Mes chères contrariennes, mes chers contrariens !
Aujourd’hui, je souhaitais quitter le champs pur de l’économie pour que nous partagions certaines réflexions plus sociologiques autour de l’évolution des mentalités et des comportements dans un monde perdant chaque jour un peu plus les simples repères de bon sens.
Je vous propose donc dans cette édition un peu particulière du Contrarien Matin quelques pistes à travers aussi bien des vidéos que des articles du Washington Post.
Les mots n’ont plus de sens
Comme vous le savez, je pointe régulièrement du doigt les changements sémantiques qui façonnent notre communication et bien évidemment servent à fabriquer le consentement, comme l’a si brillamment démontré un grand monsieur qu’est Noam Chomsky (lire son ouvrage La fabrication du consentement). Le plan de licenciement devient le plan de sauvegarde de l’emploi alors que l’on ne sauvegarde rien du tout puisque les emplois sont supprimés… mais finalement cela passe progressivement dans le langage. On ne parle plus de décroissance ou de récession mais de « croissance négative ». À chaque fois que le chômage monte, on vous explique que la courbe s’inverse. Lorsque l’économie va mal ? Le retournement est visible, le président le voit ! Enfin, en Ukraine, nous avons aidé d’horribles antisémites, fascistes, tendance nazis tout court et pas même vaguement « néo-nazis » à prendre le pouvoir mais ils sont pour l’occasion de gentils démocrates et Poutine un grand méchant vilain tout plein etc., etc., nous pourrions multiplier à l’infini les exemples de perte de sens des mots que nous utilisons, ou que l’on nous force à utiliser, nous pourrions multiplier les exemples de manipulations plus ou moins grossières dont nous sommes les victimes consentantes (ce qui veut dire que nous avons aussi notre propre part de responsabilité).
Les mots n’ont plus de sens et pourtant ce n’est pas la seule raison ni la seule explication de notre folie collective chaque jour un peu plus grande. C’est une conjonction de facteurs qui nous amène à perdre l’ensemble de nos repères et à sacrifier l’avenir de nos enfants par des comportements inimaginables il y a encore quelques années.
La technologie nous rend fous
L’omniprésence des médias et des chaînes d’information en temps plus ou moins réel nous plonge dans un immédiat permanent, irrémédiablement ! Nous devenons incapables d’avoir une vision aussi bien historique qu’une vision du futur. Nous sommes emprisonnés dans l’information quotidienne, sans espoir d’en sortir, où une information chasse l’autre dans une espèce de brouhaha perpétuel où l’important et l’accessoire se mélangent jusqu’à rendre tout recul, toute réflexion, tout esprit critique presque vain.
La télé, dans tous les foyers ou presque, est désormais allumée 24h/24. Vous rentrez chez quelqu’un ? Dans 90 % des cas son bel écran tout plat, le plus grand possible, et bien souvent acheté à crédit dans le supermarché du coin, trône au milieu du salon, allumé. Tout le temps. Il est désormais bien rare qu’il vienne même à l’esprit de celui qui vous invite et vous reçoit d’éteindre ce lobotomisateur de masse. Nous ne pouvons plus nous en passer car tout a été fait pour rendre cet outil profondément addictif avec tous les dangers que cela induit notamment de perception de la réalité, ou plus précisément de distorsion de perception de la réalité. Dans les écoles de France, les instituteurs n’hésitent jamais, dès qu’il pleut, à mettre vos enfants devant l’écran… Évidemment, jouer dehors sous la pluie est dangereux, les enfants se mouillent, et sentent mauvais après… alors, finalement tout le monde devant l’écran, un bon dessin animé et le tour est joué ! Le calme assuré. Rien de tel que foutre un gosse devant la télé ou un écran de façon générale pour avoir la paix !
