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Les amateurs de casse-tête disposaient déjà d’un magnifique terrain de jeu
avec la réglementation bancaire. Détailler à quelle catégorie de fonds
propres appartient telle ou telle classe d’actifs bancaires demande une
science qui impose le respect quand on prétend épuiser le sujet. En venir à
bout est pourtant essentiel, si l’on veut juger des ratios de fonds propre
établis par le Comité de Bâle, ou par le Conseil de stabilité financière (FSB)
en ce qui concerne les établissements déclarés systémiques, ou bien
pour apprécier l’épaisseur du coussin de liquidités dont les banques
doivent disposer. Mais ceci n’était qu’une mise en jambe.
Un nouveau casse-tête est disponible. L’utilisation de chambres de
compensation (CCP) a été instaurée pour sécuriser les transactions de
produits dérivés, jusqu’à maintenant opérées de gré à gré, à condition
toutefois qu’ils soient standards (les autres échappant à cette
obligation). Mais, à bien y regarder, les CCP ne sont-elles pas des bombes en
puissance ? En tant que fonds de garantie, elles concentrent en effet le
risque qu’elles ont pour mission de supprimer sans avoir nécessairement les
moyens financiers de l’assumer. C’est en tout cas la question qui doit être
posée si l’on considère le volume des transactions sur les produits dérivés
qu’elles vont accueillir.
Sur le papier, tout va bien. Les CCP procèdent par appels de marge
auprès de leurs clients utilisateurs (les membres compensateurs), afin
de constituer un coussin financier destiné à amortir le choc de la
défaillance éventuelle d’une contrepartie. Or, les ennuis commencent
là où ils sont censés avoir été réglés. Le montant des appels de marge
résulte en effet d’une appréciation du risque de la transaction qu’ils
garantissent, et c’est à chaque CCP de définir sa méthodologie. Mais que se
passe-t-il si celle-ci se révèle inadéquate et que la garantie en question ne
couvre pas les pertes ? Si un membre compensateur fait défaut ?
Pour faire face à une telle éventualité, de savantes élaborations
réglementaires ont eu lieu et se poursuivent des deux côtés de l’Atlantique,
n’aboutissant pas aux mêmes conclusions, comme à l’habitude. À l’instar de la
description du bail-in d’un établissement bancaire (son sauvetage sans
faire appel à des fonds publics), celui d’une CCP mérite une mise à plat.
Elle permet de remarquer d’entrée que la fraction des capitaux propres de la
CCP pouvant être mobilisée à cet effet – ou même sa totalité, si ce n’est pas
contingenté comme en Europe – ne pourra pas prétendre éponger d’importantes
pertes, une fois épuisées les marges apportées. Puis, que le fonds de
garantie mutualisé auquel les membres compensateurs d’une CCP doivent
cotiser ne peut être très élevé, sauf à trop accroître le coût des
transactions qui transitent par ses soins. À son tour, il ne peut en
conséquence absorber un choc important.
Au bout du compte, les régulateurs en viennent à préconiser le transfert
des positions et du collatéral (les actifs apportés en garantie dans le cadre
des appels de marge) d’une CCP que l’on ne parvient pas à redresser,
afin d’opérer proprement sa cessation d’activité sans déclencher d’effet
systémique. Mais, outre certaines difficultés techniques, cela revient à
reporter le risque résiduel sur la CCP qui bénéficie de ce transfert,
imposant la création d’un mécanisme la protégeant pour qu’elle l’accepte. Or,
la création d’un fonds inter-CCP destiné à mutualiser le risque ne rencontre
pas les faveurs de la profession, qui n’est guère partageuse et veille à ses
marges comme à la prunelle de ses yeux.
C’est à cette lumière que l’on peut interpréter la victoire que vient de
remporter la City de Londres sur la BCE. Le tribunal de l’Union européenne
vient de donner tort à cette dernière, qui prétendait imposer la localisation
au sein de la zone euro des CCP par lesquelles passeraient des transactions
en euro (au dessus d’une exposition de crédit nette journalière de plus de 5
milliards d’euros). Cela revient à empêcher toute surveillance des CCP par la
BCE et à permettre à la City de les accueillir à coffres ouverts. Et renvoie
à un débat vieux de maintenant plusieurs années et depuis oublié. Il avait
été question de leur accorder un accès aux banques centrales de même nature
que celui dont les banques disposent, afin qu’elles bénéficient du même
parapluie. Faute d’y revenir, tout le gratin de la finance s’est attelé au
problème, associations des banques comme The Clearing House ou des produits
dérivés comme l’ISDA, mégabanques commerciales comme JP Morgan ou sociétés
d’investissement géantes comme BlackRock. Toutes cherchent à résoudre
l’équation du risque en le logeant chez le voisin…
La conclusion semble s’imposer : sans savoir le mesurer mais tout en le
prétendant, on peut déplacer le risque mais on ne sait pas le faire
disparaitre. Pour parachever cet édifice, il ne restera donc qu’à organiser
des stress tests des CCP qui noieront le poisson, jusqu’au jour où… Ne
serait-il pas plus simple d’interdire ce qui ne peut être sérieusement régulé
?
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