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1. Les
problèmes de l'économie socialiste dynamique
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Le résultat des enquêtes menées dans les
précédents chapitres est d'avoir montré à quelles
difficultés se heurtait l'édification d'une économie
socialiste. Dans la communauté socialiste manque la possibilité
d'une comptabilité économique, de sorte qu'il est impossible de
déterminer le coût et le rendement d'une action
économique et de prendre le résultat du calcul comme norme de
l'action. Cette seule raison suffirait déjà à montrer
que le socialisme est irréalisable. Mais outre cela, un second obstacle,
infranchissable, s'oppose encore à sa réalisation. Il est
impossible de trouver une forme d'organisation rendant l'activité
économique de l'individu indépendante de la collaboration des
autres camarades, sans faire de cette activité un jeu de hasard
d'où toute responsabilité serait exclue. Tant que ces deux
problèmes ne seront pas résolus, le socialisme dans une
économie qui ne serait pas à l'état complètement
statique apparaîtra impossible et irréalisable.
Jusqu'ici,
on a prêté trop peu d'attention à ces deux questions
capitales. La première de ces questions a été presque
ignorée, parce qu'on n'arrivait pas à se défaire de
l'idée que le temps de travail pouvait servir d'échelle pour mesurer
la valeur. Mais beaucoup de ceux qui ont reconnu que la théorie de la
valeur-travail était insoutenable, persistent à croire que l'on
peut mesurer la valeur. Les nombreux essais tentés pour
découvrir un étalon de la valeur en sont la preuve. Il fallait
reconnaître l'impossibilité de mesurer la valeur et saisir le véritable
caractère des rapports d'échange s'exprimant dans les prix du
marché, pour pouvoir pénétrer le problème de la
comptabilité économique. Pour découvrir ce
problème – qui est l'un des plus importants –, il fallait
employer les moyens fournis par l'économie de la valeur marginale de
notre époque. Dans la vie quotidienne d'une économie nationale
en marche vers le socialisme, mais non encore foncièrement socialiste,
ce problème n'était pas encore d'une actualité si
pressante, qu'on eût été forcé de l'apercevoir.
Pour le second
problème, il n'en est pas ainsi. Plus l'exploitation socialiste
s'étendait, et plus l'attention publique était attirée
sur les mauvais résultats commerciaux des entreprises
étatisées ou communalisées. Et l'on était bien forcé
de voir d'où venait le mal. Un enfant l'aurait vu. On ne peut pas dire
qu'on ne se soit pas occupé de ce problème, mais on l'a fait
d'une manière vraiment insuffisante. On a méconnu le
caractère organique du problème; on a pensé qu'on s'en
tirerait en choisissant mieux les personnes et les qualités de ces
personnes. On n'a pas voulu observer que même des hommes brillamment
doués et d'une haute valeur morale ne pouvaient répondre aux
tâches qu'impose la direction économique socialiste.
2. Essais
pour résoudre ces problèmes
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Les adeptes de la plupart des fractions socialistes ne peuvent trouver
d'accès à ces problèmes, d'abord parce qu'ils continuent
à croire dur comme fer à la théorie de la
valeur-travail, et aussi à cause de leur conception de
l'activité économique. Ils n'ont pas le sentiment que
l'économie doit être toujours en mouvement. L'image qu'ils se
font de la communauté socialiste implique toujours pour eux une
situation statique. Tant qu'ils critiquent l'économie capitaliste, ils
s'en tiennent aux phénomènes d'une économie qui
progresse et dépeignent, avec des couleurs criardes, les conflits
issus des transformations économiques. Ils tendent du reste à
considérer tous les changements, et non seulement les conflits provoqués
par la réalisation de ces changements, comme une particularité
de la société capitaliste. Dans la félicité de
l'État de l'avenir, tout se passera sans mouvements ni heurts.