Car la télé n’est pas le seul écran, évidemment. Consoles, ordinateurs sont autant d’interfaces virtuelles pour vous aider à quitter le monde réel. J’ai été frappé, non, en fait ce n’est pas assez fort, j’ai été sidéré cet hiver en partant dans un club de ski (rassurez-vous, pas le club Med à 2 500 euros par personne et par semaine) mais dans un « club » de tourisme social (nettement plus abordable et en plus le buffet était très bon, enfin pour moi et mes enfants, pour nos mamamouchis cela serait sans doute culinairement indigne, vu que même à l’Élysée c’est « dégeulasse »). Bref, il y avait beaucoup de gamins et de tous âges qui composaient l’assistance.
Il y avait là deux catégories d’enfants. Les aïe-Pad et les sans-tablette. Mes enfants étaient évidemment des sans-tablette. Les aïe-Pad étaient silencieux. Pas un bruit. Un silence de mort. Une cinquantaine de marmots plus ou moins vieux de (4 à 17 ans en gros) cliquaient, poussaient le doigt sur l’écran ou encore bougeaient leur machin dans l’espace pour faire tomber le biniou dans le machin au niveau 7 du jeu bidule. Tous étaient équipés de casque. Rien. Pas un bruit. Ils étaient 50 individus, enfermés, seuls, isolés dans cette multitude sans se regarder, sans se voir. Une bande de zombies numériques effrayante en réalité sur ce que nous sommes devenus.
En face, la bande des sans-tablette. Des marmots, là encore de 4 à 17 ans. Ils couraient dans les couloirs, se chamaillaient, se cachaient et je ne vous cache pas qu’à propos de cache-cache… certains, de temps en temps, étaient portés disparus… Évidemment pas bien longtemps car la vie n’est pas qu’une série des Experts Miami où votre enfant croisera forcément le chemin d’un psychopathe assassin mangeur d’enfant. Cela arrive, c’est indéniable et dramatique. Mais dans la vraie vie cela arrive moins qu’à la télé. Mais cela arrive tellement à la télé que cette débauche de morts et de mal nous laisse rarement indemne. L’autre n’est plus un homme mais un « prédateur » potentiel dont il faut se méfier. Les portes se ferment. Magie de la télé et de l’écran qui nous enferme dans une distorsion de notre perception de la réalité où l’autre est forcément un danger potentiel dont on doit se méfier.
Bref, vous l’aurez compris, le problème avec les sans-tablette, c’est de retrouver ceux qui se sont perdus, soigner ceux qui se sont écorchés, repriser les pantalons déchirés aux genoux, et surtout réussir à monter coucher tout ce petit monde qui ne veut qu’une chose : continuer à jouer jusqu’à la fin de la nuit sans conscience de l’heure ou d’autres concepts plus ou moins importants chers aux adultes comme l’heure du bain. Cela provoque des crises et quelques hurlements, de la protestation plus ou moins véhémente pouvant confiner à la maladie psychiatrique comme un trouble oppositionnel.
Finalement, encore une fois, il n’y a rien de plus facile qu’un gosse de la bande des aïe-Pad. Lui ne hurle jamais, il faut juste lui poser un casque sur les oreilles et le laisser glisser son doigt sur l’écran autant qu’il veut. Avec la bonne dose de réseaux sociaux et de jeux, vous êtes tranquille… pour regarder votre télé ! Quel calme. Hors l’enfance ne peut pas être le calme !!
Vous lirez à ce sujet l’extraordinaire article du Telegraph de Londres qui relayait l’appel alarmé des instits et enseignants anglais qui notaient avec une grande gravité que les gosses, nos gosses, vos gosses, arrivaient à déplacer les mains sur la tablette… mais n’arrivaient plus à empiler des gros cubes ! Les écrans rendent tout simplement nos enfants autistes dans tous les sens du terme. Les écrans rendent nos enfants fous. Nous le savons mais nous les y soumettons encore plus avec la bienveillance de la société toute entière qui n’y trouve rien à redire, voire même qu’un enfant sans télé à la maison… cela relèverait presque du mauvais traitement dans l’esprit de beaucoup de crétins demeurés qui nous entourent. L’écran est un droit de l’enfant alors qu’il est en réalité son avilissement et la négation de son devenir.
