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En relisant
par hasard, un article du blog Mondo Dingo,
j’ai pris plus encore conscience des effets que peut avoir la
société médiatique sur le droit.
En
l’espèce, le bloggeur en question avait écrit, il y a
quelques années, avec un style qui lui est propre, un article
inhérent au volontarisme en politique. Plus précisément,
en 2009, la violence avait fortement secoué de nombreux
établissements scolaires, conduisant le ministre de
l’Éducation de l’époque, Xavier Darcos, à
faire une proposition
visant à créer une force mobile d’agents intervenant en
milieu scolaire et dotés de missions de prévention et de
contrôle. Parmi les missions de prévention, se trouvent les fouilles
des élèves. Belle preuve de volontarisme politique
exacerbé… Le sujet des violences scolaires est d’ailleurs
toujours d’actualité, ayant rythmé
la fin du mandat de Nicolas Sarkozy.
Cette
proposition de Darcos avait suscité un tollé
politique et syndical. Réagissant à ces critiques, le
journaliste de RTL, Jean-Michel Aphatie avait alors
fustigé, à sa manière, l’idéologie de
l’impuissance et du renoncement. Il pointa du doigt ceux qui refusaient
de prendre à bras le corps le problème des violences scolaires,
oubliant, sans doute, qu’il existait déjà un arsenal
pénal en la matière.
En clair, il
fallait agir. Peu importe comment. L’idée n’est pas, ici, véritablement
de porter un jugement sur la nature de cette proposition, finalement
avortée, de Xavier Darcos, même si elle n’aurait
été rien de plus qu’un pansement usé sur des
plaies grossissantes. Certes, l’insécurité n’est
jamais un thème à prendre à la légère.
Mais cette proposition ne s’attaquait pas au problème de fond
que représente l’existence-même de ce mammouth par trop
centralisé qu’est l’Éducation nationale. Cette
proposition ne visait qu’à rassurer une société de
plus en plus anxieuse face à une insécurité
grandissante.
Cette
proposition est totalement irréfléchie comme tant
d’autres, du reste : en effet, un élève voulant
s’adonner à la violence dans un établissement scolaire ne
sera jamais privé de ressources. Va-t-on, par exemple, à
l’occasion des fouilles, confisquer les ciseaux desdits
élèves alors qu’ils sont un instrument indispensable dans
le cadre de leur scolarité ?
Malheureusement
un autre triste enseignement de cette proposition est le fait que,
désormais, les fouilles qui auraient dû rester
l’exception, tendent à devenir un principe banalisé. En
cela, les effets
du 11 septembre 2001 ont été désastreux, y compris en
France où l’idéologie sécuritaire fait des ravages
et réduit à portion congrue nos libertés fondamentales.
On peut se
demander si, véritablement, il est opportun, comme semble
l’écrire Jean-Michel Aphatie,
d’agir de façon désordonnée et si l’action
est toujours préférable, en toutes circonstances, à la
stabilité juridique. Si le fait de ne pas alourdir l’arsenal
juridique du moment est toujours coupable. Si l’action excessive ne
conduit pas à brouiller le droit et à superposer des textes qui
peuvent s’avérer être contradictoires.
À cet
effet, il convient de se reporter à Jean-Jacques Rousseau et à
ses Lettres Écrites de la
Montagne : « Dans un État où le
gouvernement et les lois ont déjà leur assiette, il faut
éviter autant qu’il se peut de rien innover. Les avantages des
lois nouvelles sont presque toujours moins sûrs que les dangers
n’en sont grands ; (…) Un nouveau joug n’est jamais
facile à porter. ».
Montesquieu,
peu avant lui, avait également dénoncé cette inflation
législative, déjà présente à son
époque. Les lois « nécessaires » se
retrouveraient affaiblies du fait de l’existence de lois
« inutiles ». L’avocat français, Jean-Marc
Varaut complète le propos de Montesquieu
avec une analyse appliquée à son temps, estimant qu’entre
1981 et 1986, date de parution de son ouvrage, Le
droit au droit, il y a eu une inflation législative telle que le
droit lui-même s’en trouve dévalué. Les lois
nécessaires s’oublient et cèdent leur flambeau à
des textes ou à des jugements destructeurs des libertés
individuelles, inhérents, par exemple, au droit fiscal, au droit de la
sécurité sociale ou encore au droit de l’urbanisme. Le
Code civil, qui aurait dû demeurer l’instrument central des
relations sociales, est aujourd’hui noyé dans la multitude des
autres disciplines juridiques. Malheureusement, la France n’est pas le
seul pays touché par cette idéologie sécuritaire. Le
Canada, pour ne citer que cet exemple, en fait lui aussi les frais.
Varaut, dans ce qui aurait pu être un
clin d’œil à Darcos et à son admirateur, Aphatie, écrit : « La
multiplication des textes qui veulent tout réformer, tout prévoir
et qui s’essoufflent à enserrer les relations sociales dans leur
complexité alimente un mépris du droit ».
En effet,
Darcos a-t-il réellement mesuré les conséquences
sociales de sa proposition visant à organiser des fouilles ? Peu
probable. Les établissements scolaires, objets des mesures
démagogiques prises par les ministres successifs, auront toujours plus
de mal à appliquer correctement les (nombreux) textes auxquels ils
sont soumis. La fameuse maxime « nul n’est censé
ignorer la loi » devient ainsi un objectif illusoire, y compris
pour les plus éminents juristes.
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