On discerne
très clairement ces tendances si l'on considère le portait du
chef d'entreprise, tel que l'esquisse d'ordinaire le socialisme. Un seul
trait caractérise l'entrepreneur aux yeux du socialisme, c'est qu'il
touche un revenu. Dans une analyse de l'économie capitaliste, ce n'est
pas le capital, ni le capitaliste, mais le chef d'entreprise qui devrait
être mis en vedette. Et pourtant le socialisme, y compris le marxisme,
voit dans l'entrepreneur un homme étranger à la production
sociale, dont toute l'activité se borne à accaparer des
bénéfices; il pense qu'il suffit d'exproprier ces parasites
pour instaurer le socialisme. Marx, et d'une manière encore plus
marquée, bien d'autres socialistes ont devant les yeux les souvenirs
historiques de l'affranchissement des serfs et de l'abolition de l'esclavage.
Mais la position du seigneur féodal était tout autre que celle
du chef d'entreprise. Le seigneur n'exerçait aucune influence sur la
production; il était en dehors de son processus. C'est seulement quand
la production était achevée, qu'il faisait valoir ses droits et
réclamait sa part. C'est seulement quand la production était
achevée, qu'il faisait valoir ses droits et réclamait sa part.
Le propriétaire foncier et le possesseur d'esclaves, par contre,
demeurèrent les directeurs de la production même après
l'abolition de la corvée et de l'esclavage. À partir de ce
moment, ils furent forcés de rémunérer
intégralement leurs ouvriers, mais cela ne changea rien à leur
fonction économique. Mais le chef d'entreprise remplit une tâche
dont quelqu'un, même dans la communauté socialiste, devrait
être chargé. C'est ce que le socialisme ne voit pas, ou feint de
ne pas voir.
L'inintelligence du socialisme en ce qui concerne le rôle de
l'entrepreneur dégénère en idiosyncrasie, dès que
le mot: spéculateur est prononcé. Sur ce point Marx, pourtant
animé de bonnes intentions, se montre tout à fait
« petit bourgeois ». Et ses disciples vont encore bien
plus loin. Tous les socialistes oublient que dans la communauté
socialiste aussi toute action économique doit s'adapter à un
avenir indéterminé et que son succès économique
reste encore incertain, même si cette action est techniquement
réussie. Dans l'insécurité qui mène à la
spéculation, ils voient une conséquence de l'anarchie dans la
production, alors qu'en réalité elle est une conséquence
de la variabilité des conditions économiques.
La grande masse est incapable de reconnaître que, dans
l'économique, il n'y a qu'un phénomène constant: le
changement. Elle considère l'état actuel des choses comme
éternel; il en a toujours été ainsi, il en sera toujours
de même. Mais même si la grande masse était capable de se
rendre compte que panta rei, elle n'en serait pas moins
désemparée en face des problèmes que pose à
l'action cet incessant écoulement de toute chose. Prévoir,
pourvoir, frayer des voies nouvelles ne fut jamais l'apanage que de
quelques-uns, des chefs. Le socialisme est la politique économique des
masses, à qui le caractère de l'économie est
entièrement étranger; les théories socialistes ne sont
que le précipité de leurs opinions sur la vie
économique. Les créateurs et les partisans du socialisme sont
des hommes étrangers à l'économie et, si l'on peut dire,
des hommes a-économiques.
De tous les socialistes, il n'est guère que Saint-Simon pour avoir
reconnu, dans une certaine mesure, le rôle du chef d'entreprise. Aussi
lui refuse-t-on parfois le nom de socialiste. Les autres ne
s'aperçoivent pas du tout que les fonctions remplies dans la
société capitaliste par le chef d'entreprise devront aussi
être remplies par quelqu'un dans la communauté socialiste. Les
écrits de Lénine sont à ce sujet tout à fait
caractéristiques. Selon lui, toute l'activité assumée
dans l'économie capitaliste par ceux auxquels il dénie le nom
de « travailleurs » se borne à « un
contrôle de production et de répartition » et
à « un enregistrement du travail et des
produits ». Cela pourrait être fait « par des
ouvriers armés, par l'ensemble du peuple armé »(1). Lénine fait ici très justement la
distinction entre ces fonctions des « capitalistes et
fonctionnaires » et le travail du personnel ayant reçu une
instruction technique supérieure. Naturellement, il profite de
l'occasion pour jeter une pierre dans le jardin de ce personnel
compétent, formé scientifiquement, pour qui il ne manque pas
d'afficher le mépris du snobisme prolétarien des marxistes pour
tout travail qualifié. « Le capitalisme, dit Lénine,
a réduit au strict minimum cet enregistrement, cet exercice d'un
contrôle; ce ne sont plus que des opérations très
simples, de surveillance et de notation accessibles à tous ceux qui
savent lire et écrire, faire les quatre opérations et
établir des quittances »(2). Donc nulle
difficulté pour rendre tous les membres de la société
capables de s'acquitter eux-mêmes de cette tâche(3).
