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Le "parti libéral", cet inconnu.

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Publié le 12 octobre 2016
3609 mots - Temps de lecture : 9 - 14 minutes
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Rubrique : Editorial du Jour

 

"D'où vient que le parti libéral, qui, au temps des Cobden, des J.-B. Say, des Bastiat, etc., paraissait avoir la victoire assurée à bref délai, n'existe même plus maintenant, dans la plupart des États du continent européen ?"

Cette interrogation est tirée d'un texte de Vilfredo Pareto en date de juin 1897 et a anticipé sur la situation que nous connaissons aujourd'hui, où rien n'a changé à 120 ans d'intervalle, en prévision de l'élection présidentielle de mai 2017.

Le billet qui suit, s'intéresse d'abord à la réponse qu'avait proposée Pareto à sa question sur le "parti libéral" ...

"Vous êtes un vaillant, vous continuez à lutter pour la liberté, vos écrits et vos conférences sont remplis de bon sens pratique, mais vous devez vous-même avoir des doutes sur l'issue du combat.

Pour moi, je suis tenté de croire que la partie est bien à peu près perdue, sauf en Angleterre et peut-être en Suisse.

Pour le reste de l'Europe, il se pourrait que le triomphe du socialisme ne fût qu'une question de temps.

Au reste observez bien que déjà maintenant la lutte n'existe plus qu'entre différentes sectes socialistes.

En Allemagne, c'est le socialisme impérial et militaire qui combat le socialisme populaire.

En Italie et en France, celui-ci est aux prises avec le socialisme protectionniste.

Avez-vous quelques préférences pour une de ces sectes ?

Moi, je n'en ai pas ; et, en tous cas, ce n'est pas le socialisme des gouvernements que je défendrais.

Quant aux libéraux, je les cherche en vain.

Il y a bien quelques chefs, tels que Herbert Spencer et notre bon ami M. de Molinari, mais les simples soldats, où sont-ils ?

A chaque élection, on voit augmenter le nombre des députés socialistes ;

il est vrai que le nombre des députés libéraux ne diminue pas, mais c'est par l'excellente raison qu'il y a longtemps que ce nombre est zéro.

La plupart des jeunes gens que je connais en Italie et ailleurs sont ou des opportunistes ou des socialistes ; inutile de vous dire que je préfère de beaucoup ces derniers qui peuvent se tromper, mais qui, au moins, ont des intentions honnêtes et généreuses.

D'où vient que le parti libéral, qui, au temps des Cobden, des J.-B. Say, des Bastiat, etc., paraissait avoir la victoire assurée à bref délai, n'existe même plus maintenant, dans la plupart des États du continent européen ?

Ce fait tient à un grand nombre de causes, qu'il serait trop long d'exposer ici ;

mais il en est une qui, bien que secondaire, me semble assez importante, et de laquelle je voudrais un peu vous entretenir.

Le grand tort, à mon avis, du parti de la liberté économique a été, et est encore actuellement, de ne pas être un parti politique.

Quand on fait de la science pure, on peut et l'on doit faire de l'analyse, c'est-à-dire on peut et l'on doit séparer une question des autres et l'étudier à part.

Personne plus que moi n'est porté à reconnaître ce principe ; j'ai écrit tout un traité d'économie politique dans lequel je déclare ne vouloir résoudre aucune question pratique.

Mais quand on sort de la théorie et qu'on veut donner des règles pour la vie réelle, il faut faire de la synthèse.

Que m'importe que le libre-échange me fasse gagner 10 francs, si l'on me reprend cette somme en augmentant les impôts ?

Les plus belles théories ne valent rien si le résultat final est mauvais je vis de bonne soupe et non de beau langage.

On peut espérer de se faire des partisans en disant :

« Venez avec nous, vous paierez votre sucre de 30 à 40 centimes, comme des Anglais, au lieu de le payer 1 fr. 10. »

Mais qui veut-on persuader si l'on dit :

« Donnez-vous beaucoup de peine, faites des sacrifices ; vous continuerez, il est vrai, de payer votre sucre 1 fr. 10 ; seulement vous aurez la satisfaction, le plaisir, le bonheur de savoir que ce sera à cause d'un droit fiscal et non d'un droit protecteur. »

Une telle distinction est utile et justifiée en théorie, elle est absurde en pratique.

Ne s'occupant pas de politique, le parti de la liberté économique a eu, il est vrai, l'avantage de recruter assez promptement un grand nombre d'adhérents ; mais il a perdu en force et en intensité de conviction ce qu'il gagnait en extension.

Il s'en console en plaisantant agréablement ses adversaires ; tels les Grecs, vaincus par les Romains, se consolaient en comptant les solécismes que faisaient leurs maîtres.

