Grâce au travail acharné de nos parlementaires, toujours sur la brèche afin de nous tailler à la dynamite un monde toujours plus proche du paradis qu’ils nous ont vendu lors des campagnes électorales, la République du Bisounoursland vient de faire un grand bond en avant : ça y est, les animaux ne sont plus des bien mobiliers !
Il était plus que temps qu’enfin, on admette dans la Loi que non, les chiens et les chats ne sont ni des tables, ni des chaises, ni même des petits tabourets qui permettent d’atteindre les étagères les plus élevées, mais bien de petits et de grands « êtres vivants doués de sensibilité ». C’est maintenant chose faite avec une modification législative introduite à la suite d’une pétition lancée il y a près de deux ans par « 30 Millions d’amis », et qui a reçu le soutien de plusieurs intellectuels comme Brigitte Bardot.
Encore mieux, cette récente modification s’inscrit dans le cadre d’un projet de modernisation et de simplification du droit : afin de rendre les choses du droit, et notamment le Code Civil, plus modernes et plus simples, on va donc ajouter un truc-bidule supplémentaire aux trucs-bidules qui existent déjà, c’est-à-dire une nouvelle catégorie de biens corporels meubles, qu’on pourra par exemple appeler « les zanimorigolos » (simple suggestion, bien sûr), dont on se gardera bien de définir ensuite le moindre effet juridique attaché. Et puis, il faut comprendre que comme les autres codes (rural et pénal, notamment) reconnaissaient déjà implicitement ou explicitement que les animaux sont des êtres vivants et sensibles, il n’était que temps que cette précision soit aussi apportée au Code Civil, non mais alors.
À la suite de quoi, les associations de défense des zanimorigolos trépigneront de joie, le crédit de l’institution juridique sera d’autant augmenté, et tout le monde sera content. Il y aura des sourires sur les visages des enfants, de l’émotion dans la voix de vieilles dames donnant un biscuit à leur chien, et le monde sera plus doux.
Bien évidemment, après cette « simplification juridique », on va devoir explorer des domaines nouveaux dans lesquels les arguties juridiques promettent d’être remplies d’envolées lyriques sur ces petits êtres, aussi vivants que doués de sensibilités, confrontés aux comportements abominables des humains pour lesquels, au passage, il n’a jamais été spécifié nulle part qu’ils étaient aussi des êtres vivants doués de sensibilité, mais on s’en fiche parce que les humains sont des êtres méprisables qui détruisent la nature et émettent des petits cris stridents très désagréables (tout ceci ayant amplement été prouvé par Cécile Duflot).
Selon nos fiers députés, jamais en retard d’une innovation juridique, l’idée derrière ce changement est de permettre, selon eux, de « concilier la qualification juridique et la valeur affective » de l’animal. C’est mignon.
Je suis cependant dubitatif. Bien que ne doutant absolument pas du caractère généreux et humaniste de la démarche qui vise enfin à reconnaître à l’animal un statut particulier dans le droit, avec des bisous et des petits cœurs, je ne peux m’empêcher de me demander si ce petit changement anodin n’est pas la traduction maladroite d’une vision erronée de la nature, vision erronée qui pourrait bien se trouver être ensuite la source de maux plus gênants encore que la maltraitance animale que cette modification entend combattre.
Par exemple, difficile de ne pas voir un certain spécisme, avatar encore plus large du racisme bien humain celui-là, qui vise clairement à départager les espèces en plusieurs sous-catégories avec d’un côté les animaux mignons et de l’autre, ceux qui grattent, qui piquent et qui sont, disons-le franchement, moches.
En effet, si l’on imagine sans mal que cette modification juridique accorde explicitement son quota de protection et de sécurité aux chatons mignons ou aux petits chiens rigolos, qu’en sera-t-il pour le requin qui croque ou la tarentule qui pique ? J’entends d’ici certains qui récriminent, probablement à raison, en me faisant savoir que le changement est fort modeste, d’une part, et que d’autre part, la portée du texte ne va pas aussi loin et se contente très probablement de restreindre cette notion d’être vivant et sensible à nos animaux familiers, ces petits êtres sensibles qui nous apportent le journal, réchauffent les cuisses de mamie, ramènent les joujoux qui couinent quand on les leur lance, bref, partagent chaque instant de notre vie, au plus près de nos activités.
Eh oui, il faut se rendre à l’évidence : certains êtres vivants qui vivent à nos côtés, s’ils sont bien sensibles, n’en sont pas moins particulièrement pénibles à supporter (et je ne parle pas ici exclusivement de Cécile Duflot, entendons-nous bien). De façon générale, qui, de nos jours, défend vraiment les requins contre les hordes humaines qui se baignent sur leurs lieux de chasse ? En outre, si on comprend bien que l’amendement fut déposé pour sensibiliser les citoyens à la souffrance des animaux, notamment de ceux qui vont devenir des steaks dans notre assiette, quel sera le courageux végétarien qui défendra la tarentule, la hyène ou le moustique ?
Qu’il est difficile, le chemin juridique pour accorder des droits plus ou moins réalistes à ces animaux qui n’en ont jamais réclamé et n’auront jamais à respecter les devoirs qui sont pourtant le pendant logique de ce qu’on va leur accorder ! Qu’il est compliqué de faire comprendre que le bien-être animal ne dépend pas d’une loi, d’un paquet de textes qu’on ne pourra jamais correctement ficeler ! Qu’il est ardu de voir qu’il s’agit avant tout d’une démarche morale des individus eux-mêmes, que cette démarche dépend de facteurs multiples dont le bien-être humain avant tout !
En effet, vous ne pourrez pas parler de bien-être animal à des ventres affamés qui, dit-on à raison, n’ont pas d’oreille. Vous ne pourrez pas, sous peine d’abandonner cet humanisme qui, justement, a motivé ce bricolage juridique, faire passer le bien-être des animaux avant celui de vos frères humains, d’autant que ces derniers ont eu la force et l’intelligence non seulement de réclamer ouvertement ces droits, mais en plus ont cette capacité (inouïe dans le reste du monde animal) de respecter les devoirs qui y sont attachés.
On ne peut pas être surpris d’apprendre que l’amendement introduit est le fruit d’une poignée de socialistes qui, toute incohérence bue, n’entendent évidemment pas porter sur la place publique les délicats problèmes des combats de coqs et de la corrida. Comme d’habitude, il ne s’agit en réalité pas du tout de bien-être animal, mais bien plus sûrement de bien-être humain, celui des consciences apaisée et des lobbyistes repus.
N’oubliez pas : après tout, eux aussi sont des êtres vivants doués de sensibilité.
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