Et c'est tout. C'est vraiment tout ce que Lénine trouve à dire
sur ce problème. Aucun socialiste n'y a ajouté un mot. Le
saute-ruisseau qui n'a observé de l'activité du chef
d'entreprise qu'une chose: c'est qu'il écrit sur le papier des lettres
de l'alphabet et des chiffres, a pénétré aussi loin dans
la connaissance de l'économie.
Aussi était-il tout à fait impossible à Lénine de
reconnaître pourquoi sa politique avait échoué. Sa vie et
ses lectures l'avaient tellement éloigné de la vie
économique, qu'il était, en face du comportement de la
« bourgeoisie », aussi étranger qu'un cafre peut
l'être en face de l'explorateur qui procède à des
mensurations géographiques. Lorsque Lénine constata qu'il
était impossible de continuer comme il avait commencé, il se
décida à faire appel aux spécialistes
« bourgeois » non plus sous la menace des
« ouvriers armés » mais en leur accordant de
« hauts appointements » pour une courte période
de transition; quand ils auraient mis en marche l'économie socialiste,
on pourrait se passer d'eux. Il pensait y arriver en un an(4).
Ceux des socialistes qui ne se représentent pas la communauté
socialiste sous une forme aussi centralisée que les socialistes
conséquents – forme aussi bien qui est la seule concevable
– croient que grâce à des mesures démocratiques
introduites dans les exploitations on pourra résoudre toutes les
difficultés que rencontre la direction de l'économie. Ils
croient possible de laisser aux différentes exploitations une certaine
autonomie, sans nuire à l'homogénéité de
l'économie et à l'exacte coopération de tous. Si dans
chaque exploitation, la direction est placée sous le contrôle
d'un comité d'ouvriers, il ne pourrait plus y avoir de
difficultés. Tous ces raisonnements sont spéciaux et
erronés. Les problèmes de la direction économique, qui
nous occupent ici, ne se posent guère à l'intérieur des
différentes exploitations; ils concernent surtout l'accord, la
cohésion à établir entre les rendements des différentes
exploitations en vue de l'ensemble de l'économie nationale. Il s'agit
de questions telles que: agrandissement, transformation, réduction,
suppression d'exploitations, ou création de nouvelles exploitations,
toutes questions qui ne pourront jamais être tranchées par les
ouvriers d'une seule exploitation. Les problèmes, que la direction
économique doit résoudre, débordent le cadre d'une
exploitation particulière. Le
socialisme étatique ou communal a fait suffisamment
d'expériences défavorables pour se trouver incité
à étudier de très près le problème de la
direction économique. Cependant, ce problème a
été examiné en certains pays avec aussi peu de soin que
par les bolchévistes en Russie. L'opinion générale voit
le vice capital des exploitations en économie socialiste dans le fait
qu'on n'y travaille pas « commercialement ». On
pourrait, d'après ce slogan, s'attendre à un jugement judicieux
sur la situation. L'esprit commercial fait en effet défaut à l'exploitation
socialiste et pour le socialisme, il s'agit donc ce combler cette lacune.
