On pensait que l'€uro avait mis fin aux réglementations de monnaie de toute
nature: même dans ce cas, il n'en est rien.
Avec Chypre, les dirigeants de l'€uro ouvrent la voie au retour de la vraie
dévaluation, celle qui détruit - au sens premier du mot - de la monnaie du
pays.
1. Dévaluation d'une monnaie.
En taux de change fixes, la dévaluation d'une monnaie décidée réglementairement
par un gouvernement attestait pour les détenteurs de la monnaie en question:
- primo, pas de variation des prix des biens dans la monnaie,
- secundo, pas de variation des quantités de monnaie unitaires,
- tertio, pas de variation de la quantité totale de la monnaie.
Pour les détenteurs des monnaies étrangères, il était question
- primo, d'une diminution des prix des biens dans la monnaie en question,
- secundo, d'une diminution des quantités de monnaie unitaires en question,
- tertio, d'une diminution de la quantité totale de la monnaie.
Pour les banques, organismes jumeaux de la monnaie, la décision de la
dévaluation de la quantité de monnaie totale pouvait se faire de deux grandes
façons comptables :
- soit on augmente l'actif des actifs étrangers au bilan des banques, en
termes de prix de la monnaie, c'est la "dévaluation augmentation ou
prix",
- soit on diminue l'actif et le passif nationaux du bilan des banques, en
termes de quantité de la monnaie, c'est la "dévaluation diminution ou quantité".
C'était l'un ou l'autre, ce n'était pas l'un et l'autre.
L'augmentation des actifs étrangers - la "dévaluation augmentation ou
prix" - était directe et bien connue avant que fût instaurée
l'interdiction de convertibilité des substituts de monnaie bancaires en
monnaie or (depuis la décennie 1930 pour les particuliers et les entreprises
et, depuis 1971-73, pour les agents dits officiels).
La diminution de l'actif et du passif des titres nationaux - la
"dévaluation diminution ou quantité" - était variée.
Elle faisait intervenir des clés de diminution. Par exemple:
- soit il y avait un taux uniforme, égal, de diminution pour tous les
détenteurs,
- soit il y avait des taux inégaux.
Soit dit en passant, en taux de change variables, les éléments se faisaient
au fur et à mesure dans les sens indiqués sans que personne ne s'en formulât.
2. L'illusion monétaire.
A sa façon, la diminution de la quantité totale de la monnaie à quoi donnait
lieu la dévaluation, quelle qu'en soit sa définition, tendait à ramener la
quantité en question à ce qu'elle aurait dû être, malgré ou à cause du
gouvernement, et qui aurait évité l'augmentation des prix des biens en
monnaie.
Mais pour le peuple soumis à la "dévaluation augmentation ou prix",
il n'y avait pas diminution observable de la quantité de monnaie car celle-ci
ne variait pas, même si les monnaies étrangères donnaient l'impression
d'avoir augmenté en termes de prix.
Pour le peuple soumis à la "dévaluation diminution ou quantité", il
en était différemment.
3. Valeur de la monnaie.
Prix des biens en monnaie, quantités de monnaie unitaires et quantité de
monnaie totale vont donc de pair de ce point de vue de la valeur de la
monnaie, notion économique mal comprise aujourd'hui.
En effet, la dévaluation d'une monnaie procède de sa "valeur".
Jusqu'à récemment, la valeur d'une monnaie - en anglais, "currency" - n'était rien d'autre que la quantité du
bien matériel qu'elle cachait.
Avec les innovations monétaires, il avait donné lieu en Angleterre à un débat
entre "currency school"
et "banking school",
qui ne semble pas avoir eu d'influence en France.
Avec l'interdiction ultérieure de la convertibilité en monnaie or des
substituts de monnaie bancaires - billets ou dépôts bancaires -, ce qu'on
dénomme "valeur de la monnaie" est devenue pour le moins compliquée
à comprendre.
Valeur objective ou valeur subjective ?
4. L'€uro.
L'€uro est aujourd'hui une monnaie.
Mais, à l'origine (1999-2002), c'est le nom donné au résultat de la réduction
réglementaire d'un certain nombre de monnaies nationales en une nouvelle
monnaie, régionale, dénommé "€uro".
L'€uro a eu pour conséquence réglementaire que les taux d'échange des
monnaies, les "taux de change", ont été fixés une fois pour toutes.
Avant sa réduction en €uro, chaque monnaie avait une quantité ... de monnaie,
des prix des biens en monnaie, des quantités de monnaie unitaires qui
pouvaient s'échanger contre d'autres monnaies et ne laissaient pas
indifférents.
Etant donné les taux de change fixés réglementairement, chaque quantité de
monnaie a été transformée en une quantité de monnaie €uro et l'ensemble des
quantités des monnaies est devenu ainsi la quantité de monnaie €uro.
Pour leur part, les prix en monnaie des biens devenus en monnaie €uro ont
continué à être échangés, apparemment de façon voisine...
L'€uro, c'est donc des taux de change de monnaies nationales fixés
définitivement - dont les officiels ne parleront plus... -, avant d'être une
quantité de monnaie totale.
Reste que, dans le cadre de l'€uro, rétrospectivement, rien ne justifie de ne
pas s'inquiéter des taux de change de chacune des monnaies d'hier.
Il faut savoir que le principe de fixation des taux de change échappe jusqu'à
présent à la connaissance de l'économie politique... (même si Jacques Rueff a
pu écrire, il y a près d'un siècle (1922), un article intitulé Le
change, phénomène naturel qui a été présenté par Emile Borel à
l'Académie des sciences et qui a laissé entendre qu'aucune réglementation
d'aucune sorte ne saurait s'opposer à la Nature).
5. La valeur de l'€uro.
La valeur de l'€uro, c'est donc
- primo, des prix des biens en monnaie,
- secundo, des quantités de monnaie unitaires,
- tertio, une quantité totale de monnaie et
- quarto, des taux de change avec les autres monnaies échangeables
internationalement qui ont survécu.
L'€uro a contribué à donner naissance à des prix des biens en monnaie €uro et
des quantités de monnaie €uro unitaires.
Les prix des biens en monnaie cachent un niveau des prix ou un pouvoir
d'achat selon certains (cf. I. Fisher 1911) alors que les taux de change ne
cachent rien de ce type.
Les taux de change de la monnaie €uro avec les autres monnaies échangeables mondialementvarie à chaque instant.
Ces taux de change n'ont pas d'étalon. Il s'ensuit que l'€uro est compliqué
entre autres pour cette raison.
6. Le cas de Chypre.
Etant donné ce qui précède, force est de reconnaître qu'avec ce qui vient d'être
convenu pour le cas de Chypre qui n'a plus de monnaie propre - Chypre est un
pays de la zone €uro -, c'est la "dévaluation
diminution ou quantité" qui a été adoptée.
Peu importent les réglementations y afférant.
7. Un dernier mot
Les dirigeants de la zone euro lèvent ainsi le voile : tout pays de la zone
€uro jugé en difficulté par leurs soins est susceptible de se voir embarquer
dans une dévaluation de ce type.