Tom Sawyer devrait prendre ses cachets !
Je vous disais donc qu’un enfant… eh bien c’est turbulent. J’étais turbulent. Comme Tom Sawyer, comme les copains de l’école Jules Ferry ! Nous faisions pleins de conneries, nous montions aux arbres, les vrais. Nous faisions des cabanes… des vraies. Nous avions des amis. Des vrais, pas des virtuels sur Facebook. Je n’obéissais pas et j’étais régulièrement puni… Mais franchement, qu’est-ce que je me suis amusé sous le regard protecteur des anges gardiens des enfants qui veillent de façon surnaturelle à ce que chaque bêtise ne devienne pas un drame… Mais, dans la société du risque zéro, de la « mort évitable », aucun danger ne doit pouvoir s’approcher des enfants, aseptisant leur monde totalement. L’avantage, c’est que la tablette… est sans danger physique immédiat. On tombe rarement de sa tablette en se faisant aussi mal que d’un arbre.
Vous lirez donc aussi ce papier du Washington Post intitulé « Tom Sawyer n’oublie pas de prendre tes cachets car aujourd’hui tu serais interné »… et dont je vous ai fait l’essentiel de la traduction.
Nous ne voulons plus élever et éduquer nos enfants, ce qui demande du temps, de l’effort et de la constance. Non, nous préférons les « soigner ». Des millions d’enfants aux USA sont sous traitements médicamenteux pour des pathologies fumeuses et en France, nous y allons tout droit sous la pression des bonnes âmes et des psy cucul-gnangnantes qui ont envahi les écoles.
Le trouble oppositionnel avec provocation
Je vous laisse le soin d’aller lire la définition complète de ce trouble psychiatrique gravissime touchant nos enfants et la totalité de notre petite communauté de contrariens. Ma femme m’a toujours dit que j’étais un « grand malade » mais ce qui est affectueux dans son esprit l’est nettement moins dans ceux des « zautres », les normaux sous perfusion d’écrans et de bien-pensance quotidienne.
Critiquer devient une maladie. Être en opposition à la norme fait de vous, au choix, un fasciste, un « estréémiste » (de préférence d’extrême droite), un fou, un sociopathe ou un criminel. Ne pas être d’accord avec la pensée dominante fait de vous un « provocateur » car vous dérangez l’ordre établi et la tranquillité d’esprit de tous les lobotomisés.
Si vous êtes un contrarien, si ce monde ne vous paraît pas sain, si vous refusez à tort ou à raison certaines choses, alors vous souffrez de trouble oppositionnel avec provocation et il existe un large panel de solutions allant de la médication à l’internement pour les cas les plus graves.
Une société de conformisme
Lorsque j’étais plus jeune, nous nous moquions des goulags soviétiques où l’on enfermait tous ces « fous » au sens soviétique du terme qui osaient remettre en cause l’ordre de Lénine et de Staline. Aujourd’hui, dans nos sociétés « démocratiques » respectant les « droits de l’homme », nous avons défini une liste de pathologies hallucinantes allant de ce trouble oppositionnel au trouble de conduite en passant par le trouble du déficit de l’attention sans hyperactivité…
Nous ne sommes plus que l’ombre de nous-mêmes. Alors que nous encensions les différences, la diversité, le choix y compris dans les produits, nous en sommes arrivés à un point de conformisme étouffant. Nous sommes tous habillés pareil, nous avons un « choix » qui n’est qu’une illusion, nous sommes tous sur Facebook et nous comportons tous de façon identique telle que nous l’impose la « pression sociale ». Nous en sommes au même point que la société soviétique et ceux qui sont justement décalés, c’est-à-dire différents, sont considérés comme malades, dangereux et nuisibles.
N’oublions pas que « lorsque tout le monde pense la même chose, plus personne ne pense ».