Lorsque éclatent les scandales qui sont une conséquence inévitable du socialisme d'État, les libéraux, bien loin de profiter de l'occasion pour faire connaître les avantages de leur doctrine, baissent pudiquement les yeux, ils se taisent, se cachent et semblent vraiment ne rien craindre tant que d'avoir trop raison.

En réalité la plupart des gens qui se disent libéraux sont tout simplement les défenseurs des intérêts des hautes classes sociales ; mais celles-ci sont loin de se rallier aux doctrines libérales, elles veulent plus et mieux que de conserver simplement ce qui leur appartient ; elles entendent jouir de tous les bienfaits du socialisme bourgeois et protectionniste, et ne se soucient guère que des gens qui peuvent les aider à s'approprier les biens d'autrui.

Elles ne méprisent pas absolument les louanges que les économistes soi-disant libéraux donnent au luxe des riches ; mais franchement ce ne sont là que viandes creuses en comparaison des bons droits de douane, des bonnes primes de fabrication, des privilèges et monopoles de tous genres qu'elles obtiennent de messieurs les politiciens.

Les pseudo-libéraux n'ont pas peu contribué, les socialistes aidant, à créer la légende qui fait de l'économie politique l'ennemie des classes populaires, et la réduit au rôle d'une sorte de casuistique au service des riches.

On est surpris et peiné de voir des personnes de talent croire à de pareilles sornettes.

C'est ainsi qu'un illustre savant, dont je ne parlerai certes qu'avec le plus grand respect, M. Berthelot, vient, dans un récent discours, de prononcer les paroles suivantes :

« Loin de nous surtout ces doctrines égoïstes du laisser-faire et du laisser-passer, qui supprimeraient toute intervention des lois scientifiques dans la direction des sociétés, aussi bien que le mot fatal prononcé jadis, du haut de la tribune, comme le but suprême de la vie sociale : « Enrichissez- vous ». »

Que dirait M. Berthelot, si quelqu'un confondait la théorie du phlogistique avec la théorie atomique moderne ?

Eh bien ! c'est une confusion semblable qu'il fait, en mêlant les élucubrations des économistes de l'école optimiste avec la science économique.

Il s'imagine probablement que le « Laisser-faire, laisser-passer » est une sorte de fétiche qu'adorent certains sauvages.

Il ignore certainement que le théorème qui prouve que la libre concurrence conduit au maximum de bien-être est tout aussi bien démontré qu'un théorème de mécanique rationnelle.

Il ignore que le théorème, qui fait voir que tout transport indirect de richesse, de certains individus à certains autres, est accompagné d'une destruction de richesse, repose sur des preuves tout aussi certaines que celles qui servent à prouver le second principe de la thermodynamique.

Quand on veut appliquer ces théorèmes à l'agrégat social, il s'écrie que l'on veut exclure la science de la direction des sociétés ; alors, quand on appliquera les principes de la thermodynamique aux machines à vapeur, M. Berthelot se plaindra «qu'on veut exclure la science de la construction de ces machines».

N'est-il pas profondément regrettable qu'un savant, qui, à juste titre, jouit d'une aussi grande autorité, parle ainsi de ces matières, sans tâcher de se rendre au moins compte du sens précis qu'ont les théories qu'il condamne?

L'égoïsme du « Laisser-faire, laisser-passer » !

Ah ! oui vraiment, c'est par égoïsme que Bastiat demandait que le peuple ne fût pas spolié au moyen des droits de douane ?

C'est par égoïsme que Cobden et ses amis ont délivré le peuple anglais des rentes qu'il payait aux landlords ?

M. Berthelot n'est-il jamais allé en Angleterre, n'a-t-il jamais lu un livre traitant des conditions économiques de ce pays ?

Ignore-t-il donc vraiment que c'est parce qu'on « laisse passer », en Angleterre, le blé, la viande, le sucre, que les ouvriers de ce pays jouissent de beaucoup plus de bien-être que les ouvriers du continent européen ?

Dans quelle partie du monde se trouvait-il, lorsqu'on mit, en France, un droit d'entrée sur le pain, pour empêcher les ouvriers d'en acheter en Belgique ?

M. Berthelot n'a qu'à lire l'excellente étude de M. G. François : Trente années de libre-échange en Angleterre, et il apprendra que le « laisser-faire, laisser-passer » peut avoir du bon.

Mais les leçons de choses sont les meilleures.

Que M. Berthelot aille en Angleterre, et il verra que les enfants des ouvriers et des paysans mangent des confitures ; qu'il se rende, après, en Italie, et il s'apercevra que seuls les enfants des riches peuvent manger des sucreries.