Mais ce n'est pas ainsi que ce slogan doit être compris. Ce slogan est
né dans le cerveau de « fonctionnaire »,
c'est-à-dire de gens pour qui toute activité humaine consiste
à remplir des obligations purement formelles et professionnelles. Les
fonctionnaires classent les degrés d'activité d'après
les examens et les années de service exigés pour habiliter tel
ou tel individu à exercer tel ou tel emploi. « Instruction »
et « ancienneté », tel est le bagage que le
fonctionnaire apporte dans sa « place ». Si le
rendement d'un corps de fonctionnaires s'avère insuffisant, il ne peut
y avoir à cela qu'une raison: c'est que les fonctionnaires n'ont pas
reçu l'instruction préparatoire qui leur était
nécessaire. On proposera donc de donner à l'avenir aux
candidats fonctionnaires une instruction préparatoire d'un nouveau
genre. Quand les fonctionnaires des exploitations socialistes auront
reçu une instruction commerciale, l'exploitation revêtira un
caractère commercial. Mais le fonctionnaire, à qui il n'a pas
été donné de pénétrer l'esprit de
l'économie capitaliste, n'a en vue que certains aspects
extérieurs de la technique commerciale: expédition rapide du
courrier et des affaires courantes, emploi de certains moyens auxiliaires
techniques, qui n'ont pas encore pénétré suffisamment
dans les bureaux officiels, par exemple: tenue des livres selon les
méthodes modernes, diminution de la paperasserie, etc. Sur quoi, les
« commerçants » font leur entrée dans les
bureaux des exploitations socialistes. Et l'on est tout étonné
qu'ils échouent, qu'ils échouent bien plus complètement
que ces juristes si vilipendés et qui eux au moins leur étaient
supérieurs par la discipline formelle.
Il n'est pas difficile
de montrer les erreurs contenues dans ce raisonnement. On ne peut pas
séparer la qualité de commerçant de la position de chef
d'entreprise dans l'économie capitaliste. Le sens commercial n'est pas
une qualité innée de la personne; seules les qualités
intellectuelles dont un commerçant a besoin, peuvent être
innées. Ce n'est pas davantage une faculté qu'on puisse
acquérir par l'étude. Seules les connaissances et
facultés dont un commerçant a besoin peuvent être
enseignées et apprises. On ne devient pas commerçant parce
qu'on aura fait un stage dans un commerce ou été
élève d'une école de commerce, parce qu'on aura quelques
notions de comptabilité, parce qu'on saura le jargon commercial, parce
qu'on connaîtra des langues étrangères et qu'on pourra
taper à la machine ou sténographier. Ce sont là toutes
choses dont l'employé de bureau a besoin. Mais l'employé de
bureau n'est pas un commerçant, malgré l'usage courant qui le
fait appeler « commerçant de profession ».
Finalement, on a
essayé de placer comme directeurs d'exploitations socialistes des
chefs d'entreprise qui avaient, pendant des années, donné des
preuves d'une heureuse activité. Ils n'ont pas fait mieux que les
autres, sans compter qu'il leur manquait cet ordre formel qui distingue les
fonctionnaires de carrière. Un chef d'entreprise, que l'on prive de la
position caractéristique qu'il occupait dans la vie économique,
cesse d'être commerçant. Il peut apporter dans sa nouvelle place
autant d'expérience et de pratique des affaires qu'il voudra, il n'y
sera plus qu'un fonctionnaire.
On n'obtiendra pas un
meilleur résultat en essayant de résoudre le problème
grâce à une réforme de la rémunération. On
se figure qu'en payant mieux les directeurs des exploitations socialistes, on
provoquera une concurrence pour l'obtention de ces places, qui permettra de
choisir les meilleurs. D'autres vont plus loin et croient qu'en assurant aux
directeurs une participation aux bénéfices on aplanira toutes
les difficultés. Il est significatif que jusqu'à présent
on n'ait guère réalisé cette proposition. Et pourtant,
il semble qu'on pourrait la mettre en pratique. Car tant qu'à
côté des exploitations socialistes il reste des entreprises
privées, on peut, grâce à la comptabilité économique,
déterminer les résultats atteints par l'exploitation
socialiste, ce qui ne sera plus possible dans la communauté socialiste
intégrale. Le problème n'est pas tant dans la participation du
directeur au bénéfice que dans sa participation aux pertes
causées par sa gestion. En dehors de la responsabilité morale,
on ne peut que pour une part minime rendre responsable des pertes le
directeur sans fortune d'une exploitation socialiste. Si d'une part il est
intéressé matériellement aux bénéfices et
d'autre part à peine intéressé aux pertes, c'est presque
un encouragement donné à son insouciance. Du reste,
l'expérience en a été faite non seulement dans les
exploitations socialistes mais aussi dans les entreprises privées,
partout où des employés sans fortune, placés à
des postes de direction, avaient droit à des tantièmes.
