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Ce texte est un « article presslib’ » (*)
Dans
ce moment de la crise, sans que cela diffère tellement des
précédents, les calculs réels et présumés
des acteurs qui occupent le devant de la scène apparaissent bien
dérisoires et à courte vue. La crise grecque, voulue et provoquée
pour l’exemple, a dérapé sans que son issue ne soit
désormais aisément maîtrisable. Elle n’est
cependant que le symbole d’une situation qui dépasse les
frontières de l’Europe et atteint l’ensemble du monde
occidental.
Certes,
certains pays sont moins atteints que d’autres, mais est-il
réellement pensable qu’ils puissent tirer seuls leur
épingle du jeu dans un monde financièrement et
économiquement aussi interconnecté ? Du Japon aux Etats-Unis,
en passant par l’Europe, la dette va continuer d’enfler, sans que
les bonnes résolutions adoptées le temps d’une rencontre
puissent inverser la tendance. Sauf à accepter de prendre le risque de
s’engager collectivement dans une longue déflation à la
Japonaise accompagnée d’une crise sociale profonde et dure.
Jour après
jour, la crise de la dette publique s’annonce donc redoutable. Car, par
son ampleur, il ne peut plus y être trouvé de solution aussi
facilement qu’on le croyait avec les recettes éprouvées.
Les restrictions budgétaires pour réduire le déficit et
la dette devraient être d’une telle ampleur qu’elles sont
impraticables à une telle échelle, si elles ne sont pas
relayées par une croissance économique, par ailleurs
introuvable. Ben Bernanke, le président de
la Fed, vient de reconnaître que la croissance ne suffirait pas
à faire baisser le déficit budgétaire à un niveau
acceptable. Le premier ministre grec, Georges Papandréou, vient de
déclarer dans une belle envolée devant les
députés : »La condition principale pour
réussir (…) c’est de tout changer dans ce pays,
économie, Etat, habitudes, mentalités, comportements, pour
fonder une économie viable ». Un programme qui donne la
mesure de ce qui ne sera pas fait et qui fait sonner par avance le glas
d’ambitions qui ne seront pas tenues.
A
l’inverse, les milieux financiers ne peuvent envisager de devoir subir
les effets d’une inflation qui réduirait la dette en les
touchant de plein fouet en tant que créanciers. De même
qu’ils ne peuvent accepter qu’interviennent des défauts
sur la dette souveraine, qui impliqueraient des restructurations de dette les
atteignant également. Ils flottent désormais sur leurs matelas
de liquidités et n’envisagent plus de redescendre de ces
nuées, quand bien même elles déclenchent l’orage.
Un
certain temps, il fut concevable de se poser une seule question – qui
va payer la facture au final ?- et d’y répondre en se disant que
cela allait se régler en fonction du rapport de force. Mais il va
falloir se résoudre à affronter une question bien plus
sérieuse : et si les Etats n’étaient pas en mesure
de digérer leurs dettes et les gouvernements de les faire assumer par
leurs administrés ? Certes, les molochs de la finance pèsent de
tout leurs poids afin de les y contraindre, mais est-ce bien
réaliste ?
Comme
à l’habitude, ces derniers cherchent à gagner sur tous
les tableaux. A court terme, en profitant en tant que créanciers de la
hausse des taux obligataires. A moyen terme, les taux s’étant
détendus, en se présentant à leur tour sur les
marchés, afin de satisfaire aux nouvelles obligations
prudentielles qu’ils négocient actuellement à minima en
freinant des quatre fers. Suite logique des édulcorations et des
blocages successifs de la régulation américaine, sabotant les
unes après les autres les mesures qui les brident, les mégabanques cherchent à faire de même
avec les obligations de renforcement de leurs fonds propres et de calcul de
risque que le Comité de Bâle s’efforce d’instituer.
D’un
côté, les équipes au pouvoir, d’une manière
qui pourrait être qualifiée de pathétique si elles n’étaient
pas complices, cherchent à contenir les errements futurs d’une
finance dont on sait maintenant jusqu’où elle peut aller. Elles
essayent de mettre au point dans le plus parfait désordre les
illusoires pare-feux d’une nouvelle crise dont on sait ne plus avoir
les moyens. Tout en pressentant déjà, lorsqu’elles sont
lucides, que ces mesures seront déjouées.
Car,
de l’autre, les industriels de la haute finance balayent ces
réglementations de pacotille, plus que jamais décidés
à poursuivre leur activité délétère.
Deutsche Bank vient d’annoncer 1,8 milliards d’euros de
bénéfices nets au 1er trimestre, en progression de 50%,
générant un rendement des capitaux propres de 30%. C’est
la division de banque d’investissement qui est à l’origine
de ce résultat, grâce aux émissions massives de dette des
Etats et des entreprises.
Ces
bénéfices, ainsi que le calcul visant à faire payer par
les autres l’addition de la crise, reposent sur des têtes
d’épingle. Lucas Papademos, vice
président de la BCE, a jugé aujourd’hui mardi que
« les leçons majeures de la crise budgétaire grecque
étaient en train d’être tirées » par les
pays ayant des « problèmes similaires ».
« Je pense que c’est une expérience (…) qui les
pousse vraiment à un ajustement de leurs politiques pour restaurer
leur compétitivité et améliorer leur situation
budgétaire ». Poursuivant :
« C’est, si l’on peut dire, l’effet de contagion
positif de la crise grecque sur d’autres économies avec des
problèmes similaires ».
Est-ce
bien si sûr ? En Espagne, le taux de chômage a
dépassé les 20% en mars, niveau le plus élevé
depuis 1997, selon l’Institut national de la statistique (Ine). Cela représente 4,612 millions de
chômeurs officiels, 286.200 de plus en trois mois. Après avoir
sous-estimé la crise financière et la crise économique,
les édiles font de même avec la crise sociale qui monte.
Qui
maîtrise aujourd’hui la dynamique de la crise ? Certainement pas
les politiques, qui viennent de nous offrir le spectacle bâclé
d’un G20 des ministres des finances qui n’a su qu’acter les
divergences, et où ne s’est exprimé, en fait de
volonté collective, qu’une unanime impuissance. Pas davantage
les mégabanques, qui continuent de donner le
« la » mais qui ne seront pas plus porteuse demain
d’une issue à la crise qu’elles n’ont
été capables, hier, de réguler leur activité
comme elles le prétendaient.
A
quel monde rêvent-elles et sommes-nous dans le même ? A moins que
ce ne soit un cauchemar qu’elles nous préparent, dont la seule
solution, pour s’en échapper, sera enfin de se réveiller.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
(*) Un « article presslib’
» est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que
le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’
» qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos
contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait
aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut
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Paul Jorion,
sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix
dernières années dans le milieu bancaire américain en
tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié
récemment L’implosion. La finance contre l’économie
(Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ?
(La Découverte : 2007).
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