Sait-il pourquoi ?

Parce qu'en Angleterre le sucre coûte 40 centimes le kilogramme, et en Italie 1 fr. 80.

Maintenant, si M. Berthelot ignore le motif de cette différence de prix, je puis le lui faire connaître: c'est qu'en Angleterre, on « laisse passer » le sucre à la frontière, tandis qu'en Italie on l'arrête, pour enrichir messieurs les fabricants et raffineurs de sucre ; lesquels, il est vrai, partagent avec les politiciens.

Nous, libéraux, faisons preuve d'égoïsme, parce que nous demandons qu'on cesse de spolier ainsi le peuple ;

nous faisons preuve d'ignorance, parce que nous repoussons, pour la direction des sociétés, cette science dont le vrai nom est :

la science de la spoliation, tandis que ces bons petits saints qui s'enrichissent des bienfaits de la protection et du socialisme d'État sont des vivants exemples du plus pur amour du prochain !

Quant au conseil de s'enrichir, il faut distinguer.

M. Berthelot croit-il vraiment qu'un individu ne puisse s'enrichir si ce n'est en s'appropriant les biens d'autrui ?

Ce serait remonter, en économie politique, encore plus haut qu'on ne remonterait, en chimie, en adoptant la théorie du phlogistique !

Mais il est un autre moyen de s'enrichir, qui ne fait de tort à personne et est extrêmement favorable à toute la société: c'est de créer des utilités.

C'est ainsi que des peuples entiers s'enrichissent.

Comment un peuple pourrait-il s'enrichir, si chaque individu dont il se compose s'appauvrissait ?

C'est seulement grâce à cet accroissement de la richesse des peuples que le progrès a été possible ; sinon nous vivrions encore comme nos ancêtres anthropophages.

C'est parce qu'ils manquent d'aliments, que bien des peuples sauvages tuent leurs vieillards ;

c'est parce que nous ne sommes pas encore assez riches que nous ne pouvons secourir tous les faibles.

Il faut donc répéter encore ce conseil de s'enrichir, par des moyens honnêtes s'entend ; car si nos sociétés étaient plus riches, la question d'une pension de retraite aux vieillards serait immédiatement résolue.

Mais à quoi bon prouver à nos adversaires qu'ils ont tort ?

Ils s'en vont répétant sans cesse des propositions sans cesse réfutées.

Les avez-vous jamais vus venir répondre à vos conférences ?

Ont-ils jamais pu nier les faits, réfuter les raisonnements par lesquels vous faisiez voir les maux de la protection ?

Ils sont trop prudents pour oser même l'essayer.

Ils se doutent bien un peu que ni l'expérience ni la logique ne sont au nombre de leurs alliés, et c'est à la passion qu'ils font appel, non à la raison.

Du reste, c'est probablement pour cela qu'ils vaincront. R

ien ne prouve qu'ils ne parviennent à réduire nos sociétés à quelque état semblable à celui de l'ancien Pérou.

Nos descendants en verront de belles !

Pour ma part, je n'envie certes pas leur bonheur.

[Le monde économique, 5 juin 1897.]

Pour bien comprendre le texte, il faut avoir à l'esprit ce qu'avait écrit Pareto quelques temps auparavant [cf. ce texte de février 2014 sur un texte intitulé "Ce maudit laissez-faire" et publié dans Le monde économique, 23 et 30 septembre, 7 octobre 1893].

J'y ajouterai cette fois le texte intitulé "La marée socialiste", écrit en décembre 1899, et que voici :

                       LA MARÉE SOCIALISTE

Il est incontestable que lentement mais sûrement la marée socialiste monte dans presque tous les pays en Europe.

Le socialisme d'État ouvre la voie au socialisme révolutionnaire.

Les impôts augmentent d'une manière vertigineuse : l'Angleterre a un impôt progressif sur les héritages, ce même impôt se retrouve dans quelques cantons de la Suisse, accompagné d'un impôt progressif sur le revenu, impôt que n'a pas encore l'Angleterre, mais qu'on finira probablement par établir en France.

Une fois le principe admis, la force même des choses pousse à en exagérer l'application, et bien des personnes ne dissimulent nullement le but auquel elles tendent de la sorte ;

ce but est tout simplement la spoliation complète des riches, ou pour mieux dire, de toute personne aisée.

Les empiétements sur la liberté individuelle ne se comptent plus.

Une législation dite sociale soumet tous les actes de notre vie aux tracasseries d'une bureaucratie, dont les pouvoirs augmentent toujours, ainsi que le nombre de ses membres et la somme dont elle émarge au budget.