C'est renoncer
à résoudre les problèmes, qui nous occupent ici, que de
chercher à se consoler à l'idée que l'ennoblissement
moral des hommes, conséquence attendue de la réalisation des
plans socialistes, suffira à remettre toutes choses en ordre. Le
socialisme aura-t-il ou n'aura-t-il pas les conséquences morales qu'on
attend de lui? La question peut rester pendante. Car ce n'est pas de
l'imperfection morale des hommes que sont nés les problèmes
traités ici. Ce sont des problèmes qui ont pour objet la
logique de la volonté et de l'action, qui sont valables pour toute
action humaine sans restriction de temps ou de lieu.
3.
L'Économie capitaliste, seule solution possible
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Donc, tous les efforts socialistes ont échoué, nous l'avons
constaté, sur ces problèmes. Essayons cependant de chercher
maintenant quels moyens l'on pourrait employer pour les résoudre. Et
d'abord peuvent-ils être résolus dans le cadre du régime
socialiste?
Le premier pas
à faire serait de former, à l'intérieur de la
communauté socialiste, des sections qui auraient pour mission de
s'occuper de certaines branches des affaires. Tant que la direction de
l'économie socialiste viendra d'une instance unique, prenant seule toutes
les décisions et portant seule toute la responsabilité, le
problème ne pourra être résolu, tous les autres hommes
actifs n'étant que des instruments d'exécution, sans zone
d'action librement délimitée et donc sans responsabilité
particulière. Ce à quoi nous devons tendre est précisément
d'avoir la possibilité non seulement d'embrasser et de contrôler
l'activité dans son ensemble, mais aussi de considérer et de
juger séparément les diverses activités, qui s'exercent
dans des cadres plus restreints.
En procédant
ainsi, nous sommes d'accord avec tous les essais tâtonnants dans
l'obscurité qu'on a tentés jusqu'ici pour résoudre des
problèmes. Tout le mode se rend compte que l'on ne parviendra au but,
que si l'on introduit la responsabilité à tous les
échelons, en partant des plus bas. On partira donc d'une exploitation,
ou d'une branche d'affaires isolée. Peu importe l'unité qu'on
prendra pour base et pour point de départ. Peu importe que cette
unité soit plus ou moins grande. Le principe, que nous avons
employé pour décomposer le tout en unités, peut toujours
être employé à nouveau, lorsqu'il est nécessaire
de décomposer encore une unité trop grande. Beaucoup plus
importante que la question de savoir où et comment il faut pratiquer
la coupure, est celle de savoir comment malgré la décomposition
de l'économie en différentes parties l'unité de
coopération, indispensable à l'économie sociale, pourra
être maintenue.
Nous nous
représentons l'économie de la communauté socialiste
décomposée tout d'abord en un nombre quelconque de sections,
dont chacune est subordonnée à un directeur particulier. Chaque
directeur de section assume la pleine responsabilité de son action.
C'est-à-dire que le bénéfice, ou une partie notable des
bénéfices lui revient; d'autre part les pertes sont à sa
charge, en ce sens que les moyens de production qu'il a perdus par de
mauvaises mesures d'économie ne sont pas remplacés par la
société. Si sa gestion économique est
déficitaire, il cesse d'être directeur de section et rentre dans
la masse des autres camarades. Pour que cette responsabilité du
directeur de section ne soit pas illusoire, il faut que son action se
distingue nettement de celle des autres directeurs de section. Tout ce qu'il
demande à d'autres directeurs de section en fait de matières premières
ou de pièces demi-fabriquées, ou d'outils devant être
employés dans sa sections, tout travail qu'il fait effectuer dans sa
section sont inscrits à son débit. Tout ce qu'il livre à
d'autres sections ou à la consommation est inscrit à son
crédit. Pour cela, il est nécessaire qu'il ait le libre choix
pour décider quelles machines, quelles matières
premières, quelles pièces semi-ouvrées, quels ouvriers
il entend employer et quelles choses il entend produire dans sa section. S'il
n'en était pas ainsi, on ne pourrait pas lui imposer de
responsabilité. Car ce ne serait pas sa faute si, sur l'ordre de la
direction supérieure, il avait produit des choses qui, dans les
circonstances données, ne répondaient pas à un besoin, ou
si sa section était désavantagée pour avoir reçu
d'autres sections du matériel de production peu utilisable ou, ce qui
revient au même, trop coûteux. Dans le premier cas,
l'insuccès de sa section incomberait aux décisions de la
direction supérieure, dans le second à l'insuccès des
autres sections qui fabriquent du matériel de production. D'autre
part, il faut que la société puisse revendiquer pour
elle-même le même droit qu'elle concède au directeur de
section. C'est-à-dire que la société prend seulement en
proportion de ses besoins les produits qu'elle a fabriqués, et
seulement aussi si elle peut les obtenir au taux le moins coûteux. La
société lui compte le travail qu'elle lui fournit au taux le
plus haut qu'elle puisse obtenir. Elle le donne en quelque sorte au plus
offrant.
