un jour dit, « je ne peux pas pondre et je ne
sais pas cuisiner, mais je sais à quoi ressemble une bonne omelette ».
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