Chacun s'ingénie à trouver quelque nouvelle fonction pour l'État ; heureux s'il peut ainsi augmenter un peu le nombre des parasites que nourrit la société.

De braves gens, qui feraient peut-être mieux de s'occuper de leurs affaires, veulent régenter notre boire et notre manger.

Nous n'aurons bientôt plus la liberté de boire un verre de vin, ni de manger un morceau de viande, ni de fumer une cigarette.

Si vous croyez que j'exagère, lisez les comptes rendus des congrès antialcooliques, des associations contre l'abus du tabac, voyez les expériences de certains docteurs qui font mourir dans des convulsion de malheureux cobayes, en leur injectant du vin et des liqueurs, entendez ces autres sages qui vous disent que nous mangeons beaucoup trop, qu'une même surface de terre peut nourrir une population plus considérable, si celle-ci mange du pain au lieu de viande, et que manger de la viande est un luxe antipatriotique et antisocial dont nous devons nous abstenir.

On nous permet encore le pain, mais vous verrez que bientôt on voudra nous réduire à l'usage des pommes de terre.

L'État ne doit pas seulement régler notre nourriture, il doit aussi régenter notre reproduction.

A l'amende, l'individu qui ne se marie pas à l'amende, celui qui n'a pas le nombre d'enfants fixé par la loi.

En vérité, c'est comique : décrétera-t-on chaque année le nombre d'enfants qui doivent être procréés, comme on vote annuellement le budget?

La condamnation au mariage prendra-t-elle place parmi les peines qu'inflige le Code pénal ?

Il serait injuste de mettre à l'amende, parce qu'elles ne se marient pas, les filles qui n'ont d'autre désir que de convoler en justes noces mais qui ne trouvent pas d'époux.

Il faut au moins tâcher de leur en procurer.

D'autre part, il serait dur d'obliger un honnête homme d'épouser une fille publique qui se retire après fortune faite, ou quelque honnête laideron d'humeur acariâtre.

Une semblable peine doit être réservée aux délinquants.

On ne s'occupe pas seulement de notre santé physique, d'autres braves gens sont pleins de souci pour notre santé intellectuelle.

Défense au père de famille de faire instruire ses enfants par des maîtres de son choix.

Il paraît même que c'est là une mesure éminemment libérale.

Ne me demandez pas pourquoi, car je serais incapable de vous l'expliquer.

Défense d'exprimer une opinion sous peine d'être destitué, si l'on appartient à une administration de l'État.

Comme bientôt tout le monde sera fonctionnaire, il ne restera plus que les gens sans aveu pour former l'opinion publique.

La mort même ne met pas un terme à cet état de sujétion.

L'exagération du taux des impôts a obligé plusieurs pays d'établir l'inventaire obligatoire après décès, et cette mesure devra tôt ou tard être adoptée par d'autres pays où les impôts deviennent plus pesants d'année en année.

A peine un malheureux a fermé les yeux, sa maison est envahie et l'on estime ses hardes et ses effets.

C'est ce consolant spectacle qu'à ses derniers moments il peut avoir devant les yeux.

C'est ainsi que, depuis la naissance jusqu'à la mort, une main de fer s'appesantit sur nous et tâche de briser en nous tout ressort d'énergie individuelle.

Quand on aura de la sorte façonné au joug notre race, comme les jésuites avaient élevé pour la servitude les Indiens du Paraguay, la poire sera mûre et les socialistes pourront la cueillir.

Pour ma part, j'estime fort les socialistes, parce qu'ils savent ce qu'ils veulent et qu'ils le disent clairement.

Si les bourgeois ne savent pas qu'on veut les exproprier, il faut vraiment qu'ils n'aient ni yeux pour lire, ni oreilles pour entendre.

Les socialistes acceptent toutes les concessions des bourgeois, mais n'en font aucune ; ils disent et répètent loyalement à qui veut les entendre, qu'ils ne céderont jamais rien. Ces bons bourgeois, ils veulent à tout prix payer les verges dont on les frappe.

Ils entretiennent de leurs deniers des institutions où l'on enseigne que le bourgeois est l'ennemi public et qu'il faut l'exterminer.

C'est avec leurs ressources que l'on fonde des universités populaires, dont les socialistes s'emparent aussitôt dans un but de propagande.

J'avoue qu'il m'est difficile d'avoir beaucoup d'estime pour ces gens mous, veules, niaisement sentimentaux, qui ne savent pas se défendre.

Ils me rappellent les assiégés de Jérusalem qui, le samedi, demeuraient dans l'inaction, tandis que le bélier romain ébranlait leurs remparts.