La
société en tant que collectivité productrice se
répartit ainsi en trois groupes. Premier groupe: la direction. Elle
doit simplement surveiller la marche régulière de l'ensemble de
processus de production, dont elle confie entièrement
l'exécution aux directeurs de sections. Le troisième groupe
comprend les camarades qui ne sont au service de la direction
supérieure, ni directeurs de sections. Entre ces deux groupes les
directeurs de sections forment un groupe à part. Ces derniers, lors de
l'introduction du régime, ont reçu de la société
une dotation, non renouvelable, et gratuite, en moyens de production. Les
directeurs de sections reçoivent continuellement de la
société la main-d'oeuvre, prise dans le troisième
groupe, et attribuée aux plus offrants d'entre eux. La direction doit
inscrire au compte de chaque camarade du troisième groupe tout ce
qu'elle a reçu des chefs de section du fait de son travail, ou, au cas
où elle l'emploierait dans son propre rayon d'action, tout ce qu'elle
aurait pu recevoir des chefs de section pour son travail, partage ensuite les
biens de jouissance, toujours par adjudication aux plus offrants, que ces
camarades appartiennent ou non à l'un quelconque des trois groupes. Le
montant de l'adjudication est inscrit à l'actif des chefs de sections
qui ont fourni la main-d'oeuvre.
Grâce à
cette articulation de la société, les directeurs de sections
peuvent être rendus pleinement responsables de leurs actes et de leurs
manquements. Le champ de leur responsabilité est nettement séparé
des autres. Ici l'on n'a plus affaire au résultat
général et à l'ensemble de l'activité
économique de la collectivité, où l'on n'arrive plus
à distinguer les contributions fournies par le travail individuel. La
« contribution productive » de chaque directeur de
section peut être l'objet d'une estimation particulière, de
même aussi que la « contribution productrice » de
chaque camarade du troisième groupe.
Mais les chefs de
sections doivent avoir la possibilité de transformer, d'élargir
ou de restreindre leur section, d'après la
« demande » des camarades, demande dont la tendance
changeante se manifeste clairement lors de l'adjudication des biens de
jouissance. Il faut que les directeurs de sections aient la possibilité
de céder les moyens de production de leur section à d'autres
sections qui en auraient un besoin plus urgent qu'eux. Et ils doivent pouvoir
exiger pour cette cession le maximum de ce que les circonstances du moment
permettent d'atteindre.
Il est inutile de
pousser plus loin la démonstration de ce système. Il
apparaît clairement que ce système n'est pas autre chose que
celui de l'ordre social capitaliste. Et en effet, cette forme
d'économie sociale est la seule où soit possible une
application rigoureuse du principe de la responsabilité personnelle
pour chaque camarade. Le capitalisme est la réalisation d'une
économie sociale sans les manques et les défauts du
système socialiste, que nous avons exposés plus haut. Le
capitalisme est la seule forme possible et concevable d'une économie
sociale avec division du travail.
1.
Cf. Lénine, Staat
und Revolution, p. 94.
2. Ibid., p. 95.
3. Ibid., p. 96.
4. Cf. Lénine, Die
nächsten Aufgaben der Sowjetmacht, Berlin, 1918, pp. 16.
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Article
originellement publié par le Québéquois Libre ici
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