Les réseaux sociaux de la solitude
Vous regarderez, sur votre écran, cette superbe chanson anglaise dénonçant l’utilisation abusive des écrans, des réseaux sociaux, fausse promesse d’amitié virtuelle et grande illusion collective, qui nous enferment en réalité dans la plus importante et cruelle des solitudes. Des ados se suicident parce que l’on dit du mal sur eux sur Facebook… et nous laissons faire car un ado sur Facebook, finalement, c’est plus calme qu’un ado sans Facebook et comme il faut faire comme tout le monde…
La vie, la vraie est celle que l’on vit. Pas celle que l’on nous impose, pas celle que l’on veut nous faire croire que nous vivons, pas celle des écrans, des séries télé ou des télé-réalité.
Le réseau dit social vous enferme dans l’antisocial. La télé-réalité n’a rien de réelle. Encore une fois, sémantiquement, tout est inversé pour valoriser des aspects positifs qui en réalité n’existent pas.
GTA… la torture pour tous, c’est maintenant !
Nous parlons de crimes, de délinquance régulièrement dans l’actualité. Les faits divers s’enchaînent, tous dramatiques et nous en sommes responsables (collectivement). Un enfant verra à la télé plus de 6 000 crimes avant l’âge de 10 ans… en moyenne ! Pas aux USA, en France !!
D’ailleurs, mon fils de 6 ans rentre de l’école et m’explique qu’il veut aller chez un copain jouer à un jeu vidéo trop génial qui s’appelle GTA. Étant con-trarien et buté par moment (comme me le fait remarquer ma gentille épouse toujours un peu plus permissive avec les enfants que son mari psychorigide), je dis « niet », ce qui n’est pas la meilleure façon de ne pas vexer la maman du copain en question. « Hooo mais ce n’est qu’une console » m’explique-t-elle très gentiment comme s’il fallait faire un effort pédagogique à l’égard d’un neuneu. Certes mais mon fils n’ira pas se faire lobotomiser par une console quelle qu’elle soit. Donc c’est « niet ». Ambiance avec ma femme qui m’explique que je pourrais dire les choses autrement. Ben j’ai dit non, elle n’a pas compris et a insisté. Ce n’est pas de ma faute hein ma chérie. Alors comme elle ne comprenait pas, j’ai été sans ambiguïté (ma femme me reproche mon côté ours sans ambiguïté qui n’est pas une qualité pour s’insérer dans le tissu social et se faire plein d’amis).
Bref, lorsque ma gentille épouse a appris (ce que je ne savais pas) que dans GTA on joue à torturer les gens et que plus on leur fait mal, plus on gagne de points, elle m’a regardé et m’a dit finalement : « Ton côté ours a du bon. »
Certes, chérie, mais bientôt je serais sans doute interné pour syndrome oppositionnel avec provocation surtout si la maman du copain en question était psy. J’étais contre elle, contre la console, contre les écrans qui sont la norme et, évidemment, je l’ai un peu provoquée en lui expliquant que si elle voulait faire de son gosse de 6 ans un psychopathe décérébré et lobotomisé elle n’avait qu’à continuer comme ça avec son gosse mais qu’elle ne se chargerait pas de distraire mon fils.
Vous en conviendrez aisément, il s’agit sans conteste d’un trouble oppositionnel avec opposition dont vous souffrez vous aussi vraisemblablement.
En attendant nous sacrifions nos enfants sur l’autel des technologies fussent-elles nouvelles, elles n’en restent pas moins avilissantes. Alors certes, comme dans cette image d’illustration du Petit Poucet nous n’égorgeons pas nos enfants, néanmoins, nous attaquons et saccageons ce qu’ils ont de plus précieux, leur intelligence et leur cerveau, avec nos médicaments et nos écrans pour notre confort et celui d’une société aseptisée.
Préparez-vous, l’hiver vient et restez à l’écoute.
À demain… si vous le voulez bien !!
Charles SANNAT
« À vouloir étouffer les révolutions pacifiques, on rend inévitables les révolutions violentes »