Est-il possible qu'il y ait des gens ayant assez peu de sang dans les veines pour chanter des hymnes à la « solidarité sociale », quand, au nom de cette solidarité, on veut les dépouiller de leurs biens et réduire à la misère leurs enfants?

Qu'est-ce que cette « solidarité sociale » dont on nous rebat incessamment les oreilles ?

On l'invoque fort souvent pour prendre, mais bien rarement pour donner.

L'individu qui a dix francs par jour se sent solidaire avec celui qui en a vingt, mais ne l'est nullement avec celui qui en a deux.

Le membre d'un syndicat n'est pas solidaire avec le malheureux auquel il fait payer les aliments le double du prix qu'établirait la libre concurrence, il n'invoque les sentiments de solidarité que lorsqu'il veut dépouiller plus riche que soi.

Ces invocations à la solidarité sociale, au progrès social, ne sont, le plus souvent, que pure hypocrisie, et il faudrait un Pascal pour mettre à nu les fort vilaines choses qui se cachent sous ces termes redondants.

Mais telle est la puissance des mots que personne n'ose exprimer franchement son avis là-dessus.

Au moyen âge, on craignait d'être hérétique, au temps de la révolution française, on craignait d'être aristocrate, maintenant on craint d'être soupçonné de tiédeur envers les sacro-saints principes de la solidarité sociale, de la justice sociale et d'autres belles choses sociales.

Un discours n'est pas complet si on ne leur rend hommage, il faut absolument les nommer, il y a d'ailleurs, pour cela, des clichés tout faits.

Par exemple, en proposant une mesure, n'importe laquelle, fût-ce même une simple prime pour les pores gras, on conclura en disant que cela « contribuera un peu à augmenter la somme de la justice sociale».

Quand, dans un siècle, on relira ce qui s'écrit aujourd'hui là-dessus, on sera étonné de voir que des hommes, d'ailleurs intelligents, aient pu enfiler les uns à la suite des autres des mots qui ne signifient rien du tout.

La bourgeoisie, qui n'a pas le courage de combattre les socialistes, a maintenant pris pour mot d'ordre de nier leur puissance.

Elle ferme volontairement les yeux et tâche de se persuader et de persuader aux autres que les socialistes ne sont nullement dangereux. Tels étaient ses ancêtres avant 1789.

Taine décrit fort bien cet état des esprits : « Les grands mots... sont si beaux et en outre si vagues.

Quel coeur peut s'empêcher de les aimer et quelle intelligence peut en prévoir toutes les applications ?

D'autant plus que jusqu'au dernier moment, la théorie ne descend pas des hauteurs, qu'elle reste confinée dans ses abstractions, qu'elle ressemble à une dissertation académique, qu'il s'agit toujours de l'homme en soi, du contrat social, de la cité imaginaire et parfaite ».

Mais est-il encore permis de citer Taine ?

Le jour n'est peut-être pas loin où ses oeuvres seront brûlées avec celles d'Adam Smith... au nom de la liberté.

C'est un signe d'imminente décadence pour une société quand elle ferme volontairement les yeux sur les dangers qui la menacent et compte, pour se sauver, non sur sa propre énergie, mais uniquement sur les dissensions de ses adversaires.

Les socialistes bavarois ne s'entendent guère avec les socialistes prussiens, c'est vrai, mais les Girondins se chamaillaient fort aussi avec les Montagnards et cela n'a nullement retardé la victoire qu'ils ont remportée ensemble sur leurs communs adversaires.

Nos socialistes peuvent bien se disputer entre eux, pourtant ils seront toujours d'accord pour donner l'assaut à la société bourgeoise, et ce n'est que sur ses propres forces que celle-ci peut compter pour se défendre.

Mais bien qu'elle le puisse encore, elle ne le sait ni ne le veut, et elle est en train de se suicider.

L'avenir dira si elle sera remplacée par une société meilleure ou si la crise qui se prépare n'aboutira qu'à faire rétrograder la civilisation.

[Le monde économique, 16 décembre 1899, p. 769-771.]

L'avenir continue... et l'invention ou les innovations par les gens survenues entre temps au XXème siècle font en sorte que la société semble être améliorée pour les uns et que, malgré la crise perpétuelle, la civilisation pas trop rétrogradée pour les autres.

 

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Georges Lane enseigne l’économie à l’Université de Paris-Dauphine. Il a collaboré avec Jacques Rueff, est un membre du séminaire J. B. Say que dirige Pascal Salin, et figure parmi les très rares intellectuels libéraux authentiques en France. Publié avec l’aimable autorisation de Georges Lane. Tous droits réservés par l’auteur
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